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Aïn-Temouchent: Drames routiers : comment arrêter le carnage ?
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 16 - 05 - 2018

  Une journée d'étude sur les accidents de la route et leur impact socio-économique, organisée par la commission de wilaya «Essalama Elmourouria» a réuni au centre universitaire Ahmed Bouchaib d'Aïn-Temouchent de nombreux acteurs concernés par ce récurrent phénomène qui ne cesse, hélas, d'alimenter les débats et la polémique autour de la nécessité de mettre en œuvre une grande politique de prévention. Une perspective d'autant plus urgente que même le milieu urbain, c'est-à-dire la ville, commence à enregistrer de spectaculaires accidents faisant souvent des morts. Pas une semaine ne passe sans que de graves sinistres n'emportent des vies sur les routes d'Algérie. L'excès de vitesse, la conduite en état d'ébriété ou sous l'influence de substances psycho-actives, le non-respect du code de la route constituent dans la majorité des cas les facteurs les plus incriminés. Chaque jour que Dieu fait, les médias se font l'écho de terribles accidents. Des familles entières décimées, des handicaps à vie et un énorme gâchis financier en termes de soins, de congés, de frais d'assurance et de prise en charge sociale. Les chiffres sont accablants. Aux plans africain et mondial notre pays figure dans les premières places du classement.
En 2015, 2949 morts pour un parc estimé à 5.683.000 véhicules, soit un taux de mortalité de 23,53%. A l'issue de l'année 2017 le décompte macabre fait état de 3.639 décès et 36.287 blessés dans 25.038 accidents. Un chiffre en baisse de 13,23% par rapport à 2016, année durant laquelle 28.856 accidents ont été relevés. A titre comparatif, pour un parc roulant 7 fois supérieur au nôtre, la France accuse un taux de mortalité d'à peine 5,18%. Autre exemple, l'Espagne, qui compte une population presque similaire à l'Algérie, affiche un taux de mortalité de 3,6%. Les pays leaders de l'Union européenne, grâce à des politiques de sécurité routière adaptées, sont parvenus à réduire sensiblement le taux d'accidents.
D'après les statistiques du Centre national de préservation et de sécurité routière l'Algérie se situe au 98e rang mondial et à la 42e place à l'échelle du continent africain. Des données que l'on ne retrouve pas dans d'autres classements où notre pays trône dans le peloton de tête. Une question d'interprétation des paramètres liés au nombre d'accidents, de décès, de voitures en circulation indexés au nombre d'habitants. Pour ce qui nous concerne on évoque la survenue d'un accident toutes les 20 minutes et un mort toutes les trois heures. Manifestement, il y a péril en la demeure. Outre les pertes humaines, les experts estiment la valeur des dégâts matériels à plus de 100 milliards de dinars annuellement.
Ils soutiennent l'idée que l'Etat doit davantage investir dans la prévention routière. Une option confirmée par un récent rapport de la Banque mondiale suite à une étude financée par l'organisation Bloomberg Philanthropie basée sur une nouvelle méthodologie de calcul dans laquelle l'évaluation de l'impact économique de la sécurité routière se fonde sur une exploitation détaillée des décès et des indicateurs économiques de 135 pays, une réduction de 10% de la mortalité routière entraînerait une augmentation de 3,6% du P.I.B. (produit intérieur brut) par habitant sur une période de 24 ans. Un objectif à long terme mais aux retombées bénéfiques.
Les catastrophes routières au cours de la dernière décennie ont révélé l'incidence de l'augmentation du parc roulant sur le nombre de victimes. Il faut s'attendre à pire avec l'ouverture du marché de l'automobile et les facilités bancaires accordées à la clientèle potentielle. Toutes les villes d'Algérie se plaignent aujourd'hui de la saturation des réseaux urbains du fait de la pléthore de voitures mises en circulation parce que les aménagements des cités effectués sans vision prospective s'avèrent dépassés par l'ampleur du trafic routier. Aucune trémie par exemple n'existe au périmètre urbain d'Aïn-Témouchent dont la modernisation est désormais obérée par des projets en cours érigés sur des assiettes à haute valeur foncière au mépris des lois de l'urbanisme. Nous pensons au carrefour de la direction de la Sonelgaz qui aurait pu servir à une première expérience pour édifier un important échangeur structurant la partie sud-est de la cité d'autant qu'une des plus grandes casernes du pays est en chantier sur la route de Chaabat. En affectant l'assiette jouxtant le carrefour en question à des promoteurs immobiliers, les auteurs de ce bradage ont empêché toute tentative d'aérer le tissu urbain et de réguler la circulation. Une occasion encore ratée de faire de cet endroit névralgique un modèle de structuration urbaine en éliminant l'ancienne cave -une verrue- située dans le prolongement du site, au moment où dans d'autres wilayas on n'hésite pas à exproprier afin de moderniser les voies urbaines. Les accidents qui se produisent dans des agglomérations ou sur les routes express constituent une véritable tragédie que les multiples mesures répressives n'ont pu endiguer et dont les conséquences en termes de pertes de vies humaines et de coûts de santé s'avèrent exorbitantes.
