S'exprimant sur les colonnes d'El Khabar Hebdo, l'avocat et défenseur des droits de l'homme Mokrane Aït Larbi n'a ménagé ni le pouvoir ni l'opposition. Il a estimé que « l'Algérie est dans une situation de blocage total ». L'avocat, qui a fait partie, par le passé, du staff dirigeant d'un parti politique, a souligné, au sujet de la manière dont semble déjà se dessiner la prochaine élection présidentielle, que « le régime a atteint une telle assurance et une telle confiance en lui-même qu'il n'a plus besoin de façade ou de sauver les apparences ». Et de penser que le taux de participation n'est aucunement un souci pour ce régime, « capable de mobiliser des électeurs en nombre souhaité dans certains bureaux de vote et de les filmer pour les montrer au journal télévisé de 20h. Quant au taux réel de participation, qui peut être en mesure de le contrôler ? » M. Aït Larbi s'appuie sur le taux de participation annoncé officiellement lors des législatives 2007 qui était de 35%. « Ce taux a ôté le caractère légitime à cette composante de l'Assemblée populaire nationale, mais ne l'a pas empêché toutefois de voter des lois et encore moins de réviser la Constitution », dit-il en précisant que les taux annoncés sont toujours calculés et prémédités par le pouvoir. Il précise, en outre, que « le régime algérien ne donne aucune importance à ce que pense la rue algérienne. Il ne s'intéresse qu'à ce que pensent les grandes puissances. S'il trouve des appuis français ou américains, il peut se passer des voix des électeurs ou du boycott des boycotteurs ». Ceci et de considérer que si le pouvoir voulait faire participer aux élections des ex-chefs de gouvernement, il aurait réussi à le faire. « Aujourd'hui, le pouvoir veut montrer que rien n'est à même de le toucher, pas même l'absence de candidats connus. Seul compte que le candidat qu'il a choisi soit élu et avec les taux voulus », a-t-il dit. M. Aït Larbi estime que l'Algérie est « le seul pays au monde où l'on connaît le nom du gagnant avant même qu'il ne présente sa candidature. Et ce qui m'inquiète personnellement c'est que le système actuel ne se soucie guère de la façade », dit-il. Evoquant toujours l'élection présidentielle qui sera, pour lui, une simple « moubayaa » pour Bouteflika, l'invité d'El Khabar Hebdo considère que le problème ne réside pas dans le nombre de mandats que le président peut briguer, mais plutôt dans qui choisira le président : « Si c'est au peuple de choisir et de décider, rien n'empêche qu'il y ait même un cinquième mandat, mais si le choix est affaire de décideurs, alors un seul mandat peut suffire. » M. Aït Larbi s'interroge, par ailleurs, sur l'objectif de Bouteflika pour son troisième mandat. « Il a construit son premier mandat sur la concorde civile, son second sur la réconciliation nationale, mais il n'a toujours pas dévoilé sur quoi il construira son troisième mandat », indique l'avocat, en précisant toutefois que ce mandat n'aura aucun fondement « s'il n'est pas basé sur le respect des droits, la consécration des libertés, la levée de l'état d'urgence et la suprématie de l'intérêt collectif sur l'intérêt personnel ». Contrairement au général Rachid Benyelles, Mokrane Aït Larbi estime que l'armée ne s'est pas retirée du champ politique : « L'armée a des prérogatives qu'elle exerce sans intervention du président et le président exerce ses prérogatives en dehors de l'intervention de l'armée. » L'avocat note en outre que les organisations et autres partis politiques entourant le candidat Bouteflika ont tous une relation directe avec la direction de l'armée à travers les services de renseignement ; « ces organisations ne peuvent faire un pas sans un signal des décideurs ». L'invité d'El Khabar Hebdo indique que le pouvoir de décision, en Algérie, est divisé en deux centres : « Il existe un centre à El Mouradia et un autre aux Tagarins. » Et de noter que le troisième mandat est le résultat d'un deal entre les chefs de l'armée (représentés par les services secrets) et le président actuel. « Il s'agit de pérenniser le système et peu importe le nombre de mandats, telle est la devise des dirigeants depuis 1962 », souligne M. Aït Larbi, qui relève une inquiétude chez les Algériens quant à leur avenir. L'avocat s'interroge sur la disparition de Ali Benflis : « N'était-il pas appuyé par un clan important au pouvoir ? Et qu'a donc Mouloud Hamrouche à dire à chaque fois que ‘'si l'armée a un candidat, il ne se présentera pas'' ? Les hommes politiques en Algérie n'activent pas à leur guise, car ils ont été choisis par les moukhabaret qui les tiennent par des dossiers et qui leur disent quand participer et quand boycotter. » L'avocat a estimé, dans sa longue intervention dans El Khabar, que le courant démocrate n'aurait jamais dû accompagner le pouvoir après la promulgation de la Constitution de 1989 : « Il aurait fallu s'opposer à un nouveau mandat pour Chadli, ce qui équivalait au maintien du système. Aujourd'hui, la mouvance démocratique devrait quitter les salons et autres hôtels pour se rapprocher des milieux populaires. » Et d'inviter les partis qui se disent démocratiques d'au moins appliquer le principe d'alternance au sein de leurs organisations. Interrogé sur le gel des activités du RCD, le parti dont il a fait partie dans le passé, M. Aït Larbi dira ironiquement que « la politique n'est pas une marchandise qu'on met au réfrigérateur ». Questionné en outre sur la voie à entreprendre pour un changement politique, l'avocat se dit contre le coup d'Etat et contre une assemblée constituante pour élaborer une nouvelle Constitution : « Il faut une opposition sérieuse qui puisse proposer une alternative à même d'éviter une explosion de la rue. »