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Le cinéma arabe s'attaque à l'extrémisme religieux
Publié dans El Watan le 30 - 11 - 2012


De notre
envoyé à Abu Dhabi
Le terrorisme, l'intégrisme, le fondamentalisme, l'extrémisme politico-religieux, les interdits moraux, le rejet de l'autre, l'embrigadement moral inspirent de plus en plus les scénaristes et cinéastes arabes. Les révoltes, qui ont balayé les dictatures au Maghreb et au Moyen-Orient, ont ouvert la voie à une nouvelle expression dans le 7e art de la région. Une manière de dire le présent, d'interroger le futur et de se mêler du débat en assumant tous les risques. Lors du 6e Festival international du film d'Abu Dhabi, qui s'est tenu fin octobre aux Emirats arabes unis, plusieurs longs métrages, produits en 2012, se rejoignent, se croisent, se complètent sur ces préoccupations d'aujourd'hui.
Les sociétés arabes sont entrées, malgré les apparences, dans des couloirs. Certains mènent quelque part, d'autres droit au mur et d'autres encore vers la délivrance du poids étouffant du passé. Manmountech ou Beautés cachées, la dernière fiction du Tunisien Nouri Bouzid, plante le couteau encore chaud dans la chair vive. L'histoire se déroule avant et pendant la révolution des Tunisiens contre le régime corrompu de Zine El Abdine Ben Ali et de Leila Trabelsi en janvier 2011. Zeïnab (Nour Mziou) et Aïcha (Souhir Ben Amara) sont des amies.
L'une porte le hidjab, l'autre non. Aïcha travaille dans un café-restaurant en tant que pâtissière, Zeïnab est serveuse. Hamza (Bahram Aloui), frère de Zeïnab, sort de prison «endoctriné», porte déjà une barbe, et tente, dès le début, d'imposer sa loi à la maison, les règles de bonne conduite. Le père, qui ne cède pas et continue à prendre du vin comme avant à table, essaye de résister. Cela est déjà rare dans le cinéma arabe. La mère adhère aux thèses de son fils et demande à Zeïnab de porter le voile. La mère remplace donc le père dans «la domination» familiale, l'ordre interne, l'uniformisation. C'est du moins ce qui apparaît. Aïcha, qui avait par le passé une liaison amoureuse avec Hamza, est harcelée par son patron qui veut la convaincre d'ôter le hidjab pour servir en salle, «être belle».
Harcèlement
Le harcèlement prend également une forme sexuelle (la scène du sous-sol entre Aïcha et son patron est parfaite). Le fiancé (Lotfi Abdelli) de Zeïnab, un homme d'affaires installé à l'étranger, fait alliance avec le frère fondamentaliste et suggère à la famille de faire porter le hidjab à sa future épouse. Alliance tactique. Le fiancé affairiste semble symboliser le système maffieux de Ben Ali-Trablesi qui tente de muter en une autre forme. Forme adaptée au conservatisme en action ! Un accordéoniste de rue (Nouri Bouzid himself) est tué. Par des fondamentalistes ? On ne le sait pas, mais le cinéaste tente de le suggérer.
A gros traits. Péniblement. Le film est entrecoupé de plusieurs séquences de lavage mortuaire comme si Nouri Bouzid voulait évoquer «la mort lente» de la Tunisie des ancêtres, l'ancienne Tunisie. Et là, le cinéaste s'engage sur un sentier glissant, donnant l'impression de «condamner» la révolte du peuple tunisien parce qu'elle a enfanté d'un mouvement rétrograde. Nouri Bouzid, qui devait tourner le film en Egypte, a adapté son long métrage au contexte tunisien nouveau. Contexte de transition. Mais le réalisateur de L'homme des cendres ne paraît pas avoir pris suffisamment de recul vis-à-vis des événements. Il s'est mêlé et s'est retrouvé pris dans la boue jusqu'aux genoux.
Hidjab
L'actrice Souhir Ben Amara, toujours excellente, a donné de l'éclat à un film terne malgré la sensibilité du sujet. Il est vrai qu'on entend le bruit de la fureur des Tunisiens dans Beautés cachées. Des Tunisiens qui, dans la rue, scandaient le désormais célèbre «Echaâb yourid isqat el nidham» (le peuple veut faire chuter le régime). Mais ce n'est pas par sympathie que le cinéaste l'ajoute. Lors du débat qui a suivi la projection de son film dans l'une des salles du multiplex Vox au Marina Mall, à Abu Dhabi, Nouri Bouzid a relevé que le port du hidjab n'est pas imposé en Tunisie.
«Si tel était le cas, Zeïnab n'aurait pas résisté à sa mère et aurait porté le voile. Elle n'a pas cédé parce qu'elle sait qu'elle a raison. Avant la révolution, il n'y avait pas beaucoup de femmes voilées», a-t-il soutenu. Souhir Ben Amara, qui a interprété le rôle de Zeïna dans la fiction de Réda Béhi, Dima Brando, a, pour sa part, noté que poser la question du hidjab est une manière de s'interroger sur l'identité. «Qui es-tu ? Et qui suis-je ? Les mêmes questions se posent actuellement en Egypte», a-t-elle dit lors du même débat. Produit par Cinéma Télévision Vidéo Services (CTV) de Abdelaziz Ben Mlouka et par Georges Marc Benhammou, le film Beautés cachées, qui n'est pas encore sorti dans les salles en Tunisie, semble reprendre l'idée du comédien Bahram Aloui : «Aujourd'hui que Ben Ali est tombé, il faut passer à autre chose.»