La société supporte de plus en plus mal ce terrorisme routier et elle le fait savoir, périodiquement, comme à Mascara quand un écolier a été renversé par un véhicule ou récemment à Blida lorsqu'un véhicule utilitaire a percuté des passants faisant cinq morts, selon un bilan ; la population a barré la route et exprimé sa colère. Le mois sacré de Ramadhan est à nos portes, pourvu que la pondération et la lucidité soient au rendez-vous.
L'effroyable accident qui s'est produit en 2015 sur la R.N. 2 reliant Oran à Aïn-Temouchent et qui a coûté la vie à quatre jeunes policiers est encore dans les mémoires. Il a relancé à cette époque, avec une acuité exceptionnelle, la question de la sécurité routière sur cet axe menant à la frontière marocaine. Quotidiennement des dizaines de personnes sont tuées ou blessées dans des accidents, parfois dans des circonstances où l'inconscience autant que l'irresponsabilité le dispute au laxisme des structures en charge de la gestion du parc automobile. Sous d'autres cieux cette montée en puissance du nombre de victimes, jamais égalée dans l'histoire de notre jeune pays, aurait certainement suscité les réactions franches des pouvoirs publics et de la classe politique. Face à ce douloureux phénomène tout comme celui de la drogue qui provoque des ravages au sein de la société, n'importe quel parlement du monde aurait ouvert un débat sérieux appuyé par des rapports de commissions d'enquêtes pour cerner ces problématiques cruciales. Si tant est que la majorité de nos élus nationaux, avec le niveau qui est le leur, parviennent à saisir les éléments d'une réflexion propre à de tels débats. Laissons donc ce travail salutaire aux experts et aux associations concernées.
La défaillance des politiques a déteint sur un bon nombre de secteurs vitaux et pas seulement sur celui des transports et des travaux publics, l'un étant intimement lié à l'autre. Chez nous, hélas, on en est encore au stade des palliatifs, car manifestement ni la sévérité apportée par les amendements des textes régissant le code de la route ni l'amélioration du réseau de circulation n'ont eu les effets escomptés sur cette hausse effrénée des sinistres enregistrés aux quatre coins de l'Algérie. La dernière mesure que nous avons préconisée d'ailleurs il y a de cela quelques années et qui consiste à mobiliser des voitures de police banalisées pour piéger sur les routes les chauffards peut effectivement influer positivement sur les statistiques. Sachant que la peur de l'inconnu a des chances de dissuader les fous du volant. Mais est-ce suffisant lorsque l'on se réfère à l'accidentologie (science des accidents) nationale ?
L'accident : le résultat d'un ensemble de causes
On se doute rarement que la compréhension d'un accident commence souvent avec l'ouverture de la portière. Dans quel état d'esprit se trouve un chauffeur quand il prend le volant ? Et quel est, à ce moment, l'état du véhicule ? De la route ? Du climat ? Des organes humains ? Ce dernier point, de nature bio-mécanique, est fortement impactant parce que les efforts du conducteur nécessitent une capacité de résistance suffisante pour ne pas altérer les sens. L'accidentologie s'intéresse à tous ces aspects. Elle ne privilégie pas l'un des facteurs qui devient la «cause» de l'accident mais se réfère à une association de facteurs. Une approche systémique du problème en vue de sa clarification. Les spécialistes s'accordent à dire que les études accidentologiques doivent dépasser le simple dénombrement des morts et des blessés pour atteindre la compréhension des mécanismes et donner leur juste poids aux différents facteurs de risque. Chaque élément de la chaîne causale est envisagé dans la relation avec autrui. En prenant en compte le maximum de données relatives aux accidents (conducteur impliqué, véhicule et environnement où évoluait le véhicule) et en les intégrant pour leur exploitation dans des systèmes informatiques sous une forme codée, il est clair que l'identification des causes objectives va permettre de renforcer la prévention.
