Pour réussir un nouveau régime de croissance, il faut réunir trois conditions essentielles : des objectifs de qualité clairement affichés, des moyens suffisants à mobiliser et une méthode de mise en œuvre efficace. Nous proposons une nouvelle approche. Que recèle-t-elle d'original par rapport au passé ? Il est souvent stipulé qu'une doctrine peut être bonne dans sa conception mais dérape lors de son exécution. Le diable serait dans les détails. Ceci n'est que partiellement raisonnable, parce que bien des détails se planifient. Une bonne conceptualisation cerne les conditions de réussite, y compris les mécanismes qui peuvent induire forcément des dérapages. Par exemple, le mode d'organisation de notre économie connaît une situation ambiguë : il est trop éparpillé pour les décisions mineures et trop centralisé pour les choix majeurs. Il est donc susceptible de rendre caduque toute stratégie de diversification. Nos administrations sont sur-bureaucratisées. Sans réformes profondes et rapides, nos administrations vont créer de la confusion dans les actions, introduire des incohérences et faire perdre des énergies et des ressources au système. Il faut donc identifier, dès la conception, les facteurs bloquants et les lever avant la mise en œuvre. Voyons si les objectifs, les moyens et les méthodes de la nouvelle approche sont appropriés. Quels objectifs devrions-nous avoir ? Je crois que cette fois-ci les grands objectifs tracés sont plutôt bons. Tous les acteurs parlent de financer l'économie productive, la diversification, le développement humain et la débureaucratisation. Nous sommes loin de l'hérésie du début des années 2000 où l'on privilégiait la relance par les infrastructures. On a finalement compris une évidence : la théorie keynésienne n'a aucune validité dans les pays en voie de développement. Dans ces pays, la relance produit surtout les importations et l'inflation. Les économistes de la planète sont d'accord sur la question, mais en Algérie la plupart avaient applaudi les trois premiers plans de relance. Ce fut un errement historique ! Malheureusement, il était cautionné par la vaste majorité des acteurs économiques et par certaines élites intellectuelles. Maintenant, cette question est derrière nous. Nous sommes en train de voir juste en termes d'objectifs : développement humain, dé-bureaucratisation, économie productive, diversification, économie de la connaissance sont les mots-clés du développement futur escompté. Nous avons déjà franchi un grand pas vers l'émergence. Il faut s'arrêter un instant et le saluer. Mais il ne faut point jubiler. Nous ne sommes qu'au stade de la conception du régime de croissance. Beaucoup reste à faire. Certes, fixer les bons objectifs est déjà encourageant. La dernière tentative : le développement en priorité par la modernisation des infrastructures commençait les errements déjà dans la fixation d'objectifs. Ils étaient impossibles à atteindre. Nous avons dépensé pour 500 milliards de dollars mais nous n'obtiendrons que 100 à 150 millions d'infrastructures. C'est ce qui arrive toujours lorsqu'un pays sous-développé fait du keynésianisme (booster sa croissance par la demande). Cette fois nous voulons fouetter l'offre – c'est-à-dire, la production – et c'est précisément ce qu'il convient de faire dans un pays sous-développé : un peu d'infrastructures et beaucoup d'entreprises. En termes d'objectifs retenus, il y a donc un grand pas salutaire qui vient d'être franchi. De quels moyens devrions-nous nous doter ? Il est extrêmement aléatoire de prévoir le volume des ressources qui serait disponible pour financer le nouveau régime de croissance. Chacun sait que cela dépendrait surtout des quantités et des prix des hydrocarbures : les deux sont des zones de grandes incertitudes. Mais même si l'on retient les prévisions les plus pessimistes sur les cinq années à venir (réduction de 20% des prix et de 25% dans les quantités), notre pays disposerait quand même de ressources suffisantes pour financer une relance de 25 à 30 milliards de dollars par an. Bien ciblées, ces ressources viendraient s'ajouter aux investissements d'entreprises économiques nationales (publiques et privées) et d'IDE, surtout si on assainit les différents contentieux avec le monde des affaires. Les moyens financiers ne seraient donc pas un obstacle insurmontable. Mais les moyens humains et organisationnels ne sont pas encore au point. Il nous faut un véritable plan Marshall pour mettre à