dans la tourmente à Ghardaïa Entre deux solutions, choisis toujours la troisième. Proverbe juif Cela s'est passé lundi dernier devant la cour de justice de Ghardaïa. Nedjar El Hadj Daoued, directeur du journal El Waha, a exposé dans un souffle les menaces de mort qui pèsent sur lui en tant que journaliste, devant l'inertie troublante de l'instance judiciaire. Le code pénal entre les mains, El Hadj Daoued feuillette et recopie des extraits de textes sur un carnet de notes. Il l'emportera avec lui quand le président de la cour l'appellera à la barre. Il sera seul, car il a décidé de ne plus prendre d'avocat. Il est loin, au bout d'une longue succession de dossiers où la contrebande de cigarettes se mêle aux détournements de deniers publics, aux agressions, aux vols de bétail, à l'immigration clandestine et aux recels de drogue. « Nedjar El Hadj Daoued, né le 30 juillet 1959, à Ghardaïa. directeur du journal El Waha... Vous êtes accusé de diffamation en vertu du code pénal », lance le juge avant de regarder le prévenu. Il le connaît bien. El Waha, unique journal d'information paraissant au sud du pays, fête ses quinze ans d'existence et, jamais, les pressions pour le faire taire n'ont été aussi vives. Depuis la parution en mars 2003 d'une série d'articles qu'il a lui-même signés, Nedjar El Hadj Daoued vit entre la barre des justiciables et les menaces de mort. Ou les deux à la fois. Barons du foncier contre médias indiscrets « Nous avons touché un dossier de fond, un dossier « fusible »... Une tradition mafieuse a été ébranlée, il faut que je paye », explique-t-il le regard fixe, derrière le volant de sa voiture. Les ennuis commencent quand El Waha répercute et traite une plainte d'habitants du haï (quartier) dit Touzouz, non loin de la ville de Ghardaïa. Des personnes d'influence accaparent de larges surfaces de terrain, les assiègent de murs en dur et se les approprient. Ils utilisent leur liberté d'action et le fonds foncier ainsi capté pour acheter le silence... et l'imposer à Ghardaïa. « Un réseau de concessionnaires de la corruption » est ainsi créé, développe le journaliste. Le wali, à qui s'adressait la plainte des habitants, prend acte et détruit les murs d'enceinte illicites dans une charge de bulldozers. Le coup est dur et les répercussions sur le journal sont radicales. Les plaintes en justice contre le journaliste sont alors endossées par un seul avocat. Me Laroui Hacène porte, comme une seconde peau, toutes les affaires dirigées contre le directeur du journal. « Jusqu'au K. O. », acclame-t-il. Nedjar El Hadj Daoued est traité de « fou » de « malfrat » et de « p... ». La cavalerie du langage dont use le magistrat laisse perplexe. « Oui, je suis prêt à prendre toutes les affaires contre lui, gratuitement s'il le faut », tonne-t-il dans une envolée théâtrale. Le 1er mars 2004, l'avocat a rapporté, dans un plaidoyer plein d'animosité, l'intention de son client d'attenter à la vie du journaliste. Ce jour-là, les menaces de mort ont trouvé de la voie à l'intérieur de la cour de justice de Ghardaïa. Nedjar El Hadj Doued demande à la cour une consigne des propos de l'avocat. Elle lui sera délivrée deux semaines après les faits, les propos en seront falsifiés. Cette manipulation à l'intérieur de l'instance judiciaire de Ghardaïa libère le coup de starter à de nouvelles prises à partie du journaliste. Plus sérieuses. La nuit du 31 mars 2004, Nedjar est la cible d'une course poursuite en voiture de deux individus cagoulés. Les ennuis motorisés allaient connaître, le 30 juin 2004, une tournure qui a failli coûter la vie à deux collaborateurs du journal. Sur la route d'Alger, au niveau de la localité de Sidi Bahbah, la roue arrière droite de son véhicule personnel, une Peugeot 306 neuve, se détache. Le chauffeur et son accompagnateur, qui se dirigeaient vers la capitale pour l'impression du journal, ont eu la vie sauve à l'issue d'une série de tonneaux grâce aux airbags du véhicule. Nedjar El Hadj Daoued n'a pas été de la course ce jour-là. L'avocat ricane : « La roue qui se détache ! Bah, c'est un fou... » L'espace des deux incidents, une série d'appels téléphoniques menacent le journaliste. L'auteur a été identifié. Menaces en cours Dans les affaires qui sont attentées contre le directeur et rédacteur en chef d'El Waha, et devant le président de la cour, Nedjar El Hadj Daoued nie systématiquement que les articles incriminés de son journal relèvent de la diffamation. « Le métier de journaliste, tel que Nedjar le professe, n'a rien à voir avec la diffamation », s'exclame-t-il devant le juge. Son journal est passé d'une parution hebdomadaire à mensuelle. « On veut m'empêcher de travailler », conclut-il en expliquant que son temps, il le dépense à faire face à la justice. Plus d'une dizaine d'affaires ont été attentées contre lui, depuis qu'il a traité des « lobbies du foncier à Ghardaïa » impliquant des fonctionnaires de l'Etat. Certaines sont préfabriquées, à l'instar de celle où on l'accuse d'avoir agressé en compagnie d'un journaliste d'El Waha, un des plaignants contre le journal. « J'étais sur les gradins, je me retrouve sur le terrain. Je vis ce que chaque justiciable vit », recompose Nedjar les péripéties et les manipulations devant la justice. Courses poursuites et appels anonymes Nedjar El Hadj Daoued a commencé sa carrière en 1975. Journaliste à El Chaâb et à la Radio nationale, il a créé en 1990, avec l'ouverture du champ médiatique pour la presse écrite, le seul journal paraissant au Sud. En 1995, le local de son journal, dans le quartier de Beni Yezguen à Ghardaïa, est l'objet d'un attentat terroriste. « Jamais depuis, je n'ai eu à faire face à un tel déchaînement de violences », dit-il. « J'ai choisi de prendre mes responsabilités dans ce dossier sur le foncier à Ghardaïa. Je savais que j'allais mettre les pieds dans une situation pourrie. Je traite une réalité, et je me retrouve devant la justice. A aucun moment, les personnes impliquées par mes articles n'ont été appelées devant la barre », continue-t-il, « on utilise des tierces personnes pour m'atteindre ». Au même moment, « le ministre de la Justice Tayeb Belaïz, dans une visite surprise à la Cour suprême à Alger, le 14 janvier dernier, parle du moment venu d'ouvrir les dossiers en suspens en évoquant le dossier du foncier que le président de la République a décidé d'instruire », note-t-il dans un mémorandum adressé au président de la cour de Ghardaïa. Au ministère de la Justice, il a adressé une plainte intitulée « Ouverture d'une enquête urgente avant l'autopsie de mon corps ». Mais depuis son audition à ce sujet le 16 janvier dernier par le procureur de la République, « rien n'a été actionné », assure-t-il. En attendant, « je me fais menacer dans l'enceinte même de la cour, et c'est grave. Aucune instruction sérieuse n'a été déclenchée après ces événements, que ce soit la déclaration de l'avocat, les poursuites nocturnes ou l'incident de Sidi Bahbah. Toutes les plaintes que j'ai déposées ont été gelées par le tribunal de Ghardaïa », note le directeur du journal. « Par ailleurs, le système de la profession de journaliste n'est pas clair. Il n'y a pas une loi en vertu de laquelle on est journaliste vis-à- vis de la justice », confie-t-il. Pour sa part, l'avocat a tenté de légitimer les intentions de ses déclarations menaçantes : « Il s'agit de défendre l'honneur d'un homme » Mais l'homme de loi esquive le fait qu'un crime, même passionnel, est puni par la loi. Lundi dernier, Nedjar El Hadj Daoued devait faire face à ce magistrat, qui a porté plainte après que l'incident des menaces à l'intérieur de la cour de justice eut été rapporté dans les colonnes du quotidien El Khabar (voir El Watan du 04 mars 2004). Seul Nedjar a été cité dans cette affaire. Les titres de presse qui ont rapporté cette information ont été soigneusement évités par le plaignant. Ce dernier a choisi de quitter la salle d'audience avant l'ouverture du dossier et éviter la confrontation. Ecoutait-il à la porte durant cette séance houleuse ? Le journaliste a pleuré par deux fois et, par deux fois, la salle a poussé des acclamations devant le plaidoyer de cet homme du média qui, pour avoir écrit ce qu'il pense être vrai et injuste, est devenu l'objet de singulières et douteuses actions en justice. « Il s'agit de la vie d'un homme et d'un journaliste », a-t-il lancé à plusieurs reprises au président de la cour. La séance a été renvoyée au 6 mars prochain. La cour a soigneusement enregistré les propos du journaliste, réclamant que les menaces qui pèsent contre lui soient prises en compte. Il lui appartient de faire justice... Parcours Nedjar El Hadj Daoued est né le 30 juillet 1959 à Ghardaïa. Journaliste depuis 1975, il est directeur de la publication El Waha. Il commence sa carrière à Echaâb et collabore à la Radio nationale. En 1990, il crée El Waha, seul journal régional du sud du pays, qui tire à 10 000 exemplaires. Il est distribué par l'ANEP, dans la mesure du possible, à travers tout le territoire national. Père de cinq enfants, il est grand-père pour la première fois depuis deux ans. Son journal a été la cible d'un attentat terroriste en 1995. Une attaque dont il n'a reçu aucune indemnisation de l'Etat. Depuis mars 2003, il est l'objet de persécutions et de menaces de mort pour avoir ouvert, dans les colonnes de son journal, le dossier du « lobby du foncier à Ghardaïa ». Il prépare la publication d'un ouvrage qu'il a décidé d'intituler Le journaliste algérien entre l'assassinat, la prison et la domestication..., où il retrace les différents événements auxquels il a eu affaire depuis la publication de son enquête et pose une réflexion sur le métier de journaliste en Algérie. Site internet du journal : www.elwaha-dz.com