Un imaginaire qui a alimenté toute l'histoire migratoire des Algériens, mélangé dans certaines situations, de mensonges collectifs dans la transmission de la réalité migratoire. Il s'agit pour ces immigrés d'un «honneur» à préserver malgré certaines conditions d'immigration pénibles. Les aspirations developpentistes de l'élite politique gouvernante pendant les années 1970 n'ont pas les moyens nécessaires pour leur expectation. Ces deux réalités sociales, où chacune avait ses propres rythmes et logiques de fonctionnement, ont mis les pouvoirs publics dans une posture de dépendance structurelle, en matière de formation à l'étranger. En effet, pendant les années 1970, années charnières de mise en œuvre d'une «stratégie industrielle», l'institution universitaire était, surtout au niveau des discours politiques, au cœur de cette stratégie developpentiste qui a enfanté par la suite, le début des réformes en 1971, lancées par Seddik Benyahia, alors ministre de l'Enseignement supérieur. Formation à l'étranger, le «refoulé du rattrapage» et instrumentalisation de l'université Le système de formation et l'éducation étaient au cœur de toute la législation et des discours politiques pendant ces années 1970, comme le confirme le sociologue de l'enseignement supérieur, Mohamed Ghalamallah : «Le rôle du système éducatif et de l'université, en particulier, est d'autant plus fondamental pour la société en Algérie qui celui-ci a hérité au lendemain de l'indépendance d'un taux de 85% d'analphabètes et d'un déficit rédhibitoire en cadres. Le principal handicap au développement d'un pays, riche en ressources naturelles, résidait dans sa pénurie en travailleurs qualifiés, toutes spécialités confondues. Les textes officiels fondamentaux au pays ont pour cela accordé une importance première à l'éducation et à la formation pour la promotion de l'homme et de la société.» Ainsi, le système de la formation supérieure et de l'éducation en général avait sa part de budget financier. Il est «placé au cœur de la stratégie algérienne de développement, le système d'enseignement et de la formation avait ainsi bénéficié, pour rattraper les retards issus de la période coloniale, d'un financement qui a souvent dépassé le tiers du budget de fonctionnement de l'Etat, pendant plus de deux décennies, les années 1970 et 1980». Les réformes ont comme objectif de «mettre la formation supérieure au service du développement». Un slogan politiquement précieux pour la doctrine dominante au sein des appareils d'Etat, notamment l'université, qui est transformée en un lieu de production de diplômes (diplômite), en lui confisquant, au fur et à mesure de l'intrusion du politique et de la primauté de l'idéologique sur le pédagogique, son autonomie en tant que champ de production du sens et de la connaissance. Du coup, l'autonomisation de la formation des universitaires en tant que corps socioprofessionnel, prenant leurs métiers respectifs et leur destin professionnel loin de toute forme de contrainte politique, pour se positionner en tant que partenaires et non en clients, était quasiment impossible. Il s'agit de la mort de «la corporation professionnelle», elle-même, considérée comme un moteur de la société civile dans tout le puzzle du développement de la société, c'est-à-dire, que «le régime politique ne peut admettre les différentes élites professionnelles en tant que partenaires, leur reconnaître le pouvoir social que légitime l'exercice de leur compétence. Il permettrait sinon aux élites professionnelles de gérer les pratiques sociales selon une logique de rationalisation et de transparence qui est incompatible avec la logique de gestion privative et clientéliste des institutions publiques du pays. Servant de relais au pouvoir central, la fonction de contrôle politico-administrative se subordonne au sein des institutions publiques à la fonction d'expertise technique et en déstabilise le fonctionnement. Elle empêche les institutions de se construire autour du travail qualifié et de fonctionner selon leurs propres valeurs et leurs critères d'efficacité». Les réformes globales de 1971 se voulaient aussi comme une rupture avec le système d'enseignement colonial. Un objectif politique qui n'a pas aussi ses moyens nécessaires vu les contraintes objectives de sa réalisation sur le terrain. Une réalité qui a échappé, par la force des besoins du terrain, aux contrôles, entre autres de la gestion de la ressource humaine nécessaire, malgré l'existence des coopérants. Ces derniers ont été, eux-mêmes, objet de départs systématiques, avec la montée de la politique de l'arabisation. Un contexte très significatif dans l'histoire de l'institution universitaire algérienne, puisqu'on va assister, à partir des années 1980 à une «rupture imposée» aux élites francophones, formées dans des standards épistémiques internationaux. D'où le début de départs massifs, pendant ces années-là, où des déperditions en termes de retour, de boursiers ont été toujours énormes. Les déperditions étaient déjà très significatives pendant les années 