Les ouvriers algériens des chantiers chinois de l'autoroute Est-Ouest dénoncent la façon dont ils sont exploités. Entre semi-connivence des autorités et impuissance des syndicats, les nouvelles victimes du système chinois racontent. « Les Français ont piétiné vos droits pendant 130 ans, ce n'est pas aux Chinois de vous les accorder aujourd'hui ! » Dans l'enceinte du chantier chinois CITIC CRCC, de l'autoroute Est-Ouest, sur le tronçon reliant Adjiba à El Bibane (Bouira), la direction ne prend pas de gants pour parler à ses ouvriers. Tous Algériens. C'est en ces termes que s'est tout en cas adressé un responsable chinois à un membre du syndicat venu réclamer que les droits des travailleurs soient respectés. Depuis deux ans, date du lancement du chantier, les huit cents ouvriers algériens embauchés par cette entreprise ne cessent de crier au scandale. Les raisons sont multiples et les accusations sont graves. Mépris, exploitation, insultes en tout genre, conditions de travail quasi insupportables, salaire de misère, licenciement abusif… caractérisent leur quotidien. Après des appels de détresse aux autorités locales, qu'ils accusent, par ailleurs, de complicité avec les Chinois, les travailleurs ont décidé de saisir le président de la République, dans une lettre ouverte envoyée il y plus d'un mois. Pour l'instant, ils n'ont aucune réponse. Pour le porte-parole de ce syndicat, Djamel Kaci, « le mutisme des Chinois et les pénibles conditions de travail nous ont amenés à protester, cet été, en fermant la route qui mène au chantier et en brûlant des pneus. Nous avons ainsi paralysé le chantier pendant huit jours ». Cette action leur a valu des poursuites judiciaires, toujours en cours, et « un harcèlement de la part des Chinois qui nous ont accusés d'être les instigateurs des émeutes et ont amadoué quelques uns des militants ». La lutte de ce syndicat, considérée au départ comme illégale par les Chinois et par les autorités locales, a conduit les ouvriers à créer une section syndicale au sein de l'UGTA de Bouira. « Car la création d'un syndicat autonome nécessite du temps. La délivrance de l'agrément peut prendre des années ! », confie, sourire au coin des lèvres, Djamel Kaci. Rencontrés dans un café à Ahnif, à 80 km à l'est de Bouira, les ouvriers sont venus jusqu'à nous, pour témoigner du mauvais traitement des Chinois à leur égard. Azziz, 32 ans, agent de garde, est aujourd'hui contraint de marcher avec des béquilles. « Un soir, je faisais une tournée d'inspection comme d'habitude, à l'aide d'une lampe électrique. Soudain, je suis tombé dans un ravin. J'y ai passé toute la nuit, seul. J'avais tellement mal que je ne pouvais pas me lever. J'ai attendu le matin que des collègues me transportent à l'hôpital. » Et de poursuivre : « Les Chinois étaient là, au bord du ravin, en train de rigoler, sans me prêter assistance. » Heures sup' Les témoignages sur les déboires des ouvriers se succèdent, certains plus tragiques que d'autres. Rabah, 25 ans, ouvrier dans ce chantier depuis les débuts, est en arrêt maladie depuis cinq mois. « Je travaillais comme d'habitude quand tout d'un coup, une machine de plus de 5 tonnes m'est tombée sur le pied, raconte-t-il. J'ai été embarqué par les Chinois une heure après, à l'arrière d'une camionnette de service, comme du bétail. J'ai ensuite été livré à moi-même, contraint d'appeler ma famille pour me venir en aide. » L'histoire de Rachid, père de famille, est plus grave encore. Aujourd'hui presque paralysé, cloué au lit, il raconte : « Un jour en plein travail, un engin a pulvérisé mes jambes. Mes os se sont alors émiettés comme de la poudre. » Un de ses collègues, les larmes aux yeux, témoigne : « Les quelques Chinois qui ont assisté à la scène riaient à s'étouffer et le traitaient de tous les noms. » Rachid vit aujourd'hui grâce à l'aide de ses ex-collègues, qui chaque mois, organisent une collecte d'argent pour lui. Face à ces accusations de non assistance à personne en danger, nous avons tenté d'approcher les responsables du chantier CITIC CRCC. Dans un français approximatif, l'employé chargé de filtrer les demandes, nous renvoie vers l'Agence nationale des autoroutes. Un responsable de l'ANA a bien souhaité nous recevoir, tout en nous expliquant qu'il n'était pas habilité à s'exprimer sur le sujet. Logique, d'autant que l'agence n'est pas responsable des ouvriers. Interrogé sur les agissements des Chinois, il n'a pas souhaité s'exprimer, arguant ne pas être au courant.Sur leurs conditions de travail, les ouvriers algériens sont pourtant intarissables. « Lamentables », clament-ils tous d'une seule voix. « Sans casque de protection, ni chaussures spéciales, notre seule tenue de travail est une combinaison bleue, explique l'un d'entre eux. Vous imaginez le risque que nous prenons en travaillant dans ce chantier ? Et les Chinois ne veulent rien entendre ! De plus, nous n'avons même pas de prime de risque ! » « Nous sommes payés 12 000 DA par mois, conteste de son coté Akli, alors que les Chinois sont payé cinq ou six fois plus que nous à ne rien faire ! » Pire : selon les formulaires de pointage écrits en chinois que nous nous sommes procurés, les heures de travail quotidiennes sont chaque jour… prolongées de huit heures ! « Un jour j'ai essayé de protester contre cette nouvelle forme d'esclavagisme, confie Kamel. En guise de réponse, les Chinois m'ont tabassé. Quelques jours après, j'ai été renvoyé ». D'après les ouvriers du chantier CITIC CRCC, les Algériens seraient exposés aux même conditions de travail sur les autres chantiers confiés aux Chinois dans la région, à l'instar de Hamma El Bibane et El Yachir. Tous savent à quoi s'en tenir sur l'aide que les autorités locales seraient censées leur apporter. « Nos ouvriers font désormais face à deux administrations : algérienne d'un coté et chinoise de l'autre, commente un ouvrier. Le projet de l'autoroute Est-Ouest est la consécration de l'amitié sino-algérienne… comme l'atteste ce panneau publicitaire érigé à l'entrée de la nouvelle autoroute de Rouiba… »