Et sans le dire aussi clairement, l'annonce prévoit une réforme en profondeur du dispositif électoral. Le Premier ministre a, en effet, affirmé que le projet de réforme/révision constitutionnel «sera soumis à un référendum populaire, dans le cas où l'équilibre des pouvoirs sera modifié». Or, qui dit modification de l'équilibre des pouvoirs, dit changement de nature de ceux existants : la Constitution actuelle, que le président Bouteflika a toujours dit ne pas aimer, a mis en place un système hybride, ni totalement présidentiel, malgré les pouvoirs très élargis qu'elle offre au Président, ni parlementaire, malgré que, théoriquement, l'APN dispose de vrais pouvoirs qu'elle n'a jamais voulu ou pu exercer. Il est donc assez logique d'imaginer que le président Bouteflika optera pour une Constitution qui élargira encore plus les pouvoirs du chef de l'Etat et instaurera un régime véritablement présidentiel. Qu'est-ce qui changera donc par rapport à la situation actuelle ? Celle-ci est caractérisée par une mainmise totale du Président sur l'ensemble du système politique en place. Bien que la Loi fondamentale actuelle ne le lui permette pas, il est la seule vraie source du pouvoir et son bénéficiaire unique : il en use et en abuse à sa guise. Mais si Abdelaziz Bouteflika, de par sa personnalité et la place inexpugnable au sommet du pouvoir qu'il a acquise à travers une série de stratagèmes au cours de ses deux premiers mandats à la tête de l'Etat, peut se permettre d'user et d'abuser du pouvoir absolu, son successeur, quelle que soit l'étendue de sa victoire électorale ne pourra en aucun cas le faire. Les contre-pouvoirs réels existant dans la Constitution actuelle (pour peu que leurs détenteurs veuillent bien les utiliser) et surtout les autres centres du pouvoir (politique, judiciaire, militaire et aussi d'argent) ne permettront certainement pas à son successeur de disposer des mêmes prérogatives que lui. C'est probablement l'une des raisons qui le poussent à une réforme en profondeur de la Loi fondamentale. Il veut laisser à son successeur, qu'il aura lui-même choisi, pour son appartenance au clan ou pour sa fidélité, les pleins pouvoirs que seule une Constitution de type présidentiel lui permettra. Personne ne pourra le mettre en situation de «trois-quarts de Président» dans laquelle il avait été lui-même mis quand il avait été «élu» président de la République en avril 1999 et de laquelle il avait réussi difficilement à se sortir. Le seul vrai objectif de la révision constitutionnelle : réussir la succession et protéger le clan Depuis déjà le début de son deuxième mandat et l'annonce de sa mystérieuse maladie en novembre 2005, la question se posait sur la manière dont se déroulerait sa succession. Et même quand il avait réformé à la hussarde la Constitution pour supprimer la limitation du nombre de mandats pour postuler à un troisième, c'était avant tout pour se donner le temps et les moyens de réussir sa succession à la tête de l'Etat. Longtemps avait circulé la rumeur d'une succession en famille. Une rumeur qui aurait pu devenir une réalité si les événements de Tunisie, d'Egypte, de Libye et d'ailleurs n'étaient venus remettre en question le scénario déjà écrit mais devenu trop risqué à mettre en images et en musique. Exit, au moins pour un temps, le temps que les images du Printemps arabe s'estompent ou se transforment en hiver arabe, la piste longtemps préparée de Saïd Bouteflika, successeur et continuateur de l'œuvre de son frère. Il fallait donc trouver une autre piste qui recevra l'aval des tenants du système actuel, parce qu'elle garantira sa pérennité et sauvegardera pour très longtemps encore ses intérêts. Et c'est cette piste qui est en train de se mettre petit à petit en place. Depuis le début de l'année 2011, le président Bouteflika a mis en œuvre un scénario secret et machiavélique pour réussir la seule chose qui compte réellement pour lui depuis l'aggravation visible de son état de santé : réussir une succession qui lui survivra et qui pérennisera les intérêts de son clan familial. Dans un premier temps, pour donner de lui et de son système politique une image très éloignée des dictatures arabes en crise et en décomposition, il avait annoncé et mené au pas de charge toute une série de pseudo réformes politiques qui n'ont absolument rien changé à la situation, quand elles ne l'ont pas aggravée : code communal, loi sur l'information, code électoral, loi sur les partis politiques, etc. Résultat, le nombre de partis politiques agréés et admis à participer aux élections (législatives, communales