Nous sommes dans la m…, mais ce n'est pas une raison pour la remuer», avertissait pourtant le général, l'officier le «plus décoré» de France, alias Marcel Bigeard. Hier à Fréjus, dans le Var, la France «officielle» a remué plus qu'un «bras d'honneur», les cendres encore brûlantes du «héros» de ses guerres coloniales, remettant au goût du jour les fumeuses «crevettes Bigeard». Une stèle – la deuxième en 5 mois après celle de Carcassonne – à la gloire de cet officier tortionnaire a été érigée sur le mémorial des guerres d'Indochine à Fréjus où sont inhumés déjà quelque 20 000 soldats français. François Hollande, le président français, n'était certes pas de la cérémonie, mais Valéry Giscard d'Estaing, ancien mais néanmoins président la République française y était présent – VGE prononcera à l'occasion un discours – ainsi que des ministres du gouvernement socialiste : les ministres de la Défense, Jean-Yves Le Drian et le ministre délégué aux Anciens combattants, Kader Arif. Que de la symbolique autour de cette «cérémonie» qui vient clore deux ans de controverses sur la destination des restes de l'ancien résistant à l'occupation, «nazi» devenu expert en guerres coloniales. La cérémonie, programmé un 20 novembre, date anniversaire de l'opération Castor qui a vu Bigeard et ses paras «sauter» sur Diên Biên Phu, tiendrait (d'après le journal Le Télégramme) de l'«hommage mémoriel et non politique comme on l'expliquera au ministère de la Défense». Un ministère de la Défense qui louait sur son site internet les qualités de «meneur d'hommes» etc. de Bigeard. «Bien plus qu'un chef, écrit-on, le général Bigeard, était un meneur d'hommes. Celui vers qui les regards se tournent naturellement dans les moments les plus difficiles ; celui qui cultive le goût de l'exigence et de la ‘‘belle gueule'', celui qui enseigne que pour ‘‘être et durer'' il faut être souple comme le cuir et trempé comme l'acier.» Dans sa lettre ouverte à Le Drian, le militant anticolonialiste Henri Pouillot (ancien appelé du contingent français, Pouillot s'est retrouvé de 1961 à 1962 à la Villa Sésini, un des centres de tortures d'Alger), s'est dit «outré» de la disponibilité affichée par ministre de la Défense à fleurir la tombe du général. «Si vous mainteniez cette démarche, cela signifierait donc que la République française, encore aujourd'hui, légitime l'utilisation de la torture, pire, la glorifie. Cela voudrait dire que la France est fière d'avoir exporté ces techniques sur le continent africain. Cela serait une injure aux milliers d'Algériens torturés, assassinés par cet officier.» Cette inauguration se trouve aussi «en contradiction avec le premier pas de reconnaissance effectué le 17 octobre dernier reconnaissant la responsabilité de la France dans le massacre des Algériens à Paris, il y a 51 ans», ajoute-t-il. L'apôtre de la torture systématisée Mais…Ce n'est pas à la nécropole de Fréjus que le général Bigeard, mort le 18 juin 2010, avait souhaité voir entreposer ses «cendres». Avant de mourir, chez lui à Toul, à l'âge de 94 ans, Bigeard avait émis le vœu que ses cendres soient dispersées au-dessus de la cuvette de Dien Bîen Phu où l'armée coloniale française a essuyé (mars-mai 1954) une lourde défaite devant la résistance Viêt Minh, entre 23 et 25 000 soldats tués. Mais le «niet» des autorités vietnamiennes, opposées à l'ultime vœu du général Bigeard, commandant du 6e Bataillon des parachutistes coloniaux (6e BPC) en Indochine a fait que les cendres de ce dernier sont entreposées non à l'hôtel des Invalides comme proposé par l'ex-ministre de la Défense, Gérard Longuet, mais à Fréjus. Une pétition initiée par l'Humanité, soutenue par des dizaines d'associations de gauche et près de 10 000 signatures militantes, interdira aux cendres de Bigeard l'accès au panthéon des Invalides. «Nous n'acceptons pas, écrivaient les pétitionnaires, que la notion d'héroïsme soit liée à l'histoire de cet homme. Lors des guerres coloniales conduites par la France, les vrais héros étaient ceux qui, dans les pays colonisés, luttaient pour la liberté et l'indépendance de leurs peuples, ceux qui, en métropole, ont eu la lucidité de dénoncer ces conflits…» «Non, je ne regrette rien !» Débarqué après la débâcle de Diên Biên Phu dans la région de Constantine, en 1955, Bigeard prendra, le 25 octobre de la même année, le commandement du 3e Bataillon de parachutistes coloniaux qui deviendra un an après le 3e RPC. Blessé lors d'une opération militaire aux Nememchas, il est évacué en France où il est fait «grand officier de la Légion d'honneur». Bigeard ne reprendra du service qu'un an plus tard. A Alger, en 1957, sous les ordres du général Massu, Bigeard et son régiment sont chargés de démanteler les réseaux FLN-ALN et de reprendre le contrôle de la capitale algérienne. Sa «Bataille d'Alger», il la mènera à sa façon, implacable et inhumaine, avec son lot d'arrestations massives, exécutions sommaires, tortures à grande échelle. Contrairement à ses acolytes de la Bataille d'Alger (Massu, Paul Aussaresses, Le Pen), Bigeard n'a jamais «soulagé sa conscience». Le «supplice de la baignoire», la «gégène», le général n'a jamais voulu en entendre parler. En juillet 2000, il qualifiait ces méthodes de «mal nécessaire». «Nous avions à faire à des ennemis motivés, des fellagas, les interrogatoires musclés, c'était un moyen de récolter des infos», disait-il. «Mais ces interrogatoires étaient très rares et surtout je n'y participais pas. Je n'aimais pas ça.» En 2001, suite aux révélations du général Aussaresses qui avouait être l'assassin de Larbi Ben M'hidi, héros de la résistance algérienne, Marcel Bigeard s'en lavait les mains : «Mes prisonniers étaient vivants quand ils quittaient mon quartier général. Et j'ai toujours trouvé dégueulasse de les tuer. Mais c'était la guerre et on devait trouver les bombes qui tuaient des civils.» Bigeard, jusqu'à ses ultimes instants de vie, est resté droit dans ses bottes. Insensible aux cris de milliers de ses victimes algériennes. «Non, je ne regrette rien ! Nous avons fait face à une situation impossible», déclarait, sans état d'âme, l'ancien «para» (interview au quotidien suisse la Liberté, octobre 2007). Toutefois, consolera l'Association nationale des pieds-noirs progressistes et leurs amis (ANPNPA), Bigeard demeurera «aux yeux de tous les démocrates (…) l'apôtre et le praticien de la torture systématisée et de l'assassinat dans les caves obscures de la villa Sésini, le sinistre inventeur des “crevettes Bigeard” lâchées d'hélicoptère les pieds scellés dans un bloc de ciment et dont les cadavres échouaient sur les plages de l'Algérois, le tortionnaire qui jamais ne reconnut ni ne regretta ses crimes, de la “disparition” de Maurice Audin à la pendaison de Larbi Ben M'hidi et au meurtre de milliers d'autres Algériens luttant pour l'indépendance de leur pays».