1970, contrairement aux idées reçues, qui mettent en évidence son importance numérique pendant les années 1980. Les réactions, par rapport aux déperditions de boursiers, ont été immédiates par l'intelligentsia algérienne, en termes de «saisie d'opportunité», pour l'installation dans les pays d'accueil. Pour d'autres qui ont regagné l'Algérie pour de multiples raisons, d'ordre idéologique (chauvinisme, embrigadement idéologique…) et familiales, ils se trouvent forcés, une autre fois, de quitter l'Algérie pour s'installer dans leur pays d'accueil, après avoir vécu une série de déceptions. Il s'agit notamment d'une série de déceptions, dans un environnement hostile à toute activité collective autonome. Il s'agit d'une situation qui a touché l'ensemble des compétences algériennes, sans exception, c'est-à-dire, «atomisés, isolés les uns des autres, les universitaires sont ainsi dépossédés de leurs droits à gérer, en tant qu'acteur collectif, les activités pédagogiques et scientifiques selon les expériences académiques ; de même, les managers sont dessaisis de la gestion de l'entreprise industrielle, les ingénieurs de celle des ateliers de production, les médecins de celle de la santé, etc». Ce sont des dysfonctionnements dans la gouvernance de l'ensemble des champs socioprofessionnels, qui prennent un caractère structurel. Du coup, ces dysfonctionnements deviennent déterminants dans le choix d'installation définitive dans leur pays d'accueil. Formation à l'étranger, «l'exemplarité algérienne» L'Algérie était dans une posture de pénurie de cadres professionnels pour encadrer «la politique industrielle» lancée depuis 1967. La formation à l'étranger, malgré les réformes entreprises dans l'enseignement supérieur et la création de différents instituts nationaux est devenue une réalité imposée. Paradoxalement, après 50 ans d'existence de l'université nationale, le même scénario se répète pendant la deuxième moitié des années 2000, pour réactiver sensiblement la «politique des bourses», notamment dans le secteur de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, après avoir vécu une période de crise multidimensionnelle pendant les années 1990, période de violence sanglante qui a mis en péril la société algérienne et ses différentes élites intellectuelles, contraintes à l'émigration en laissant derrière elles un capital d'expérience sociale et professionnelle. L'émigration d'une haute compétence professionnelle ou d'un enseignant-chercheur de rang magistral ne peut être comptabilisée sur le plan statistique. Vouloir la mesurer, c'est vouloir l'emprisonner dans une logique quantitativiste, qui ressemble à un arbre qui cache la forêt, c'est-à-dire la rendre socialement invisible et réduire sa substance, son sens et son impact. C'est une réalité qui échappe généralement à l'observation des producteurs de savoir sur commande et à des statistiques officielles, puisqu'elles restent vides de sens et de connaissance sociologique. Des catégorisations sociologiques, censées êtres inspirées empiriquement du terrain propre à la réalité socio-anthropologique de l'Algérie réelle. Les indicateurs statistiques ne sont, du point de vue méthodologique et épistémologique, que le produit d'une accumulation propre à un objet d'étude déjà construit et en pleine construction. La «transposition mécanique et calquée» des modèles statistiques a toujours renforcé «l'ignorance institutionnalisée» de la réalité algérienne et de sa «dépendance épistémique aiguë» aux autres pays producteurs d'indicateurs statistiques. Du coup, «l'usage universel» de la statistique (state/Etat) ne peut être, dans des situations de dépendance, qu'un moyen de propagande et de renforcement du pouvoir du discours politique dominant, c'est le culte du chiffre qui renforce davantage l'évident et la doxa. Combien de discours politiques produits par les pouvoirs publics ont minimisé le nombre de professeurs universitaires qui ont quitté l'Algérie pour s'installer à l'étranger, en oubliant, ou vouloir faire oublier pour instituer l'oubli, que les processus de formation et de capitalisation professionnelle ont de multiples impacts sur le nombre d'important d'étudiants en termes de formation qualitative dans l'université algérienne. Combien faut-il de temps pour être formé et devenir un enseignant de rang magistral, être chercheur, ou professionnel qualifié ? Combien de sacrifices faut-il investir pour être digne de cette multiple fonction, à la fois pédagogique, scientifique et sociale ? En tout état de cause, la politique de la formation à l'étranger, entamée par l'Algérie depuis les années 1970, après les réformes de 1971 et celles de la création de la post-graduation à partir de 1976 ont, entre autres, «institué l'émigration intellectuelle algérienne». La bourse d'étude est une «institution» de socialisation ; elle a comme fonction, dans une situation de dépendance épistémique, d'amnésie dans l'accumulation des savoirs produits en Algérie, de marginalisation des compétences et la crise sociale du système de formation supérieure depuis