Nous sommes en train d'achever le processus de transition à l'économie de marché. Sur le plan macroéconomique, beaucoup de bonnes décisions ont été prises : remboursement de la dette, création d'un fonds de régulation, sécurisation des nos réserves, financement de quelques infrastructures stratégiques. L'énumération est longue et on ne peut lister exhaustivement les mesures rationnelles prises par nos décideurs. D'un autre côté, nous avons eu aussi notre lot de dérapages et parfois très sérieux : la règle applicable à tous les secteurs des 51/49 sans flexibilité aucune, le énième assainissement financier qui croit que les mêmes paramètres vont générer des résultats différents, des réformes administratives et financières pratiquement à l'arrêt, et surtout des choix peu judicieux de politiques macroéconomiques. C'est ce volet particulier qui nous intéresse à présent. Nous avons un contexte économique très spécifique : nous avons une économie de rente, ex-socialiste, en transition à l'économie de marché et sous-développée. Concevoir des politiques macroéconomiques dans un tel environnement est extrêmement complexe. Il est facile de se tromper. Les économistes ont l'habitude de répéter que «Peu de connaissances sont de dangereuses connaissances». J'ai expliqué à maintes reprises pourquoi les politiques de relance des dix-quatorze dernières années d'inspiration keynésiennes sont totalement inappropriées pour notre pays. On n'a pas su lire les hypothèses, les conditions à réunir pour qu'un tel modèle fonctionne. La profession des économistes sait que le keynésianisme est inopérant pour les pays sous-développés, mais dans notre pays on le tente quand même. Notre objectif est de réfléchir à une doctrine qui prenne en considération nos caractéristiques propres pour paver la route aux bonnes décisions macroéconomiques. Nos spécificités macroéconomiques Nous sommes une économie de rente. 98% de nos exportations et plus de 67% de recettes budgétaires proviennent des hydrocarbures. Cela doit avoir des implications en matière de politiques économiques. C'est ainsi que depuis de nombreuses décennies, les gouvernements qui se sont succédé ont toujours clamé que leur but était de bâtir une économie productive hors hydrocarbure efficace. Mais force est de constater que jusqu'à aujourd'hui, cette économie peine à voir le jour. Au contraire, l'importation explose (400% d'augmentation en dix ans) et la désindustrialisation s'accentue. L'industrie qui représentait plus de 15% du PIB en 1989 se situe actuellement sous la barre des 6%. Nous avons également connu les affres de l'hypercentralisation et l'hyper bureaucratisation de l'économie qui continue de constituer l'essentiel de notre culture économique. Beaucoup y voient le salut dans ces pratiques d'un autre temps, révolues et rejetées partout mais glorifiées et adulées chez nous. Malgré les énormes richesses et potentialités dont nous disposons, nous demeurons une économie profondément sous-développée. Quoique quelques avancées soient perceptibles, notre transition est loin d'être achevée. Les politiques macroéconomiques sont modulées pour faire face à de nombreux objectifs : les plus importants demeurent la lutte contre le chômage, la maîtrise de l'inflation et l'équilibre de la balance des paiements. Ces objectifs doivent être poursuivis avec vigueur. Tout pays vise un minimum de résultats dans ces domaines. Mais comment y arriver ? Il nous faut des orientations et une discipline pour y parvenir. Durant de nombreuses années, lors des derniers plans de réformes, de nombreux économistes parlaient de ciblage des secteurs prioritaires. Ce n'est pas le moment de faire ces choix. Dans notre contexte, nous avons à identifier les facteurs clés de succès. La relance qui cible les facteurs-clés de succès Il y a une composante des politiques macroéconomiques qui a fonctionné jusqu'à récemment : la lutte contre l'inflation. La récente explosion salariale a de sérieux risques de raviver les tensions inflationnistes. Nous risquons d'atteindre, puis de dépasser un taux de 10% même si le système statistique semble mal capter le phénomène. Mais la banque centrale a eu, jusqu'à présent, une saine attitude vis-à-vis de l'inflation. Dans notre doctrine, il faut donc continuer à scruter la masse monétaire pour qu'elle ne s'éloigne pas trop de la croissance économique. Nous orientons ainsi les anticipations inflationnistes vers une certaine hausse modérée. Nous sommes un pays sous-développé. Nous avons besoin de financer les facteurs clés de succès. Un minimum d'inflation peut être toléré, à condition de financer avec les facteurs-clés de succès. On a tendance à accepter cette pratique qui s'appelle «l'inflation de développement». En matière de doctrine macroéconomique, les politiques de rigueur (genre grèce) ne nous conviennent pas du tout. Non seulement on contribuerait à un effondrement économique, mais également à un effritement des équilibres sociaux, déjà très fragiles. L'économie hors hydrocarbures connaîtrait alors une descente aux enfers. Nous avons besoin pour les dix prochaines années (la décennie de la dernière chance) de faire une relance particulière : cibler les facteurs-clés de succès et décentraliser le processus de solution des problèmes. L'Etat doit dépenser de l'argent pour qualifier les ressources humaines selon les standards internationaux (formation et recyclage, utilisation des TIC) et moderniser ses pratiques managériales. Les ressources injectées seront recyclés par l'économie par la suite dans le circuit productif (multiplicateur). Les crédits à l'économie seront orientés pour financer l'économie productive. On a vu rarement dans le monde des banques d'Etat s'occuper de l'importation en l'état. Il faut injecter des ressources dans l'économie, probablement entre 7 à 10% du PIB, mais pour cibler les fameux facteurs-clés de succès. Ainsi, on aura le potentiel humain qui s'améliore, les institutions publiques et privées qui se rénovent et l'économie productive qui se réactive. Ce sont là les priorités de la relance, avec marginalement quelques infrastructures. Le mot d'ordre est : «Faire de la relance oui, mais pour rendre les institutions de l'Etat et les entreprises publiques et privées plus efficaces et plus compétitives». Tandis que la relance des années passées consistait à donner des ressources à des institutions et des entreprises inefficaces pour en gaspiller 80%. Nous devons changer de doctrine.