C'est l'administration qui va exercer le pouvoir au niveau des collectivités locales, avec les mains des élus», déplore-t-on. Après leur installation, les nouvelles Assemblées populaires communales et de wilaya seront régies par des nouveaux codes ; les lois n° 11-10 relatives à la commune et le code de wilaya ont été amendées à la faveur des réformes engagées par le président de la République. Des amendements aux articles ont été apportés dans divers chapitres, notamment le fonctionnement des assemblées, la responsabilité des élus locaux, la préparation du budget. Des lois qui ont créé la polémique et l'indignation des élus, le débat autour de leur révision n'ayant pas été élargi aux élus locaux. Si le ministère de l'Intérieur a estimé que les nouvelles lois permettront de «consolider la démocratie locale et faire de l'APW une force de proposition en encouragent l'initiative locale», les élus ne l'entendent pas de cette oreille. L'APW, un organe délibérant Pour les édiles, l'administration a laminé les prérogatives des élus pour avoir le contrôle total sur les collectivités locales. Dépouillé d'un pouvoir décisionnel, le président de l'APW est réduit à «réguler» des sessions qu'organise l'APW périodiquement et l'assemblée reléguée à un simple organe de délibération. Par exemple, l'article 50 du code de wilaya stipule que les délibérations de l'APW ne sont exécutoires qu'après approbation si elles portent sur les questions suivantes : budgets et comptes, notamment, qui restent du ressort du wali. A ce propos, l'ex-élu FFS à l'APW de Tizi Ouzou, M. Brahimi, avait déclaré : «Nous allons nous retrouver avec un code de wilaya qui relègue les représentants du peuple à voter et distribuer un budget dérisoire. Nous sommes déjà privés du droit de regard sur le budget que nous répartissons sur les différents secteurs. Des sommes sont grevées d'affectation et échappent donc à notre contrôle, comme le budget réservé à la garde communale.» En vertu de l'article 57, l'Assemblée populaire de wilaya peut constituer, à tout moment, une commission d'enquête sur les questions liées à la gestion par l'exécutif de la vie socioéconomique de la wilaya. Mais ce qui a été retenu dans les faits, c'est qu'à Tizi Ouzou, des enquêtes ont été engagées par l'APW sans pour autant aboutir. Des requêtes destinées au ministère de l'Intérieur qui en a rejeté la constitution au motif officiel que la demande était écrite en arabe, par exemple, ou du fait d'opposition au sein de l'assemblée. Mais ce qu'appellent les élus «interférence de l'Etat» est le fait le plus édifiant dans le code communal eu égard à la dotation de pleins pouvoirs au wali. Que pensent les élus de la nouvelle mouture ? Dans cette forme d'expression du pouvoir, cherche-t-on à aller vers une véritable décentralisation où l'élu sera doté d'une meilleure marge de manœuvre pour gérer les affaires publiques à travers l'initiative locale ? «Rien n'a changé puisqu'ils ont repris tous les textes de l'ancien code communal, mais la seule différence, c'est qu'il y a 38 articles dans ce nouveau code au lieu de 2 pour lesquels le législateur mettra des textes réglementaires d'application afin d'arrêter les procédures d'exécution des articles du code communal. C'est une dictature car leur intention, c'est d'avoir un contrôle quasi total sur les élus. Donc, chaque page, chaque action, chaque acte administratif ou politique du maire sera assujetti à l'accord préalable du wali», estime Ben Ameur Belkacem, député FFS pour la circonscription de Boumerdès et ancien maire. Le maire marginalisé Pour notre interlocuteur, «le pouvoir cherche un contrôle définitif de l'Etat central sur les collectivités locales. La décentralisation, on en parle tout le temps, mais pour le pouvoir, ce n'est qu'un slogan. Et puis, dans le contexte général du pays, si on libère l'initiative locale et qu'on décentralise les pouvoirs vers les collectivités locales en termes de responsabilité et de moyens, on aura un pouvoir réparti sur 1541 communes». C'est pour cette raison, poursuit le député, que «le régime centralise le pouvoir local et le vide de sa substance pour rendre difficile la mission des élus du peuple, parmi lesquels peu d'entre eux sont sortis indemnes à la fin de leur mandat. Ainsi, la commune devient une machine broyeuse d'hommes et la société est appelée, à la fin de chaque mandature, à faire encore l'effort d'oublier la déception passée et de placer encore une fois l'espoir dans d'autres candidats qu'elle aurait enfantés». Dans le nouveau code communal, il est constaté que le wali est très présent dans les actes du maire. La section 5 