plus de trois décennies, que le renforcement de la formation des foyers d'émigration et l'augmentation des prédispositions à la migration internationale. Il s'agit d'un état psychosocial transgénérationnel de représentations sociales, qui a comme caractéristique, «l'instabilité spatio-temporelle» de l'intelligentsia algérienne. Une instabilité structurelle incorporée dans sa socialisation de base. Ce qui explique les flux migratoires des Algériens dans toutes les directions, en particulier celles qui concernent les universitaires et les compétences professionnelles. C'est là l'exemplarité au sens «sayadien» du terme, de la migration intellectuelle algérienne. Fonctions idéologiques de la politique des bourses La politique des bourses, le système de coopération signés entre l'Algérie et d'autres pays, ne peuvent que nous renseigner sur cette profondeur anthropologique, pur produit de l'histoire politique. Une histoire qui s'est traduite par des pratiques et des représentations propres à l'intelligentsia algérienne qui n'arrive pas à se structurer en corps autonome autour d'un idéal sociétal, permettant des ruptures avec le «syndrome des divisions autodestructrices». Ce syndrome se transforme en un soubassement culturel et en des «clivages précaires», expliquant dans certaines situations la fuite de certains intellectuels algériens vers d'autres pays, où ces clivages sont relativement régulés par le droit positif. Pour d'autres, qui n'ont pas opté pour ce premier choix, ils se trouvent dans une posture «d'exil intérieur» ou dans un processus social d'autodestruction (clivages, querelles, conflits, rancunes, haines, auto-marginalisation…). Les stratégies individuelles ou collectives de mobilités internationales conventionnelles ou extraconventionnelles de l'intelligentsia algérienne, ne sont, dans la majorité des cas, que des parcours qui ont comme sens la fuite de ces divisions sociales et idéologiques devenues insupportables au point du fatalisme. Fatalisme qui s'accentue avec la panne de passage à la modernité politique où la vie sociale est censée être régulée sur la base d'un «contrat social» qui aura comme substance le droit positif. Ce «syndrome algéro-algérien» va se juxtaposer davantage par rapport aux élites bénéficiaires de la politique de formation à l'étranger. Dans cette optique, l'éminent sociologue de l'éducation, Aïssa Kadri, a magistralement déduit dans sa conclusion, en traitant de la problématique de la formation à l'étranger des étudiants algériens : «La formation à l'étranger ne va ainsi que redoubler les hiérarchisations mises en place entre ceux qui ont été formés à l'étranger et ceux qui sont formés localement, accentuant par là la dévalorisation de l'institution, elle contribue à fragmenter le corps enseignant selon les cursus antérieurs et les pays de formation ; elle approfondit les clivages, suscite des compétitions stériles focalisées sur le système d'équivalence et les statuts, déstabilisant par là davantage l'institution». Il va davantage, dans le même ordre d'idées, décrire la politique de la formation à l'étranger par l'Etat algérien pendant les années 1970 et 1980, comme une fonction idéologique, loin de sa fonction naturelle initiale qui est la fonction scientifique et technique. Il s'agit donc d'une forme de «cooptation clientéliste», utilisée avec les universitaires à des fins idéologiques et politiques des groupes dominants dans la gestion des institutions de l'Etat. L'Etat, porté lui-même par le prix du baril de pétrole, saisissait l'opportunité d'une opération qui n'était pas sans arrière-pensée politique. Elle lui permettait de se «débarrasser» d'enseignants «difficiles» représentant aussi bien ceux qui résistaient au processus d'arabisation que certains militants syndicalistes – souvent les mêmes que les premiers -, qui s'opposaient à une politique de démantèlement de l'université. La formation à l'étranger permettait aussi à l'Etat de tenter l'«occidentalisation» des premiers diplômés arabophones de l'université. C'est que la formation à l'étranger va être moins pensée en termes de maîtrise technologique que de redistribution d'une partie de la rente à une fraction de l'élite, jusque-là exclue de celle-ci, et d'une certaines façon de la corrompre.La désillusion n'en a été que plus grande . Enfin, il faut signaler que toutes les postures historiques des candidatures conventionnelles ou extra-conventionnelles qui ont commencé depuis les années 1970, ne peuvent refléter que des stratégies individuelles et collectives pour fuir implicitement, notamment pendant les années 1970 et explicitement à partir des années 1990, les obstacles culturels et idéologiques contraignants dans la réalisation de soi. Un soi, (le «Je», l'individu pensant, l'individu-entrepreneur) qui reste otage du «Nous» communautariste entretenu par un «système social clandestin», lui-même renforcé par une reproduction sociale en alliance avec l'idéologique dominant. Du coup, l'histoire ne peut être que cyclique, sous forme d'un «changement dans la stabilité».