On constate un abus d'interprétation dans le fait de vouloir privilégier un des partenaires de l'évènement et d'attribuer l'accident au comportement de l'usager (facteur humain selon la grille usitée) ou aux défaillances de son véhicule ou encore à une route mal aménagée dans les causes les plus simples. Pour comprendre l'accident de la route, il faut éviter de réduire le système à l'une de ses composantes. Dans cette optique, les assureurs, également, s'appuyant sur leurs propres bases de données des accidents, participent à cet effort de compréhension et de sensibilisation. Alors que les accidents provoquent des ravages sur les routes, il est tout de même affligeant que les sociétés d'assurances s'investissent peu ou prou dans des campagnes de prévention alors que le bon sens économique voudrait que lorsqu'il y a moins d'accidents les frais de remboursement retentissent favorablement sur les comptes des assureurs. En Europe des groupes d'assurances ont leur propre centre de prévention. Pour l'instant, dans le domaine de la lutte contre le phénomène des accidents, ce sont les services de sécurité, police et gendarmerie, qui sont en première ligne. L'institution éducative et la Protection civile organisent de temps à autre des opérations de sensibilisation mais sans plus. Un évènement cependant mérite d'être souligné, en l'occurrence le salon de la sécurité routière organisé traditionnellement par le Centre national de préservation et sécurité routière. Les visiteurs de ce salon ont pu, à travers cette vitrine des dernières technologies en la matière, constater les progrès réalisés pour protéger les automobilistes et combattre la criminalité routière. Il reste en ce qui concerne notre pays, beaucoup de choses à entreprendre pour atteindre les standards internationaux. D'autant que la première étude sérieuse demandée en novembre 2010 à l'issue d'une journée d'information sur la sécurité des routes devait éclairer les spécialistes sur la réalité du terrain. On ne sait pas si cette recommandation a eu un effet ou non. En tout état de cause, il est impératif d'affiner ce type d'analyses pour consacrer l'accidentologie en tant qu'instrument de lutte contre les accidents. Il existe des organismes de recherche très avancés dans le domaine de la sécurité routière qui peuvent dans le cadre de la coopération nous faire profiter de leur expertise.
A l'instar de l'I.F.S.T.T.A.R. (Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux) ou encore le C.E.E.S.A.R. (Centre européen des études sur les accidents et l'analyse des risques) créé en janvier 1996. Ces sources de renseignements et d'exploitation du renseignement considèrent qu'une statistique «accidentologique» qui ne fait pas la distinction entre l'accident, les impliqués et les usagers concernés est inutilisable. Par ailleurs, ils déterminent les facteurs de risque qui ont concouru à la gravité de l'accident.
S'agissant des panneaux de signalisation routière, leur respect n'est pas évident puisque une bonne proportion des conducteurs ne les respecte pas. Par exemple, limiter la vitesse relève de la sécurité primaire dont se soucient peu les amateurs de sensations fortes, une priorité est vite violée pour doubler. Autres cas : en accidentologie des intersections où la notion d'expérience, d'aptitude et d'attention domine, les enquêteurs se basent sur une série d'indices de compréhension tels que la vitesse à l'impact, dite vitesse de collision, les dépassements aventureux à l'approche des croisements de routes, l'état des pneus, de la chaussée, etc. Dans les chocs frontaux provoqués par des pertes de contrôle, leur forte fréquence est liée généralement à la fatigue, l'assoupissement, voire l'endormissement. Pourtant la sophistication des équipements de surveillance branchés sur le véhicule, pour augmenter sa protection et sa fiabilité, s'est généralisée. Les constructeurs d'automobiles rivalisent d'ingéniosité pour doter leurs marques d'objets de protection et de caméras de surveillance. Le véhicule totalement autonome est déjà en circulation.
