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Colloque international sur Kateb Yacine à Guelma : Le mythe constellé
Publié dans El Watan le 31 - 10 - 2009

Kateb Yacine, l'amoureux transi, le fou de Nedjma, cette belle Algérie, n'a jamais été reconnu par et dans son pays.
Aurait-il pu être un homme d'épée qu'il n'aurait pas été général d'armée, mais tout juste un soldat anonyme ou inconnu, qui serait tombé au champ d'honneur dans un acte de bravoure. Donc, il fut un homme de plume, une plume acérée, un général du verbe juste et ravageur. Il le fallait à cette époque. Et il l'a été haut la main. Né à Constantine, il a été inscrit sur les registres d'un village, Condé-Smendou, celui de Zighout Youcef. Il a vécu son enfance et son adolescence à Guelma, Sedrata, Bougaâ, Sétif et Annaba. Il vivra sa jeunesse un peu partout à travers le monde, à Constantine, Alger, Paris, Bir Mouhouch, Moscou, Hambourg, Tizi Ouzou, Hanoï… Sa tribu, les Kbeltyia ou Beni Keblout, est à Aïn Ghrour, « la source aux illusions », à 20 kilomètres au sud de Guelma. Elle y était, car il en reste juste quelques fractions, et quelques cousins, gardiens du temple ; une magnifique vallée enserrée entre le mont Sfahli et celui de Sefiatte El Begratte. Et c'est là où tout a commencé. Les Français piégeront les mâles (au nombre de six ou sept oulémas) de la tribu en leur imputant le meurtre d'une « roumia » ou d'un couple et les décimeront.
Cette tribu, qui avait donné du fil à retordre aux Turcs, et qui ne voulait pas plier ou se soumettre, il fallait l'exterminer ! Mais comme l'on ne peut pas tout prévoir, ses terribles enfants, dont Yacine et Mustapha, pour ne citer que ces deux-là, poursuivront la lutte. Kateb prendra conscience de ce qui l'entoure pendant les massacres du 8 Mai 45. D'abord, lui sera torturé à Sétif et échappera de justesse à l'exécution, puis beaucoup de ses proches parents seront tués à Guelma. Et puis sa mère qui perd la raison, et puis son père qui meurt, et puis la lourde charge de s'occuper à un âge très jeune d'une « smala » composée de femmes et de filles, ses sœurs et ses cousines… Terrible ! Nedjma, la révolution et l'Algérie. Arabophone de naissance, (son père l'ayant orienté vers une seule chaise, celle du français, puisque la France nous dominait), il sera, bien entendu, francophone par volonté, par nécessité, par stratégie. Puis berbériste parce qu'il fallait non seulement recouvrer son indépendance, mais aussi s'approprier de toute son identité, d'autant plus que même les Banu Hillal n'en avaient pas moins été berbérisés. Amour et révolution. Amour de la révolution. Tel était son dada, son credo, sa croyance. Le reste est une affaire personnelle.
Il avait défendu l'Islam en s'adressant aux autres, les non-musulmans, mieux que les têtes enturbannées (les écrits restent, les siens). Avant la guerre de libération, du temps d'Alger Rép, il recevait dans sa maison, deux chambres louées pour la smala à Clos Salembier, ses amis journalistes et écrivains, Mohammed Dib, Taos Amrouche, Jean El Mouhoub Amrouche, Malek Haddad... Ils avaient le même idéal : l'Algérie. Ce novateur de la littérature, cité parmi les initiateurs du nouveau roman, aurait pu vivre en France après l'indépendance. Et faire mille et une Nedjma. Et récolter prix et récompenses. Non, monsieur revient en Algérie. En parlé algérien ou arabe parlé et en tamazight, il s'adressera, par le biais du père des arts, au peuple pour porter haut la voix de tous les opprimés. Malgré les mille et une censures. D'Alger, on l'exile à l'ouest, à Sidi Bel Abbès.
Qu'à cela ne tienne, ce sera une bonne occasion de mieux connaître cette autre belle région du pays. Et il travaillera comme un fou, il sera au front de tous les combats libérateurs. Cet homme qui était, il faut le dire, un enfant surdoué, deviendra avec l'âge un sage, plein d'humilité, un Diogène, un Zénon des temps modernes. La patrie n'a jamais été reconnaissante. Inéluctablement, un jour, elle le sera. Il en est de Kateb comme de l'Emir Abdelkader, qu'il avait célébré dans la salle des Sociétés savantes à Paris, à un âge où la plupart jouent aux billes ou à la marelle, comme de l'Emir Abdelkader qui, délaissé par sa patrie, a été « récupéré » par la France colonialiste, le qualifiant d'ami. On ne peut indéfiniment celer la vérité ; on s'en rendra compte un jour. Mais on peut gagner du temps, n'est-ce pas ? Vingt ans après sa mort, son aura, son étoile brille toujours ; sa mémoire n'a pas pris une ride, l'esprit de Nedjma plane toujours.
Le poète, le vrai poète, le poète issu du peuple est immortel. Déjà, de son vivant, il était devenu un mythe. Il avait en horreur les fanfaronnades. Et le genre m'as-tu-vu. De son vivant, forts du discours et du pouvoir unique, beaucoup le piquaient, et même le calomniaient. Pour (juste, quel malheur !) se faire valoir. Aujourd'hui, miracle ! Tous le connaissent. Et l'ont même très bien connu. Tant mieux. Mais attention, sa mémoire n'est pas et ne sera jamais un fonds de commerce, dont se serviraient d'aucuns pour se (re)faire valoir, se refaire une virginité ! Il a refusé la greffe de l'arabe classique. D'autres l'ont fait à leur profit et à celui de la politique ou du pouvoir du moment. Pas de maniérisme chez lui, pas de perroquet, s'il vous plaît. Il parlait le français en Algérien, en roulant superbement, musicalement, les R. Comme eut dû le faire saint Augustin pour le latin. Et Apulée pour le grec. L'un de Taghaste (Souk Ahras) et l'autre de Madaure (M'daourouche). Aïn Ghrour se trouve au milieu.


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