et de wilayas) a été plus que doublé. Le champ politique, déjà étroit, a été ainsi rétréci encore plus : les nouveaux partis, incapables de recruter ailleurs qu'au sein de ceux déjà existants, ont créé de scissions au sein de pratiquement toutes les organisations partisanes de toutes les tendances. La victime expiatoire a été sans conteste le camp islamiste, qui avait cru naïvement qu'il allait «cueillir» le pouvoir, tout le pouvoir, à l'image des pays voisins du Maroc jusqu'à l'Egypte en passant par la Tunisie et la Libye. Résultat : le MSP, qui avait eu l'outrecuidance de se mettre dans l'opposition alors qu'il avait participé à tous les gouvernements mis en place par Bouteflika pour réaliser ses programmes de développement, avait été laminé, et avec lui ses alliés de l'AAL ; les autres partis islamistes n'ont recueilli que des miettes ; tandis que le FFS qui avait répondu au son des sirènes des législatives s'est retrouvé englué dans une crise profonde qui a même emporté Hocine Aït Ahmed, son inamovible président, qui ne se représentera pas pour se succéder à lui-même à la tête du plus vieux parti de l'opposition. Les partis de l'Alliance présidentielle, FLN et RND en tête, ont tout raflé au cours des élections législatives, communales et de wilayas. Deux nouveaux partis sont venus s'ajouter à ceux de l'Alliance et ont profité des quelques miettes : le MPA de Amara Benyounès, représentant la mouvance démocratique, et le TAJ de Amar Ghoul, représentant l'islamisme soft. Le FFS a retrouvé les bancs de l'APN et le PT de Louisa Hanoune a perdu des plumes dans sa politique de «soutien critique» de la politique de Bouteflika. La scène politique est donc restée pratiquement la même qu'avant les réformes : toute à l'avantage du système qui a squatté le pouvoir depuis l'indépendance du pays. Le Président est resté le seul vrai maître du jeu : tout, absolument tout, est soumis à sa seule volonté. C'est lui qui fixe les règles du jeu et c'est lui qui en sort en permanence vainqueur. La suite des réformes, il l'avait annoncée lui-même, le 8 mai 2012 à Sétif, au cours de son dernier discours à la nation, à la veille des élections législatives : ce sera la révision de la Constitution. Le moment est maintenant arrivé pour «tenir» la promesse. Le Président a beaucoup tergiversé sur le moment et le contenu des changements qu'il veut apporter à la Constitution qu'il avait déjà «manipulée» en novembre 2008, pour pouvoir postuler à un troisième mandat. La grande majorité des analystes de la scène politique algérienne pense que la prochaine révision aura pour objectif premier d'organiser la succession du président de la République pour garantir la pérennité du système tel qu'il a été développé sous le long règne de Bouteflika. Ajoutons que même si une telle solution constitutionnelle n'est pas retenue, compte tenu des résistances réelles à un quatrième mandat, qu'elle suscitera au sein même du sérail, une autre piste pourrait être suivie, qui aurait exactement le même résultat que celui attendu : adouber un «prince héritier» et le faire élire à la prochaine élection présidentielle d'avril 2014. Les analystes et les médias se sont posé la question du retard mis par les pouvoirs publics pour annoncer la date de la révision constitutionnelle. Il semble bien que le Président ait mis deux fers au feu : l'un et l'autre dépendant de l'évolution de son état de santé. C'est de toute évidence l'état de santé du Président qui a fait reculer le plus loin possible la date de la révision de la Constitution. Il s'agissait apparemment de s'assurer que l'évolution implacable de sa maladie ne l'empêchera pas de postuler à un quatrième mandat, quitte à ce que ce quatrième mandat n'aille pas jusqu'à son terme. L'essentiel est que le troisième, lui, le fasse et que le Président sera, en avril 2014, en mesure de présenter une candidature «physiquement» crédible. Le but visé étant d'être remplacé, le moment venu, par son successeur qu'il aura auparavant désigné, conformément aux dispositions de la nouvelle Constitution révisée. Il semble bien en effet que c'est vers une telle issue que nous amènera l'étape actuelle des «réformes bouteflikiennes». Une Constitution qui, outre un régime présidentiel qui a toujours eu sa préférence, instituera un système de succession «automatique» au profit d'un «prince héritier» constitutionnellement désigné. Tout porte à croire qu'il s'agira d'un vice-président que la nouvelle Constitution lui permettra de désigner lui-même et qui lui succèdera en cas d'empêchement. Compte tenu de l'hypertrophie de