Merzak Allouache vient de reçevoir le Palmier d'or au Festival international du cinéma méditerranéen de Valence (Espagne). Dans Bab El Web, vous avez porté à l'écran le problème d'une jeunesse de cybervoyageurs branchés sur l'occident à travers la télé et internet. Et vous revenez à la charge avec Harragas, mais le voyage est, cette fois-ci, bien réel. A votre avis, ce phénomène est-il désormais un drame national qui doit dépasser le stade de la fatalité du constat et qui mérite que les autorités nationales s'y penchent sérieusement ? Bab El Web était une comédie dans laquelle j'évoquais le désir de partir de jeunes d'Alger et des stratagèmes mis en place pour arriver à leur fin. Aujourd'hui avec Harragas, il s'agit bien d'un drame dont je parle. D'un drame national, même si certains ironisent sur ce phénomène et que d'autres tentent de le passer sous silence, pour montrer que tout va très bien dans le meilleur des mondes. Je suis contre la fatalité du constat et pour que des solutions urgentes soient trouvées. Mais mon rôle de cinéaste est avant tout le témoignage. Bab El Oued est-il devenu exigu pour contenir vos désirs de reproduire sous forme de fictions les maux de la société algérienne et les drames que vit cette jeunesse qui est physiquement en Algérie, mais mentalement ailleurs ? J'ai tourné d'autres films ailleurs qu'à Bab el Oued. Les mêmes problèmes sont vécus par les jeunes de tous les quartiers populaires de toutes les villes et de tous les villages. Partout. Lorsque je tournais certains de mes films à Bab el Oued, ils n'étaient pas accueillis comme des films « houmistes », mais comme des films nationaux. Un film comme Bab el Oued city, tourné en 1993 au moment de l'assassinat de Tahar Djaout et de biens d'autres, pointait l'intolérance qui s'était installée chez nous. Ce film était reçu comme un film algérien qui ne racontait pas seulement le quotidien d'un quartier de la capitale. Idem à l'époque pour Omar Gatlato. Dans la majorité de mes films, j'essaie de parler de l'Algérie et de sa jeunesse. Et lorsque je me suis installé à Mostaganem pour tourner Harragas, je me suis senti autant chez moi qu'à Bab el Oued… Vivre ailleurs ne m'empêche pas d'être préoccupé par ce qui se passe ici. Il semble que votre dernière production (Harragas) a déjà fait le tour en Europe, mais n'a pas encoure foulé le sol des salles de cinéma algériennes, du moins pour sa présentation. Cela confirme-t-il la maxime « Nul n'est prophète en son pays » ? Harragas vient de commencer son existence. Une existence normale que vit toute production cinématographique normale. Nous le présentons d'abord aux festivals qui l'acceptent, ce qui met en place un bouche à oreille utile pour sa sortie. Ce fut comme ça pour tous mes films. A présent, parallèlement à la poursuite des présentations dans des festivals ou au cours de séances spéciales, nous préparons sa sortie en salles en Algérie et ailleurs. J'espère que cette sortie aura lieu le plus rapidement possible, puisqu'un distributeur algérien est intéressé par le film. Cette situation n'a rien à voir avec l'adage dont vous parlez… je ne suis prophète ni dans mon pays ni ailleurs… Je suis cinéaste. Je tourne des films, et tant que j'aurais la santé et la force, j'en tournerai. Que ça déplaise à certains de me voir tourner ne me touche absolument pas. Il y a un autre adage qui dit que « les chiens aboient et la caravane passe »… Là où on vous attend avec des documentaires, vous privilégiez l'œuvre fictive. En traitant des problèmes sociopolitiques en Algérie (islamisme, terrorisme, chômage, malvie…), voulez-vous vous inscrire dans la lignée des cinéastes-auteurs qui se veulent chroniqueurs de leur époque ? Je me considère comme cinéaste-auteur, puisqu'en général j'écris mes scénarios. C'est à celles et ceux qui regardent mes films de dire (ou ne pas dire) si ma cinématographie a un rapport avec la chronique d'une époque, d'un pays. Lorsque je prépare mes films je ne pense pas à ça… Je suis aussi cinéaste de fiction. Je raconte des histoires qui me tiennent à cœur. Mes préoccupations évoluent au gré des périodes et je suis totalement libre dans mon expression. C'est ainsi que je considère ma fonction de cinéaste. Merzak Allouache a-t-il un vœu pieux, une œuvre dans son imaginaire qui pourrait marquer sa vie d'artiste et l'immortaliser artistiquement parlant ? Alors quel est le sujet ou la fiction que vous rêvez de réaliser ? Depuis de très longues années, je traîne un scénario basé sur les contes des Mille et Une Nuits, Aladin, traité à l'algérienne… De temps en temps, je le relis, j'y repense en me disant qu'il faudrait être à Hollywood pour pouvoir le réaliser. Et en fait, par le hasard de rencontres, il est en train de se transformer en dessins animés… C'est un genre qui me passionne aussi. Vous venez de décrocher la Palme d'or du festival international du cinéma méditerranéen, qu'est-ce que cela représente pour vous et pour le film ? C'est un prix qui me fait plaisir. Mais évidemment, le plus important pour moi c'est la circulation de mes films et les rencontres avec le public : le large public. Le vrai public, en Algérie et ailleurs. J'ai eu des films sans festivals et des films avec. J'ai eu des prix… De beaux succès… mais aussi des échecs relatifs que la faune locale des médiocres, des détracteurs… des « casseurs de sucre »… des faiseurs de « diaâyate » s'est empressée d'exploiter… Cela ne m'a pas empêché de poursuivre mon chemin. L'essentiel dans ma vie, c'est de pouvoir tourner. Etre libre de tourner. Et tourner ce que j'ai envie de tourner… Je suis un cinéaste. Chaque jour, des centaines de candidats à l'immigration clandestine tentent d'atteindre l´autre côté de la rive méditerranéenne, un message à ces harraga ? Je ne peux ni les encourager ni les condamner… J'espère juste un meilleur avenir pour la jeunesse algérienne… Une vie heureuse qui mette fin à ce suicide collectif. Bioexpress de Merzak Allouache : Scénariste et réalisateur du fameux Chouchou de Gad Elmaleh, Merzak Allouache entre à 20 ans à l'Institut national cinématographique d'Alger, d'où il ressort diplômé grâce à son film Croisement. Puis il réalise son premier court- métrage, Le Voleur, avant de compléter sa formation à l'IDHEC puis à l'ORTF en 1968. Merzak Allouache commence à gagner sa vie en produisant des court métrages humoristiques et documentaires pour la télévision. L'un d'eux, Omar Gatlato, est sélectionné pour la Semaine de la critique à Cannes en 1977. Bab El Oued City en 1994. Après avoir signé en 1996 la comédie Salut cousin !, pour laquelle il collabore pour la première fois avec Gad Elmaleh, Merzak Allouache s'engage à travers un documentaire diffusé sur Arte, Vie et mort des journalistes algériens. Il persiste avec L'Autre monde en 2001, où il est une nouvelle fois question de la guerre civile en Algérie. Chouchou fait sa fortune et propulse grâce à lui Gad Elmaleh dans son rôle fétiche de travesti optimiste. Merzak Allouache réitère dans le registre de la comédie avec Bab el web en 2005, prouvant qu'il est capable de filmer le réalisme cru de la guerre, comme les mécanismes du rire.