niveau nos ressources humaines aux standards internationaux. Toute une industrie de la formation et des recyclages de 80% des personnes opérationnelles reste à monter. Elle commence par la mise à niveau des formateurs et nécessite un partenariat lourd à mettre en œuvre, à commencer par nos universités, centres de formation professionnelle, lycées et écoles. Nous ne pouvons pas attendre de booster le niveau des nouvelles générations, mais faire vite et recycler les opérationnels en action. A-t-on un plan précis pour cela ? L'ingénierie pédagogique est une chose complexe et ne peut être confiée qu'à des professionnels expérimentés. Par ailleurs, l'organisation de l'Etat actuellement, avec sa bureaucratie paralysante, ne permet la réussite d'aucun régime de croissance. Quel plan y a-t-il pour débloquer la situation ? En termes de ressources, les moyens financiers peuvent être rendus disponibles, mais l'essentiel (les qualifications humaines et les pratiques managériales) demeure nettement insuffisant. Il nous faut surtout de la méthode Lorsque les ressources financières sont disponibles et les qualifications humaines et la pratiques managériales sont défaillantes, tout devient une question de méthode si on veut réussir. Comment va-t-on utiliser les moyens financiers pour qualifier les personnes, décentraliser et permettre aux Algériens à tous les niveaux (APC, wilaya) d'entreprendre, de créer de la richesse, de débureaucratiser et de participer à l'effort d'émancipation national. Croit-on toujours que ce sont surtout les efforts de l'Etat central qui vont concevoir, exécuter, contrôler et mener à bien le nouveau régime de croissance ? Quelles sont les méthodologies arrêtées ou, du moins, les grands principes pour se donner les moyens de réussir : qualifications humaines, management de qualité et décentralisation progressive ? Tant que nous n'avons pas des réponses satisfaisantes à ces questions, il serait hors de question d'être optimiste. Néanmoins, il faut être constructif. Nous allons proposer les grands principes à mettre en œuvre pour réussir ce régime de croissance. Ils sont au nombre de cinq : Nous devons réunir au sein d'une seule institution les experts chargés de se concerter avec tous les acteurs économiques et les citoyens pour concevoir un régime de croissance compatible avec les défis attendus. Le rôle du politique est de fixer les objectifs ; celui des techniciens est de mettre en œuvre les mécanismes de leur réalisation.Dans l'ordonnancement des actions, il faut privilégier les qualifications humaines et la modernisation managériale : éviter d'injecter de l'argent dans des entreprises et des institutions non mises à niveau. Il faut mettre des ressources dans les entreprises publiques et privées qui réussissent. Celles qui subissent des assainissements ont souvent une culture incompatible avec de hautes performances. Autrement dit, éviter de donner des ressources aux chats qui n'attrapent pas de souris. Décentraliser progressivement et permettre aux Algériens de régler leurs problèmes à leur niveau, en les qualifiant d'abord et en les dotant de ressources par la suite. Tout en encourageant l'économie de la connaissance, l'agriculture, les industries où nous avons de réels avantages compétitifs, le tourisme et quelques activités stratégiques, n'oublions pas de libérer les initiatives et laisser les acteurs économiques faire leurs calculs économiques et aller vers des activités qu'ils détectent eux-mêmes comme porteuses. Beaucoup reste à dire et à faire. Mais dans ce genre d'exercice, il est facile de se tromper. On considère souvent que les ressources financières suffisent pour booster la croissance et le développement. Nous venons de subir une expérience cuisante qui prouve le contraire. Cette fois-ci, l'élite intellectuelle est presque unanime : économie productive, qualifications humaines, pas de ségrégation entre public et privé, modernisation managériale, etc. Malheureusement, les premiers signes qui viennent des pouvoirs publics ne sont pas encourageants : le secteur public (surtout les entreprises déstructurées) reçoit 80% des ressources de la relance, alors qu'il constitue moins de 20% du PIB hors hydrocarbures. Autrement dit, on est en train de financer des chats noirs qui n'attrapent aucune souris. Les dirigeants algériens devront franchir le Rubicon des pratiques anciennes si nous voulons réussir notre décollage économique ! A. L. (*) PhD en management Nom Adresse email