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L'Algérie face au défi du chômage
Publié dans Liberté le 10 - 05 - 2010

La question de savoir quelles sont les perspectives d'évolution de l'économie nationale intéresse tous nos citoyens. En réalité, l'évolution future va dépendre des types de décisions que l'on doit prendre actuellement. Mais nous avons une contrainte supplémentaire : agir vite et bien avant que les recettes des hydrocarbures ne se réduisent pour des raisons de prix et de quantité. Nous n'avons plus beaucoup de temps. Il est plus que jamais urgent d'agir vite pour construire une économie hors hydrocarbures. Mais à part la disponibilité des ressources, beaucoup de conditions restent à mettre en place. Les choix que nous ferons maintenant seront décisifs pour l'architecture et les résultats futurs de l'économie nationale. Nous avons des multitudes de scénarios possibles. Mais nous allons en choisir les deux plus probables : le premier, très probable, sera appelé situation de continuité et le second, très souhaitable, nommé choix des facteurs-clés de succès.
Pour comprendre la situation actuelle et faire des pronostics sur les perspectives d'évolution de la situation économique dans le contexte de la crise des subprimes, nous devons diagnostiquer les trois niveaux de l'économie algérienne : le volet macroéconomique, les fondamentaux (micro) et l'aspect mésoéconomique.
Si l'on s'en tenait au niveau macroéconomique, le développement parait maîtrisé. Nous avons enregistré un taux de croissance moyen de 5,8% sur les années 2002-2009 avec un taux d'inflation de 2,5%. Le taux de chômage serait passé de 27% en 1999 à 10,2% en 2009. Les réserves frôlent les 144 milliards de dollars. La dette extérieure fut ramenée à moins de 5 milliards de dollars. Ces résultats furent considérés par de nombreux économistes comme une maîtrise du développement durable.
Cependant, il ne faut pas s'en tenir aux simples réalisations sans tenir compte des ressources utilisées. La croissance est extensive. Dans la vaste majorité des pays, une relance publique de 1% induit 2,5 à 3% de croissance du PIB. Dans le monde, les dépenses d'appui à la relance avoisinent les 1 à 3% du PIB. En Algérie, des dépenses publiques de l'ordre de 18%, on produit une croissance de 5,8%, à peine la moyenne des pays africains et mondiaux qui n'ont eu aucun plan de relance. Le multiplicateur est faible ou même négatif. Pour l'emploi, le trend est baissier. Mais la plupart des emplois sont précaires. Le plan de relance repose surtout sur la construction d'infrastructures. En cas d'arrêt des dépenses publiques dans ce secteur, presque deux millions d'emplois seront perdus. En plus, 380 000 personnes renforcent le marché de l'emploi chaque année. Le taux d'activité est d'environ 40%, un des plus bas au monde. De surcroît de plus en plus de femmes rejoignent le marché de l'emploi. Tous ces facteurs sont à prendre en considération lors de l'analyse des perspectives de l'emploi.
Mais les indicateurs microéconomiques montrent des signes de faiblesse de l'économie. Nous pouvons citer :
1- la productivité stagne. Alors qu'elle s'accroit dans le monde. Ceci est un signe de perte de compétitivité de l'économie ;
2- on crée 70 entreprises par 100 000 habitants et par an alors que la moyenne mondiale tourne autour de 350 et plus ;
3- le rapport exportations hors hydrocarbures/importations se détériore et confirme la dégradation de la compétitivité internationale du pays ;
4- l'Algérie dépense moins de 0,3% du PIB en recherche et développement alors que les pays similaires en consacrent au moins 1% ;
5- le pays se range régulièrement parmi les tout derniers dans les divers classements internationaux, comme pour le climat des affaires, l'indice de développement technologique, la lutte contre la corruption et le reste.
Un diagnostic profond de l'économie révélerait que la cause essentielle de cette amélioration des indicateurs macroéconomique réside dans l'injection massive de ressources dérivées d'une embellie de la rente pétrolière mais que le développement reste à maîtriser. Nous pouvons citer plusieurs facteurs qui expliquent cet état de fait, sans pour cela prétendre à l'exhaustivité. Mentionnons :
1- un excès de centralisation, le développement local et régional sont pratiquement inexistants ;
2- absence de stratégie globale et de diffusion du processus de conceptualisation et d'ordonnancement des réformes au sein d'une multitude d'institutions sans mécanismes de cohérence efficaces ;
3- une mauvaise allocation du crédit : ce dernier alimente surtout l'importation et l'assainissement des entreprises publiques déstructurées, tout en réservant une part marginale au secteur de la PME-PMI ;
4- un management inefficace aussi bien des institutions que des entreprises économiques ;
5- malgré des sommes énormes mobilisées, les ressources humaines demeurent sous-qualifiées par rapport aux standards internationaux.
