-Les recruteurs ont-ils raison d'exiger l'expérience professionnelle des candidats ? Louai Djaffer : les entreprises recrutent soit pour répondre à un besoin, soit pour anticiper et préparer le futur, elles ont le choix entre recruter des personnes confirmées (expérimentées) pour être rapidement opérationnelles quitte à offrir de meilleures conditions que la concurrence ou de recruter des débutants et investir davantage dans la formation et l'accompagnement pour qu'ils soient le plus rapidement possible autonomes. Chacune des approches a donc des avantages et inconvénients, rapidité et coût important pour la première option, et salaire bas, mais avec un certain investissement pour le moyen terme pour la deuxième. «Il n'y a évidemment pas d'approche idéale», dit-il. Chaque entreprise a ses propres contraintes, son propre contexte et doit faire face à la réalité du marché de l'emploi qui est caractérisé par une tension sur certains profils et métiers, une concentration des compétences dans les grandes villes et la faible préparation des jeunes diplômés au monde de l'entreprise à travers des stages en entreprises tout au long du cursus. Terki Yacine : si les entreprises exigent l'expérience professionnelle des candidats, cela est dû à trois principales raisons, à savoir la disparité de niveaux entre étudiants issus du même établissement de formation, de façon à ce que les recruteurs ne peuvent plus se baser sur la formation comme seul critère de recrutement ; le caractère théorique des formations dédiées aux étudiants et l'absence de lien avec le monde du travail ; les problèmes liés aux stages : peu d'entreprises offrent de vrais stages, avec un vrai pilotage (peu d'étudiants cherchent de vrais stages). Pourtant, s'ils sont menés à bien, les stages permettent, à la fois, l'immersion professionnelle des candidats novices. Ils rendent également possible au recruteur de voir évoluer le candidat avant de l'embaucher. -Sur quelle base les recruteurs fixent-ils le nombre d'années d'expérience professionnelle exigée pour un poste donné ? Louai Djaffer : chaque métier et secteur ont leurs propres règles, mais disons qu'en général, les entreprises exigent telle ou telle expérience en espérant que l'employé ait eu assez de vécu pour réussir la gestion du présent et prévoir les événements futurs. Terki yacine : il existe des critères sur lesquels s'appuient les entreprises pour fixer le nombre d'années d'expérience exigée, à savoir les responsabilités liées au poste de travail en question. A titre d'exemple, la mission qui consiste à établir les bilans d'une entreprise ne peut être confiée à un débutant, car il s'agit d'une responsabilité légale qu'on ne peut négliger : l'expertise technique. En effet, certains produits ou secteurs d'activité exigent une certaine expertise technique qui ne se développe qu'après un certain nombre d'années d'exercice : les clients et interlocuteurs. Si l'employé est appelé à côtoyer la catégorie des PDG à titre illustratif, il conviendrait plus d'opter pour des personnes plus ou moins expérimentées : l'âge et l'expérience de l'équipe que l'employé aura à gérer. Il est vrai que du point de vue théorique, le fait qu'un manager soit plus jeune que la moyenne d'âge de son équipe ne l'empêche pas de mener à bien ses missions. Toutefois, ce qui est vrai en théorie ne l'est pas forcément en pratique. Cette pratique est moins bien acceptée en Algérie. -Est-il possible pour un jeune diplômé de compenser son manque d'expérience ? Terki Yacine : oui, c'est possible. En effet, un jeune fraîchement diplômé plein d'ambitions et surtout à jour sur l'avancement des connaissances dans son domaine. Il possède cette énergie, ce dynamisme, cette rage de réussir qu'on ne retrouve pas généralement chez une personne qui a cumulé 20 ans de carrière. Ils peut ainsi compenser son manque d'expérience soit en effectuant des stages en entreprises, ou encore en cumulant des petits jobs tout au long de son cursus. Pour cela, il peut mobiliser son réseau, que ce soit pour trouver un stage ou un emploi, cela n'a rien de péjoratif. Il lui est également demandé de rester actif, notamment par l'adhésion à des associations. Je mets en garde les jeunes diplômés qui optent pour des cycles de formation professionnelle ou académiques supplémentaires afin d'étoffer leur CV, car les recruteurs prêtent attention à la cohérence entre les formations effectuées par le candidat. D'une façon plus claire, ça ne sert à rien de multiplier les formations si on n'a pas un réel objectif. Pour ce qui est des doctorants, si on ne travaille pas sur un sujet d'entreprise, on retombe alors dans des contenus théoriques qui nous éloigneraient de la réalité de l'entreprise. -Changer les choses, comment est-ce possible ? Terki Yacine : il faudrait que les demandeurs d'emploi se prennent en charge. Il y a un effort à faire sur la manière de postuler : «Postuler de manière intelligente». Il convient plutôt de ne pas se contenter