Dans son chef-d'œuvre Tristes tropiques, Claude Lévi-Strauss écrivit, durant l'hiver 1954-1955 : « Si, pourtant, une France de quarante-huit millions d'habitants s'ouvrait largement, sur la base de l'égalité des droits, pour admettre vingt-cinq millions de citoyens musulmans, même en grande proportion illettrés, elle n'entreprendrait pas une démarche plus audacieuse que celle à quoi l'Amérique dut de ne pas rester une petite province du monde anglo-saxon. » Il préconisait l'intégration en pleine guerre d'Algérie, alors que se dessinait l'indépendance du Maroc et de la Tunisie. Né à Bruxelles le 28 novembre 1908 de parents juifs alsaciens, Lévi-Strauss est mort vendredi et ses obsèques ont eu lieu lundi « dans l'intimité », sa famille ayant décidé de décaler l'annonce du décès et des obsèques de peur d'être débordée par la médiatisation de l'événement. Philippe Descola, du laboratoire d'anthropologie sociale au Collège de France, considère que Lévi-Strauss est « l'anthropologue dont l'œuvre aura exercé la plus grande influence au XXe siècle ». « Dénonçant sans relâche l'appauvrissement conjoint de la diversité des cultures et des espèces naturelles, il (Lévi-Strauss) a toujours vu dans l'anthropologie un instrument critique des préjugés, notamment raciaux, en même temps qu'un moyen de mettre en œuvre un humanisme "généralisé" », a relevé M. Descola. Le défunt est le premier anthropologue élu à l'Académie française en mai 1973. De retour à Paris à la veille de la guerre, mobilisé en 1939-40, il quitte la France en 1941 pour New York où il enseigne. En 1959, il est titulaire de la chaire d'anthropologie sociale au Collège de France, où il exerce jusqu'à sa retraite en 1982. Peu soucieux de postérité, il n'avait pas écrit de mémoires mais s'était confié, dans un livre-bilan remarqué, De près et de loin. Parmi ses ouvrages considérés comme majeurs figurent les Structures élémentaires de la parenté ; Anthropologie structurale et La Pensée sauvage (1962). « Il ne s'agit pas de la pensée des sauvages mais plutôt de la pensée sauvage. C'est une forme qui est l'apanage de toute l'humanité et que nous pouvons retrouver en nous, mais nous préférons d'ordinaire aller la chercher dans les sociétés exotiques », expliquait-il.