La crise des subprimes introduit une nouvelle donne qui risque de bouleverser les plans des autorités publiques. Il n'est pas possible de continuer à injecter perpétuellement des ressources dérivées des hydrocarbures dans un tissu économique peu efficace. Bien que le secteur productif privé représente 80% du PIB hors hydrocarbures, l'environnement demeure bureaucratisé et les entreprises économiques sous-gérées.
Là réside le plus grand défi relatif au développement et à l'emploi. Pour évaluer les perspectives d'évolution de l'emploi, nous devons anticiper les décisions les plus probables des pouvoirs publics.
Au début de 2009, les décideurs continuent toujours de faire de la relance un processus de continuité des réformes économiques. Mais la crise mondiale constitue un frein à la relance continue qui aboutit à une croissance extensive.
Nous avons deux scénarios alternatifs. Nous allons les présenter brièvement en essayant d'évaluer les conséquences qui en découlent, surtout dans le domaine de l'emploi et des performances économiques.
Scénario 1 : continuité des politiques économiques
Les pouvoirs publics vont continuer à injecter des ressources dans l'économie pour créer une croissance intensive continue. Mais nous avons une contrainte des ressources extérieures. Le Fonds de régulation et les réserves serviront alors à financer des projets d'infrastructures qui induiront des emplois et un accroissement du PIB.
Le taux de croissance du PIB dépendra du montant des ressources injectées. Le taux d'inflation restera maîtrisé et l'emploi ne fléchira pas tant que des ressources injectées permettront une embellie des secteurs de la construction de logements et des travaux publics.
Dès lors que les prix pétroliers seront aux environs de 70 dollars, nous pouvons financer pour deux ou trois ans des projets d'infrastructures à la même hauteur que les dépenses précédentes. Lorsqu'on cessera de financer ces activités, l'économie retournera à la crise avec une croissance nulle et le chômage atteindra des niveaux alarmants, peut-être entre 24 et 30%. Il faut alors repenser profondément les politiques économiques.
Scénario 2 : politiques économiques centrées sur les FCS
Le deuxième scénario est plus souhaitable. Il consiste à injecter les ressources dans des activités qui produisent le maximum de résultats pour une économie en transition vers l'économie de marché :
6- le développement humain : mettre à niveau le potentiel disponible par des recyclages à tous les niveaux, une professionnalisation des branches et une amélioration qualitative de toute la filière de l'éducation. On recycle les personnes déjà opérationnelles tout en préparant les futures générations,
7- financer les PME qui réussissent tout en créant au moins 500 000 sur les cinq prochaines années. 80% du financement du secteur bancaire public devrait être orienté à cette fin ;
8- procéder à une modernisation managériale globale qui concernerait les entreprises, les EPA, et toutes les institutions administratives ;
9- revoir l'organisation économique en introduisant la prospective, la stratégie, une meilleure séparation des décisions politiques et techniques, tout en introduisant des systèmes de cohérence sectorielle. Il faut créer les mécanismes de conception et de coordination des réformes par une “institution cerveau” avec une intense concertation avec toutes les parties prenantes : ministères, syndicats, société civile, centres de recherche, public, etc. On aboutit à disposer d'une stratégie globale, cohérente, concertée et ouverte.
Dès lors que l'on s'oriente vers un scénario de ce genre, nous aurions une étape de deux ou trois ans de résultats mitigés, car le passage d'une économie de rente à une économie de création de richesses nécessite un management du changement extrêmement complexe. Mais à moyen terme, nous créerons un développement durable déconnecté des prix pétroliers. C'est l'objectif ultime du processus de transition.
La situation de l'emploi risquerait de se dégrader à court terme. Durant les trois premières années on risque d'atteindre les 15% de taux de chômage et de 10% de hausse des prix (inflation de développement).
Mais à moyen terme, sur quatre à cinq ans, nous pouvons atteindre des taux de croissance à deux chiffres. Le taux de chômage descendra à moins de 5%. Nous créerons toutes les conditions d'un développement durable…
A. L.
(*) Ph.D consultant international


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