du régime des délibérations, article 55, stipule qu'après signature des délibérations par les membres de l'assemblée, celles-ci sont adressées au wali qui en accuse réception. Ce dernier, en vertu de l'article 57, est le seul à ordonner l'exécution des délibérations portant sur les budgets et les comptes, l'acceptation de dons et legs étrangers, les conventions de jumelage et les aliénations du patrimoine communal. «Toutes les délibérations dans le nouveau code doivent être approuvées par le wali. La délibération n'est pas exécutoire, alors qu'auparavant, la délibération était exécutoire après son approbation par l'APC. Avant, le wali intervenait uniquement si cela relève d'exception, quand il y a un disfonctionnement ou défaillance majeure dans la gestion des affaires publiques ; c'est normal que l'Etat prenne ses responsabilités, ce qu'il fait rarement d'ailleurs. Mais maintenant, il a ouvert la voie à tous les abus.» Pour preuve, l'article 43 est comme une épée de Damoclès sur la tête des élus locaux. M. Ben Ameur atteste : «Il suffit qu'il y ait une plainte, alors le wali peut simplement apprécier les choses sans même parler à la population et destituer le président de l'APC.» Citant le cas de Boumerdès où le wali a appliqué cette loi, 5 maires ont été suspendus de manière «abusive», sans avancer les motifs de suspension qui ne sont pas déclinés dans ce code. Selon les propos du ministre de l'Intérieur, le code communal est venu parer au problème de blocage des assemblées en introduisant le principe de substitution du wali. Mais pour cet ex-maire, «le blocage des APC n'a jamais été un vrai problème, mais l'Etat n'a jamais joué son rôle… il ne faut pas se leurrer, le nouveau code interdit les destitutions dans la première et la dernière années du mandat du maire. Ils ont créé un motif, ce qui peut tenter les gens à destituer un maire grâce à la loi du pourcentage, la liste ayant 30% des sièges peut proposer un candidat pour le poste de président d'APC». Pleins pouvoirs au wali En effet, le chapitre 3, intitulé «du pouvoir de substitution du wali» renferme 3 articles conférant tous les pouvoirs au wali pour accomplir tous les actes assignés au maire en cas de dysfonctionnement, d'abstention ou lorsqu'il s'agit d'assurer la sécurité des citoyens. Dans le même ordre d'idées, le vice-président de la commune d'Irdjen, Larkech Mourad, a estimé sans ambages : «L'ancien code communal est de loin meilleur à tout point de vue malgré les manques qu'il renfermait.» Pour étayer ses propos, ce candidat, qui conduira la liste du RND pour les prochaine joutes électorales du 29 novembre sous les couleurs du RND, a expliqué : «Le nouveau code communal fait toujours référence au pouvoir de substitution de l'administration, car toutes les délibérations sont soumises à l'approbation de l'administration, pourtant la responsabilité civile et pénale est engagée à chaque fois que des décisions sont prises par le maire, qui risque des sanctions lorsque celles-ci sont à contre-courant des services de l'administration. De ce point de vue, nous constatons la primauté de l'administration sur le président d'APC, qui est pourtant élu par la population pour répondre à leurs préoccupations dans le cadre de la loi.» Notre interlocuteur ajoute que ce code ne met pas fin aux situations de blocage des APC, au contraire, il peut même les provoquer, selon ses dires. «Le maire sera élu par les membres de l'assemblée, lesquels ne peuvent toutefois pas le destituer puisque l'article de retrait de confiance a été supprimé. Aussi, le fait d'imposer le taux de 30% pour l'élection d'un maire sur une liste ouvre le champ à une autre liste de tenter des blocages pour élire leurs représentants», constate-t-il. Dans le paragraphe 2 relatif aux attributions du président d'APC au titre de la représentation de l'Etat, le maire a la qualité d'officier de police judiciaire comme le stipule l'article 92. Ainsi, en vertu de l'article 93, le maire «dispose d'un corps de police communale dont le statut est défini par voie réglementaire. Le président de l'Assemblée populaire communale peut, en cas de besoin, requérir les forces de police de la sûreté ou de Gendarmerie nationale, territorialement compétentes, suivant les modalités définies par voie réglementaire». Mais sur le terrain, M. Larkech déplore l'ambiguïté qui entoure la création d'une police municipale dont les contours, en termes de statut et de missions, ne sont pas encore connus. Dans les faits, le maire ne peut pas saisir la force publique sans passer par une panoplie de mesures bureaucratiques qui diminuent de l'efficacité des édiles.