Censure
Cinq ans après Making Off, un film sur l'embrigadement doctrinaire menant au terrorisme, Nouri Bouzid continue donc d'explorer la même thématique en s'adaptant à la marche de l'histoire. Le critique de cinéma Mustapha Joundi du quotidien émirati Al Khaleej prévient contre l'extinction de «l'âme du cinéma» arabe après la montée des courants religieux, les courants qui ont le plus profité du Printemps arabe. «Les limites imposées par la censure ont-elles disparu ? Ou ont-elles été remplacées par d'autres formes de censure ?», s'est-il interrogé à juste titre.
La censure par la contrainte apparaît clairement comme trame essentielle de la nouvelle fiction Al maaghoub allayhoum (Les mécréants) du Marocain Mohcine Bensri, projeté dans la section «New Horizons» au Festival d'Abu Dhabi. La question du radicalisme religieux y est abordée franchement, sans retenue. L'histoire n'est pas complexe. Trois jeunes islamistes enlèvent un groupe de jeunes comédiens lors d'une tournée artistique quelque part au Maroc. Des comédiens qui, sur scène et dans leur pièce, critiquaient, à leur façon, les fanatiques.
Les ravisseurs sont dans l'embarras : que doivent-ils faire de leurs otages ? Les tuer ? Les relâcher ? L'émir, le chef, n'a donné aucun ordre. Dans l'attente, lente et pesante à la fois, le huis clos, la descente aux enfers, le rapport conflictuel, les éclats de voix, la peur, les questionnements, le doute… Deux mondes s'affrontent. L'un se veut ouvert et moderne, l'autre fermé et rétrograde. Deux mondes qui ne dialoguent plus. Vision simpliste. Caricaturale.
Talibans
Mais Mohcine Besri a voulu peut-être montrer avec des marques visibles les territoires de la situation paradoxale des sociétés arabes d'aujourd'hui. Territoire où le conservatisme se prolonge en extrêmisme et la contemporanéité en excès. Et les deux camps se regardent dans le blanc des yeux, cherchent à se neutraliser. Le jeu réaliste des comédiens tels que Jamila El Haouni, Abdenbi El Beniwi, Rabii Benjhaile, Aïssam Bouali et Mostafa El Houari a donné une certaine épaisseur au film. Al maaghoub allayhoum, une coproduction maroco-suisse, le premier long métrage de Mohcine Besri qui a déjà réalisé deux courts métrages, Kafka, mort ou vif et Heaven. En 1992, il a joué dans la fiction de Joseph Sergent, The bible.
Tourné à Ouarzazate, au sud du Maroc, Tora Bora, le premier long métrage du Koweïtien Walid Al Awadi pose d'une manière plus crue, plus réelle, la question de l'extrémisme moyenâgeux, celui des talibans d'Afghanistan. Les talibans sont «le modèle» des temps modernes de tout ce qui est fanatique. A travers le voyage risqué d'Oum Tarek et d'Abou Tarek, parents d'un jeune garçon happé par le radicalisme des talibans, le film s'engage sur les pistes de Tora Bora, nom donné à des cavernes dans les monts de Safed Koh dans l'Est afghan.
Le vieux couple fait face à de dures épreuves. Le père, admirablement interprété par Saad Al Faraj (dont la physionomie rappelle celle de l'acteur américain Morgan Freeman), se fait arrêter par les talibans en cours de route. Il est frappé et sauvagement malmené. La mère (Asmahan Tawfik) est épuisée et tombe malade. Le fils Tarek (Khalid Ameen, valeur sûre du cinéma koweïtien), qui subit un véritable lavage de cerveau, est envoyé pour un attentat kamikaze. Une fois sur place, il découvre que le lieu indiqué n'est pas un campement militaire mais… une école. Il se rebelle à sa manière. «C'est cela votre djihad !», lance-t-il à l'adresse du chef.
Famille
Au fait, que combattent exactement les talibans ? Les forces armées occidentales ? La population civile ? Les femmes ? Les filles qui vont à l'école ? Les pauvres ? Ce combat douteux d'hommes sortis des trous béants de la haine est ouvertement et courageusement dénoncé par le film de Walid Al Awadi. Les décors conçus par Aziz Hamichi ont donné de la puissance à la fiction. Presque à la fin de l'aventure, Abou Tarek reconnaît son erreur presque fatale : n'avoir pu contenir son fils, le maintenir près de lui. Message clair. «J'ai veillé à dire, à travers le personnage du père, que la faute incombe aussi à la famille. Mais ce n'est pas schématique. J'ai été éduqué par des parents qui n'ont jamais été à l'école. Je ne suis pas devenu pour autant un fanatique.
Mes parents ont été eux-mêmes éduqué dans un univers où l'on aime tout ce qui est beau», nous a expliqué Walid Al Awadi après la projection du film. Fils de pétrolier, Walid Al Awadi, 47 ans, est diplômé en génie civil. Il a étudié le cinéma à la New York film Academy, a réalisé des documentaires comme A Moment in Time (Un moment dans le temps) en 1995 et Dreams Without Sleep (Rêves sans dormir) en 2002. Tora Bora a décroché deux prix au Festival du film du Golfe à Dubaï (en avril 2012). Il a été projeté fin octobre à Londres et sélectionné dans la compétition officielle au Festival international du Caire. Pendant onze semaines, Tora Bora a été projeté dans les salles au Koweït. Pendant les trois premières semaines, la projection a fait salle comble. Du jamais vu dans l'histoire du 7e art koweïtien.


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