Alexandra Novosseloff, chercheur associée à l'université de Paris II, a visité avec son collègue Frank Neisse, pendant deux ans, des murs érigés aux quatre coins de la planète. A l'occasion du 20e anniversaire de la chute du Mur de Berlin, ce lundi 9, elle revient sur les frontières de béton et celles, virtuelles, qui séparent les hommes. Apres la chute du Mur de Berlin, à l'heure de la mondialisation, de nouveaux murs sont pourtant érigés dans différents endroits de la planète. Vous avez témoigné de la réalité de ces symboles de repli dans votre ouvrage Des murs entre les hommes, en vous attardant sur huit d'entre eux. Qu'est-ce qui vous a le plus marqué ? Nous avons pris chacun des huit murs dans leurs spécificités pour tenter d'en dégager des caractéristiques communes, entre l'essai géopolitique et le récit de voyage. L'un des murs les plus impressionnants est celui qui sépare les deux Corée. Côté nord, il y a encore des soldats et il se dégage une forte atmosphère de guerre froide. Un autre mur laisse des traces dans nos mémoires, celui qui sépare Israël des territoires palestiniens, du béton brut de neuf mètres de haut. Il ne sépare pas seulement Israéliens et Palestiniens, mais surtout Palestiniens entre eux… Prendre des photos devant ces murs de séparation, cela n'est pas forcément évident. Avez-vous eu des difficultés à rapporter ces photos fortes que l'on peut voir dans différentes expositions ? Généralement, autour des murs, ce sont des zones militaires très sécurisées. Nous avons dû ruser. La partie qui a construit le mur ne veut pas en faire de publicité donc il y a rarement des autorisations. La partie qui subit le mur, elle, est plus accueillante. Nous travaillions en nous faisant passer pour des touristes mais cela n'était pas évident… Pour le mur du Sahara occidental, nous étions du côté Polisario, mais même là, nous ne pouvions nous en approcher, car le terrain est miné. Avec le désert et le sable, les mines se déplacent, donc il y a une zone de sûreté à ne pas franchir. Nous avons photographié le mur à un kilomètre, on ne va pas mourir pour des photos… Il y a mur et mur… La problématique du mur israélien est-elle la même que celle du mur entre le Mexique et les Etats-Unis ? Ou celui érigé par le Maroc contre le Polisario ? Y a-t-il des points communs ? On observe deux phénomènes distincts : d'abord, il y a des murs érigés à la suite de guerres civiles, comme c'est le cas de Chypre, du Cachemire ou de Belfast. Ces murs sont devenus des frontières. C'est vrai pour le cas d'Israël qui a pour objectif de dresser une frontière pour être séparé des Palestiniens. L'autre phénomène, ce sont ces frontières qui s'emmurent, résultat du discours sécuritaire d'après les attentats du 11 Septembre 2001 à New York. C'est le cas du mur entre les USA et le Mexique, ou de la barrière de Ceuta et Melila en Espagne. On dit à son opinion publique : « Ne vous inquiétez plus du terrorisme, de l'immigration, nous avons mis des barrières. » D'autres raisons expliquent l'émergence des murs : pour maintenir un statu quo après une guerre civile afin d'éviter la résurgence du conflit, mais surtout pour se séparer de l'autre, comme c'est le cas en Israël qui veut se séparer définitivement de ces voisins palestiniens. Ces murs sont-ils forcément matérialisés par la pierre ou le béton ? En Algérie, la frontière terrestre est fermée avec le Maroc depuis 1994, et c'est l'une des plus longues frontières fermées au monde (1559 km) ! Comment analysez-vous ce mur immatériel entre les deux voisins du Maghreb ? Chaque mur est l'échec du politique. On érige un mur parce qu'on n'a pas trouvé d'autre solution. Pour le cas de l'Algérie et du Maroc, les rancœurs ont pris le dessus, il y a une incapacité à se réconcilier. Le mur, c'est alors le bon moyen de conjurer la peur de l'autre... Non, c'est une demi-mesure, cela crée des rancœurs. Un historien israélien disait à propos du mur qui sépare Israël de la Cisjordanie que « ce mur allait créer une nouvelle génération de Palestiniens qui allaient haïr encore plus Israël ». C'est vrai, un mur est contre productif sur le long terme, c'est un peu reculer pour mieux sauter. Vingt ans après la chute du mur de Berlin, faut-il faire « sauter » tous les murs entre les hommes ? Il faut le souhaiter, mais ce n'est pas en le disant que cela se fera. Il y a un paradoxe après la chute du mur de Berlin : on s'attendait à une mondialisation avec ouverture des frontières et on assiste au phénomène inverse : un repli sur soi, une recherche d'identité. Cela explique que l'on continue à construire des murs après Berlin…