l'ego du Président, il serait étonnant que la nouvelle Constitution opte pour un «ticket» président/vice-président, comme cela se fait aux Etats-Unis. Dans cette formule, le vice-président disposera d'une légitimité électorale aussi grande que celle du Président et pourrait le rendre «incontrôlable» pendant toute la période de «cohabitation». Dans le cas où la maladie du Président devient visiblement et inéluctablement invalidante ou si comme semblent le penser beaucoup d'analystes politiques, il devra faire face à une opposition ferme d'une partie des membres influents du système, une autre formule tout aussi motivante pour le clan pourrait être choisie et adoptée : une formule à la Chavez, qui avait désigné un successeur de son vivant sans pour autant, Constitution oblige, qu'il lui succède automatiquement. Il devra d'abord affronter le suffrage universel et remporter l'élection présidentielle. Une telle formule, si elle ne garantit pas l'élection du «prince héritier», a comme avantage d'être plus «démocratique» et donc de susciter moins de résistance au sein même du pouvoir en place. Dans cette optique, il ne sera pas nécessaire que Bouteflika se présente à un quatrième mandat. Il lui suffira d'adouber, dès le début de l'année 2014, son successeur pour lui ouvrir la voie à une élection certaine. Et c'est là que les résultats des élections législatives de 2012 et la recomposition du champ politique qu'elles ont permis ont leur importance dans le scénario de la succession : les partis de l'Alliance, toutes tendances confondues, représentent une monumentale force de frappe en tant que machine à gagner les élections, quitte à ce qu'elles soient loin d'être transparentes et honnêtes. Le FLN et le RND, qui entre-temps auront surmonté leurs crises internes, prendront fait et cause, de manière volontaire ou forcée, pour le «prince héritier» et mettront à son service leur machine à faire voter. Le TAJ en fera de même : il aura entre-temps renforcé ses rangs et sera d'un apport non négligeable pour le nouveau «candidat du consensus». Le MPA en fera de même. Il sera difficile pour les opposants, ceux qui participeront et ceux qui boycotteront, de résister à une telle force de frappe. A moins que les crises actuelles du FLN et du RND ne persistent et ne viennent fausser tous les calculs. Il est vraiment difficile de croire à un tel scénario : il équivaudra à un véritable suicide politique et au début de la fin du système mis en place depuis juillet 1962. Quid du «Prince héritier» ? Quelle que soit l'importance de la révision constitutionnelle annoncée et le rééquilibrage des pouvoirs auxquels elle parviendra, c'est surtout le mode de succession qui sera utilisé (constitutionalisé ou pas) qui sera le plus scruté par les observateurs. Et la question «Majuscule» sera de connaître le nom du «prince héritier». Est-il déjà choisi ? Fait-il déjà partie de la liste des noms qui circulent depuis un moment ? Serait-ce une personnalité totalement nouvelle ? Aucune réponse n'est possible dans l'état actuel des informations disponibles. Ce qu'il est assez loisible d'affirmer, c'est que les crises du FLN et du RND ont mis fin aux ambitions de Belkhadem et de Ouyahia. Ils ont été les victimes de leurs ambitions présidentielles trop vite annoncées. De toutes les façons, aucun des deux n'a le profil du «prince héritier». Avec eux, les intérêts du clan Bouteflika ne pourront pas être protégés, même si, avec chacun d'entre eux, le système en place ne fera que se succéder à lui-même. Parmi les noms qui circulent (certainement des ballons d'essai), l'on retrouve les noms de Mouloud Hamrouche et Ali Benflis. A mon avis, les deux ont peu de chances d'être adoubés par le Président : le premier parce qu'il traîne des casseroles avec sa gestion catastrophique du FIS du temps où il était Premier ministre, et aussi parce qu'il a toujours voulu être le candidat de l'armée. Le deuxième parce qu'il avait eu l'outrecuidance de s'opposer à Bouteflika en 2004. Bouteflika, c'est connu, ne pardonne jamais à ceux qui l'ont «trahi». Il reste le mystère Sellal. Sa nomination au poste de Premier ministre, ses compétences managériales, sa proximité avec le clan Bouteflika, sa fidélité proclamée au chef, son absence d'ambition présidentielle, tout cela peut faire de lui l'homme idoine pour succéder au Président dès 2014. Etant entendu que le moment venu, en 2019, il cède la place au véritable «prince héritier», un membre de la famille Bouteflika. Pourquoi pas Saïd, qui n'a certainement pas renoncé, loin de là, à l'ambition de succéder à son frère ?