Impavide, l'administration n'en a cure. Tous les cinq ans, le scénario se répète : le citoyen ignore, bien après la promulgation des résultats, qui gérera les affaires de sa commune ou pour qui il a voté. Rien n'est fait pour remédier aux multiples carences et à l'instabilité structurelle des collectivités locales. Le plus dramatique c'est qu'en s'entêtant à rendre immuables des dispositions juridiques qui relèvent du politique, les pouvoirs publics sont en train d'institutionnaliser la dissolution des mœurs et la corruption de la sphère politique. Or, des solutions existent, pour peu que la volonté politique y soit. Il suffit de changer le mode de scrutin. Nous voulons relater, ici, les péripéties qu'a connues la loi électorale et mettre l'accent sur les conséquences néfastes, mais naturelles et logiques, qu'elle a générées, du blocage à l'achat des sièges de président d'APC et d'APW, en passant par les marchandages mercantiles contre monnaie sonnante et trébuchante qui pourrissent de plus en plus le paysage politique. Nous expliquerons de façon lapidaire, pour le lecteur non averti du cheminement de son élaboration, ses arcanes. La loi électorale est une loi organique, le gouvernement la présente au Parlement, la commission des affaires juridiques l'étudie et présente un rapport préliminaire avant les débats en plénière et les amendements des députés. Premier couac à la démocratie, les articles présentés par le gouvernement et les amendements acceptés par la commission sont votés à la majorité simple, les amendements, qui n'ont pas eu la faveur de la commission dans son rapport final, doivent être votés à la majorité des deux tiers de l'Assemblée, pas seulement des présents, si leurs auteurs persistent à les défendre en plénière. En 2007, le gouvernement ramena un projet modificatif de la loi (ordonnance n° 97-07 du 27 choual 1417 correspondant au 6 mars 1997), pour y introduire des mesures destinées à limiter la possibilité donnée aux listes indépendantes et aux partis n'ayant pas atteint un certain seuil, lors des élections précédentes, par le recours au parrainage de leurs listes par des signatures d'électeurs (cette mesure fut annulée dans la dernière mouture de la loi pour les listes partisanes). Le mode de scrutin à la proportionnelle retenu, que nous connaissons et qui est en vigueur, est à l'origine du détournement de la volonté des électeurs. Tous les modes de scrutin sont imparfaits, mais celui-ci l'est davantage. En effet, sous le prétexte du souci d'assurer une représentation juste des forces en présence, il encourage les alliances contre-nature, permet l'irruption de l'argent sale -il provient de la corruption, de la surfacturation des marchés publics et de la fraude fiscale, sinon comment expliquer les sommes astronomiques versées pour acquérir les voix des électeurs puis celles des élus – et il dénature l'élection en permettant à des élus provenant de listes minoritaires d'accéder au poste de président d'une assemblée censée être conforme au choix souverain de la population. Nous avions, alors, soumis des amendements susceptibles d'éviter cette sinistre farce par l'aménagement de ce mode de scrutin, en proposant la proportionnelle avec préférence ou prime à la liste gagnante. La liste arrivée première avec cinquante ou moins de cinquante pour cent des voix prendrait la moitié et plus un siège du total de l'assemblée, les autres listes se partageraient les sièges restants au prorata de leurs scores respectifs. Au cas où une liste bénéficierait d'une majorité absolue, elle prendrait le nombre de sièges que lui allouerait le taux acquis des voix, c'est un mode de scrutin usité dans plusieurs pays. Nos amendements passèrent à la trappe. En 2008, notre collègue et ami, Kamel Rezgui, nous avait soumis l'idée d'une proposition de loi reprenant ce mode de scrutin et il se chargea de sa rédaction, nous recueillîmes plus que le nombre de signatures requis et il déposa, en sa qualité de délégué des auteurs, le texte, lequel soumis au gouvernement de M. Ouyahia reçut une fin de non-recevoir. Nous récidivâmes à l'occasion de la nouvelle présentation du projet de loi portant code communal. Nous nous partageâmes les amendements qui revêtaient la forme d'un corpus homogène et logique, les éléments les plus importants : le mode de scrutin tel que décrit précédemment, le premier de la liste gagnant automatiquement le poste de maire et l'impossibilité du retrait de confiance, seule une condamnation judiciaire pourrait mettre fin, avant terme, au mandat du premier édile de la commune. La commission des affaires juridiques rejeta le mode de scrutin proposé, accepta le premier de la liste gagnante comme maire, ainsi que l'impossibilité du retrait de confiance. Il faut dire que nous étions minoritaires dans notre propre parti sur instruction donnée par A. Belkhadem, secrétaire général du FLN, qui ordonna de voter contre nos propositions. Puis, contre toutes les dispositions institutionnelles interdisant la révision ou l'amendement d'une loi ou d'une disposition de loi avant une année après son vote. Le gouvernement usa d'artifices pour réintroduire la procédure de désignation du maire dans la loi électorale : ce fut le fameux article 80 pour le lecteur, nous précisons que l'élection du président de l'APW est régie par le code de wilaya, celle du président de l'APN par la loi spécifique portant règlement intérieur, l'astuce trouvée par le ministre de l'Intérieur était d'assujettir celle du maire à la loi électorale, dont les effets prennent fin avec la promulgation des résultats définitifs du scrutin, une hérésie juridique. Nous voulions que les élections, par le biais de ce mode de scrutin, puissent permettre de dégager une majorité qui gère la commune, être responsable et comptable de sa gestion devant la population, qui saurait d'avance quel maire elle choisirait, et sanctionner, positivement ou négativement le parti gestionnaire de l'APC, en fin de mandat assurer la stabilité des assemblées, interdire les marchandages entre coquins qui placent, comme par magie, en qualité de maires, des personnes rejetées par les électeurs dans les urnes et renforcer l'élu légitime en tant que premier magistrat de sa circonscription, partant de la conviction que les préférences de l'électorat ne sont pas sommables et enfin introduire un minimum de morale en politique. Ces calculs d'épicier ont fait que des élus provenant de listes ultra minoritaires sont propulsés, par la grâce d'une loi contestable, maires, contre la volonté manifeste des citoyens. Est-ce là le sens de la démocratie et est-ce là le respect dû à notre peuple ? Quel respect des institutions de l'Etat attend-on du citoyen lorsqu'il voit un individu, seul élu de sa liste, choisi par la combine et la puissance de l'argent pour être le primus inter pares et devenir maire. C'est Ubu roi. Aujourd'hui, A. Belkhadem se comporte comme une vierge effarouchée, alors que la fumeuse disposition des 35% de l'article 80 a été écrite dans son bureau, sous sa dictée et comble d'ignorance, il n'a pas lu l'article en entier, notamment les paragraphes 5 et 6 (loi 12-01 du 12 janvier 2012) qui stipulent clairement que le maire doit obtenir la majorité des voix des élus. Force est de constater que la lecture qu'en a donnée le ministère de l'Intérieur est juste, de plus A. Belkhadem a profité de ces dispositions de la loi, dans certaines communes, «ses» listes ont eu moins de 20% des sièges et il a pu enlever la présidence de ces APC devant des listes qui ont obtenu plus de 40%. Nous persistons à dire qu'il vaut mieux renforcer des majorités afin d'éviter les blocages et les pratiques contraires à la morale pour le plus grand bien des citoyens, des institutions et de la démocratie.