Il n'est nullement besoin de savoir prédire, pour dire, que chaque jour à venir, il faudra creuser onze tombes en plus, pour y recueillir des corps, entiers, estropiés ou broyés, puis voir nos hôpitaux encombrés d'un supplément de plus d'une centaine de blessés. Des dégâts humains superflus que nous pouvons éviter, si ce n'était l'homme, devenu machine à tuer sur nos routes. Mourir si stupidement dans un accident de la circulation est un risque quotidien pour les automobilistes et autres usagers de la voie publique. Ce n'est vraiment pas drôle d'être laminé par une tôle ! Nous devons savoir que l'Algérie occupe le sinistre podium parmi les pays du monde, y compris ses voisins et les autres pays arabes. Selon l'Organisation mondiale de la santé, les accidents de la route dans le monde tuent chaque année environ 1,3 million de personnes et font de 20 à 50 millions de blessés. En Algérie, les statistiques fournies par le ministère des Transports annoncent en moyenne 40 000 accidents de la circulation routière par an, entraînant plus de 4000 morts et 60 000 blessés. Pour la comparaison, en France métropolitaine, elle aussi est «bien classée», sur 76 767 accidents corporels, 4 443 personnes ont été tuées et 96 905 blessées à la suite d' accident de la route, durant l'année 2008. Avec un taux de motorisation supérieur à celui de l'Algérie, nos voisins tunisiens ont enregistré un millier et demi de morts durant l'année 2011. Voilà pour le compte et la comparaison, tout en gardant à l'esprit, des différences telles que la taille du pays, la densité et la qualité du réseau routier, la composition du parc, la densité du trafic, le comportement des usagers, etc. Tout un chacun peut donc faire ses comptes et estimer le nombre de familles éplorées, endeuillées, plongées dans le désarroi, chaque jour, chaque année. C'est énorme. Quelle honte de noter, impuissant, un compte ! C'est vraiment insensé de trépasser sur la chaussée ou dans un fossé ! Il est moins facile, par contre, d'évaluer le nombre de handicapés à vie, d'orphelins, de veuves, les dégâts psychologiques et autres retombées qui en résultent. Car il est insupportable d'ôter la vie si bêtement à quiconque ou de tuer un enfant sortant de son école. Il est insupportable que les nôtres doivent vivre le restant de leurs jours sur des chaises roulantes. Les accidents de la route en Algérie tuent donc plus que tout autre fléau ou maladie. Le nombre élevé d'accidents est dû beaucoup plus et essentiellement au non-respect des principes élémentaires du code de la route, dont l'excès de vitesse en première position, qu'à l'état du réseau routier. La vitesse et les tombes, sans cesse l'hécatombe. Quelle stupidité, un homme amputé, ou un bambin rendu orphelin ! Beaucoup de gens de tous âges et particulièrement les plus jeunes, plongeant dans un bain d'inconscience, confondent la puissance du véhicule avec la leur. Des insouciants qui s'imaginent que la puissance de leur machine est celle de leur corps et s'identifient à la force et à la «beauté» d'un bolide ; des pressés et stressés qui évacuent leurs frustrations, se croyant protégés à l'intérieur d'une carcasse métallique. Dans ce sens, les auteurs d'une étude menée en Europe ont dégagé les facteurs psychologiques de la prise de risque. La tension vers un objectif qui est alors source de précipitation, ou vers deux objectifs qui deviennent source d'indécision sont les deux premiers facteurs de ce terrorisme routier. La recherche d'une excitation ou de son propre dépassement, le besoin de valorisation de soi à ses propres yeux et aux yeux d'autrui, la libération de l'agressivité à l'égard des autres et de soi-même et le besoin de compétition sont les autres facteurs de risque. Le jeu de la mort est muet lorsqu'on a les mains sur le volant et le pied sur le champignon. Et puis quand le drame survient, ce sont toujours les autres qui en sont responsables. Ou bien, c'est Allah Ghaleb, alors que Dieu nous a donné des mains, des pieds, et surtout des neurones, mais ne conduit pas à notre place. Pourquoi cet empressement du conducteur à vouloir glaner quelques minutes de son temps, en enfonçant l'accélérateur, alors qu'il risque d'abréger sa vie, en quittant ceux qui l'aiment, qu'il aime, et qui ont besoin de lui ? C'est vraiment macabre de finir plaqué contre un tronc d'arbre, désolant d'être guidé par un volant ! Quant aux dégâts matériels, ils engendrent sans aucun doute de grosses pertes économiques et financières. Que faire alors face à la tragédie ? Mieux sensibiliser ? Réprimer ? Revoir la législation en la matière ? Améliorer le réseau routier ? Mieux contrôler les usagers, chauffeurs et piétons, et le parc automobile ? Augmenter les moyens matériels pour mieux lutter ? Oui, probablement tout cela en même temps. Car la sensibilisation à travers une large médiatisation, en usant de tous les supports possibles, la contribution d'associations et l'implication du système éducatif pourraient juguler ce fléau. Oui, appliquée sans discrimination, la répression est un élément de la solution. Pénale ou pécuniaire, la sanction est nécessaire, car on peut redresser l'individu incivique en touchant à sa poche. Puis il faudrait probablement revoir en profondeur la législation en la matière, quitte à s'inspirer des mesures prises dans d'autres pays, pas ceux «mieux classés» que nous, et les adapter au nôtre. Et puis, impartialement et judicieusement, il faut bien pulvériser l'exubérance de l'indiscipline quasi généralisée. Quelle détresse que de périr sous l'ivresse de la vitesse ! C'est vraiment malheureux de crever sous un pneu ! Néanmoins, pour mieux répondre aux questions ci-dessus posées, il s'agit de recenser, d'évaluer et d'analyser toutes les données relatives à cette calamité. En un mot, avec une volonté politique affirmée, il s'agit d'élaborer une stratégie qui reçoit l'adhésion nécessaire, pour réduire le massacre. A cet effet, il faudra des pilotes dans la voiture Algérie. Dans l'attente de ces derniers, que le papa gâteau contrôle de près son chérubin et ses clefs, la voiture n'étant ni un jeu ni un jouet. Que les chauffards sachent que leurs moutards peuvent faire aussi les frais d'un malheureux accident. Que les piétons respectent eux aussi la signalisation. On ne traverse pas une route n'importe où, n'importe comment. Des piétons qui délaissent le trottoir parfois vide, s'appropriant la chaussée et narguant conducteurs et engins, bien que par endroits, ces espaces normalement exclusifs aux piétons sont accaparés par des étalages anarchiques de commerces formels et informels. Quelle pagaille ! Enfin, ce n'est vraiment pas beau un homme transmuté en robot, pas du tout cocasse de finir sous une carcasse ! Il n'est donc nullement besoin de savoir prédire, pour dire, que chaque jour à venir, il faudra creuser au moins une dizaine de tombes supplémentaires, puis voir nos hôpitaux encombrés de centaines de blessés, supplémentaires aussi. C'est donc pour quand la fin de ces jeux pernicieux ? Dès lors, il faudra concevoir et bien croire que ça n'arrive pas qu'aux autres.