M. Aït Larbi, qui est connu non seulement pour avoir plaidé dans les grandes affaires qui ont marqué les annales de la justice algérienne, mais aussi pour ses engagements politiques en faveur de la défense des droits de l'homme et les libertés démocratiques depuis qu'il était étudiant, démontre tout au long des 246 pages du livre comment le système judiciaire algérien est soumis aux pressions des politiques et à celles des services et une justice qui est loin d'être indépendante. Habitué aux plaidoiries et à la défense, l'avocat met de côté l'instant de faire un réquisitoire sans appel pour dénoncer le fossé qui sépare « la justice du palais » où devrait être rendue la justice au nom du droit. Il entame son livre, son réquisitoire en se posant un certain nombre de questions : comment le juge peut-il appliquer la loi alors qu'il est tenu par une directive ministérielle ? Comment les présidents de cour exercent-ils leurs fonctions en toute indépendance sachant qu'ils sont désignés par décret présidentiel et en dehors du Conseil supérieur de la magistrature ? Comment demander au juge de garantir le principe de l'équité et d'assurer à l'accusé toutes les garanties nécessaires pour pouvoir se défendre alors qu'il traite en une séance plus de 200 affaires, bref la liste des interrogations de l'avocat est aussi longue que la liste « des dérives de la justice ». Maître Aït Larbi ne s'est pas limité à se poser des questions, mais il démontre avec des preuves matérielles – comme il le fait dans ses plaidoiries – à travers des affaires dans lesquelles il est constitué comme avocat de défense, comment que la justice est soumise et que dans certaines affaires le juge ne vient pas pour juger mais plutôt juste pour annoncer le verdict, « la décision est prise ailleurs, loin du palais et loin des lois », dit-il. Il évoque, entre autres, l'affaire Khalifa (l'arbre qui cache la forêt), les magistrats faussaires ou comment cet homme, Ben Youcef Mellouk, malmené par la justice et la police, avait accompli son devoir et choisi la prison au silence. L'affaire Sider de Annaba ou lorsqu'un directeur du ministère de la Justice décide de la culpabilité des cadres gestionnaires. Il rappelle aussi pour la justice et à ceux qui se targuent d'avoir assuré l'indépendance d'un pouvoir aussi sensible qu'est la justice, les affaires de Ali Bessaâd, El Watan (l'information est juste et l'accusation publication des fausses informations) dans l'affaire des cinq gendarmes assassinés, la condamnation en catimini du journaliste Arezki Aït Larbi pour avoir dénoncé les conditions de détention dans les prisons, notamment à Berrouaguia. L'avocat rappelle également l'affaire du FLN qui avait défrayé la chronique à la veille de l'élection présidentielle de 2004 et comment la justice est convoquée pour juger une affaire qui n'a pas lieu d'être. Encore une justice « instrumentalisée à des fins politiques », ajoute l'avocat. Il démontre aussi comment la sécurité militaire (SM), avant 1988, s'ingère dans la justice et décide à la place des juges, encitant l'affaire d'Aït Ahmed en 1965, celle des benbelistes (partisans de Ben Bella). L'héritière de la SM est fidèle aux mêmes pratiques. L'avocat cite, entre autres, l'affaire d'un responsable politique filmé dans une réunion interne du parti par une caméra des services, où il critiquait le pouvoir. Ce pauvre responsable se voit coller une accusation : outrage au Président et est déféré au tribunal militaire. M. Aït Larbi connaît l'envers et l'endroit de la justice algérienne. Comme avocat, il a côtoyé les tribunaux du pays durant 25 ans, défendant avec talent des gens ordinaires, mais il s'est illustré dans les grandes affaires politiques. Un avocat que redoutent beaucoup de juges, témoigne un de ses collègues du barreau d'Alger. M. Aït Larbi a connu les dérives de la justice algérienne bien avant qu'il soit avocat. Il fait partie des 24 détenus du printemps berbère de 1980, quelques années après, décembre 1985, il retourne dans le sinistre bagne de Berrouaguia pour avoir participé à la création de la Ligue algérienne des droits de l'homme. L'accusation est grave : atteinte à la sûreté de l'Etat. « Un crime » passible d'une peine capitale. Il passe deux ans avec ces autres compagnons, son frère Arezki, Ali Yahia Abdenour, Saïd Sadi, Nourdine Aït Hammouda, Chemim, Ferhat Mehenni et d'autres. Et comme le pouvoir n'a pas assouvi sa haine, l'avocat est assigné à résidence surveillée pendant 7 mois, de décembre 1986 à mai 1987 à Bordj Omar Driss, « un palais » au cœur du désert d'Ilizi. Il sort aguerri de ses expériences douloureuses. Il déclare devant le juge de la Cour de sûreté de l'Etat lors du procès : « Nous réaffirmons notre attachement aux principes des droits de l'homme et à notre défense pacifique des libertés politiques pour que nous vivions dans une Algérie tolérante et à la hauteur des sacrifices consentis par notre peuple. Et que seuls les barreaux de la prison de Berrouaguia pourront nous empêcher d'exercer nos droits. » Vingt-cinq ans après, il continue toujours de défendre ses droits et ceux des Algériens face à une justice « dépendante », en attendant de concilier la justice avec le palais.