d'envoyer un CV, d'opter pour des lettres de motivation personnalisées et de rédiger des mails, les recruteurs ne sont pas sensibles au fameux mail qui revient à chaque fois «veillez trouver ci-joint mon CV». Le candidat à un poste doit montrer au recruteur qu'il ne postule pas à un emploi quelconque dans une entreprise quelconque, il doit exprimer sa motivation, faire sentir au recruteur que c'est l'homme qu'il faut à la place qu'il faut. Il ne faut pas hésiter à se rapprocher des entreprises, à rencontrer les responsables, leur exposer sa motivation de vive voix. Après tout, nous vivons dans une société orale. Par ailleurs, les PME jouent un rôle essentiel dans la plupart des pays du monde, elles en sont à la fois les principales actrices du développement économique et de la création d'emplois. Elles représentent 90% des entreprises sur le plan mondial (Marchesnay, 2003). En Algérie les PME créées en 2011 ont permis la création de plus de 70.000 emplois, directs et indirects, dans des secteurs comme le BTPH, le transport et les services. Les débutants peuvent alors se tourner vers ce type d'entreprises en particulier, dans le but de faire valoir et de développer leurs compétences avant de se tourner vers les grands groupes et multinationales. Terki Yacine : les mesures fiscales destinées à l'insertion de jeunes en milieu de travail est une bonne initiative. Seulement, si l'entreprise a réellement besoin d'une compétence, ce ne sont pas les 10.000 ou 15.000 DA versés par l'Etat qui lui feront recruter un candidat novice.Il y a également un effort à faire au niveau des programmes de formation, afin d'intégrer le volet pratique. -Les entreprises ont-elles réellement une politique d'embauche, notamment pour les nouveaux diplômés ? Louai Djaffer : les recruteurs doivent comprendre l'intérêt qu'il y a à penser à long terme et recruter les débutants et se munir d'une structure adaptée pour les accueillir. C'est la qu'interviennent les organismes de conseil en ressources humaines, afin d'accompagner les entreprises dans la définition des profils à recruter et la définition de leurs stratégies de chasse, de par leur expertise ainsi que de la vision globale du marché du travail dont ils disposent. Terki Yacine : il est à noter que les entreprises font de plus en plus appel à ce type d'organismes. Que ce soient les multinationales nouvellement installées sur le marché algérien, du fait de leur méconnaissance du marché ou encore des entreprises en phase de création. Ainsi, en fonction de sa phase de développement et de son management, une entreprise fera ou pas appel à un organisme de conseil. Suivant une telle approche, l'entreprise bénéficierait de la vision externe des consultants qui en plus de l'expertise n'ont pas les contraintes des politiques internes (recruter un parent…). Les entreprises gagneraient en termes de coûts à externaliser cette fonction, plutôt que de recruter un expert à temps plein. J'insiste sur le rôle moteur des organismes de conseil et d'accompagnement en ressources humaines afin de créer des ponts entre les différentes parties prenantes du marché et de changer les mentalités pour faire évoluer les choses dans le sens souhaité par toutes les parties, les conduire à tirer toutes dans le même sens afin de converger les intérêts des uns et des autres et aboutir à une situation de bien-être général. Louai Djaffer : l'expérience serait pour les recruteurs une mesure qualitative plutôt que quantitative et les débutants fourniraient davantage d'efforts pour compenser leur manque d'expérience. Les choses sont en train de changer, il n'y a aucun doute là-dessus, mais en attendant que le changement s'opère, du côté des jeunes diplômés, on observe une tendance à l'immigration, certains préfèrent prendre la fuite que ce soit de façon informelle ou formelle sous prétexte de vouloir poursuivre ses études à l'extérieur. Pour ceux qui restent, et lorsqu'ils ne se tournent pas vers le commerce informel, d'autres préfèrent investir et créer leurs propres entreprises. Certes, on peut créer son entreprise sans avoir de l'expérience professionnelle, mais on ne peut pas faire vivre et évoluer une entreprise si on n'est pas entrepreneur, si on a créé son entreprise pour justement se prémunir contre le risque de chômage.Cela explique en partie le taux de disparition des entreprises peu de temps après leur création. On observe également que pour certains, l'expérience devient une fin en soi, ils vont même jusqu'à se tourner vers des emplois dans lesquels ils sous-utiliseraient leurs connaissances et ne développeraient pas leur compétence. Un ingénieur en informatique accepte d'être recruté pour faire de la saisie. Cette situation serait alors révélatrice d'un dysfonctionnement majeur. Cet état de fait nous révèle ainsi que le nombre d'années d'expérience exigée pour un poste donné, un critère que certains prennent à la légère peut avoir des conséquences majeures sur l'économie de tout un pays.