Il existe entre le conducteur au volant et la technique ce qu'on appelle un champ de tension. En effet, les systèmes d'assistance et d'information sont devenus pour l'usager l'attribut indispensable des voitures modernes dont ils améliorent le confort et la sécurité. Selon une étude d'un assureur européen, le développement systématique des assistants à la conduite et leur diffusion à plus grande échelle permettent à l'avenir d'éviter un accident sur deux ou de réduire au moins les conséquences du choc. De plus, la tendance est à la simplification des fonctionnalités électroniques embarquées, car une sollicitation excessive du chauffeur ou un surmenage sensoriel de ce dernier pourrait le distraire, tout comme le téléphone portable, et provoquer un accident.
Camions, semi-remorques et bus de voyageurs représentent le 1/3 des accidents
On les appelle les anges de la mort et sont impliqués dans 29% des accidents. Ils roulent à tombeau ouvert sur les routes pour rattraper le temps perdu. En 2013, ils ont causé la mort de 1.470 personnes. Eux, ce sont les mastodontes de la route et autres engins de transport de voyageurs et de marchandises qui se croisent dans un ballet interminable, chacun conduit par des hommes qui jouent souvent à la roulette russe afin de satisfaire leur agenda personnel. Oubliant qu'ils jouent avec la vie des autres. Nous en avons fait une amère expérience durant un trajet de nuit entre Aïn-Temouchent et Alger. Le jeune écervelé de chauffeur a passé son temps au volant à discuter, fumer, boire son café et répondre au portable quand il ne fouinait pas, debout sur son siège, dans le tableau de bord à la recherche d'un C.D. pendant que le car roulait tous phares allumés. Nous étions les seuls parmi la quarantaine de voyageurs entre adultes et enfants à l'avoir rappelé à l'ordre, ce qui a eu pour effet de susciter son courroux.
Nous avions évité par deux fois l'accident…Si la route tue, c'est parce que les chauffeurs et les propriétaires d'engins piétinent la loi : surcharge entraînant l'usure des organes du véhicule, temps de repos non respecté, matériel vétuste, conducteurs inexpérimentés… Aucun contrôle routier en Algérie ne permet de vérifier le temps passé au volant et les barrages de contrôle, faute de réglementation, n'effectuent aucune vérification sur les chrono- tachygraphes, ces disques mouchards qui font office de boite noire pour camions et bus de voyageurs. La majorité des chauffeurs -un syndrome algérien?- veulent gagner du temps pour gagner encore plus d'argent surtout les transporteurs de carburant payés à la rotation. Ivres de fatigue ces «rouleurs de fond» se dopent au café noir et à la cigarette pour essayer de garder le cap jusqu'à l'instant fatidique où tout bascule. Pas de chauffeur-doubleur ni la présence d'esprit de s'arrêter. Il est aussi admis que les accidents sont plus fréquents dans la période qui suit l'obtention du permis de conduire. Un document controversé qui n'échappe pas aux critiques et… aux rumeurs. Un secret de Polichinelle en fait lorsque le permis est parfois retiré puis rendu au contrevenant loin des regards indiscrets contre compensation ou simple coup de main. Surtout si la personne prise en défaut exerce le métier de chauffeur et craint pour son gagne-pain. Une impunité qui un jour ou un autre conduira au drame. Dieu saura reconnaître les siens… Comment peut-on, dans cet ordre d'idées, accorder à des jeunes sans emploi des facilités déconcertantes pour acquérir sans permis ni expérience des engins motorisés ? Les chiffres du C.N.D.S.R. le confirment : les conducteurs titulaires d'un permis de moins de 02 ans sont impliqués dans 27% des accidents. En outre, de vieux tacots datant des années 70 et 80 continuent de circuler dans un état déplorable mettant en danger piétons et automobilistes. Des voitures neuves et puissantes conduites par des moucherons à peine sortis des limbes -progéniture choyée et autres bénéficiaires de prêts ANSEJ- slaloment en plein centre urbain sans que personne n'ose mettre le holà. Les uns paradent à qui mieux mieux quand d'autres sur les axes à grande vitesse et calés dans leur bus Toyota Coaster ou dans leur camion à benne dépassent allègrement les vitesses imposées. Une farandole qui touche l'ensemble du réseau routier national fauchant dans sa folie des milliers de vies humaines. Tout le monde est interpellé mais que faire ? Et à quand la fin du cauchemar ?


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