Lors de leur visite à Bouinan, le 23 décembre 2012, Abdelmadjid Tebboune, ministre de l'Habitat, et Amara Benyounès, ministre de l'Environnement et de l'Aménagement du territoire, ont déclaré de concert : «Dans un mois, tous les blocages des actions immobilières seront levés !» A ce jour, soit cinq mois après, le gel persiste encore après avoir duré plus de dix ans. Aucun projet immobilier n'est possible. Mardi dernier, M. Benyounès, de passage à Bouinan, a réitèré, devant les habitants, incrédules, la même promesse. «Depuis dix ans, il ne nous est pas permis de faire des projets, nous déclare un citoyen de Amroussa (située à la sortie ouest de la commune), chaque décision est soumise au plan de la ville nouvelle, que les autorités cachent jalousement ! Même les locaux dits de Bouteflika, toutes les communes du pays en ont bénéficié, Bouinan, seule, a été mise à l'écart, à cause de ce gel imposé par ces décideurs qui ne connaissent rien des spécificités de la région !» Bouinan est une région à caractère agricole : depuis des générations, il n'y a eu à cet endroit que des paysans et des éleveurs. Un membre de la famille Djiar de Amroussa nous dit : «Notre famille habite ici depuis plus de trois siècles !» Il nous montre un acte de propriété datant de 1817. «Je ne veux pas être déraciné ! Ils déclarent que nous avons signé quelque chose, c'est un mensonge !» Y a-t-il eu arnaque ? En 2007, les agents du cadastre sont passés pour recenser toutes les terres de la commune de Bouinan pour une mise à jour. «Quelque temps après, une autre ‘‘commission de recensement'' s'est présentée. Nous l'avons accueillie chez nous, l'avons aidée dans son travail et nous avons signé ce que nous avons cru être un avis de passage. Personne ne nous a parlé d'une quelconque cession ou d'une possible expropriation», martèle M. Djiar ! C'est une escroquerie !» «C'est ce qui s'est passé en Palestine ! On nous a pris nos terres ‘‘légalement'' sans nous prévenir», se désole M. Djaber, un fonctionnaire à la retraite. «Devant le ministre, Souab Abderrahmane, directeur technique de l'EPIC — ville nouvelle — affirme avec moult détails et cartes à l'appui que 80% du quartier Amroussa seront démolis, et quand il s'adresse à la population de la région, il affirme que leurs habitations seront épargnées(!)» Ce discours «à deux vitesses» sème le doute et l'angoisse parmi les habitants de Bouinan qui ne savent plus qui ni quoi croire. La loi 91/11 du 27/04/1987, qui définit les règles concernant l'expropriation pour utilité publique est pourtant claire. «Est-ce un cas d'utilité publique ? s'interroge M. Djaber, quand on sait qu'entre Bouinan et Soumâa (à l'ouest), il y a cinq kilomètres de terres inexploitées et qu'entre Bouinan et Bougara (à l'est), il y a la même distance, donc la même superficie ? Pourquoi vouloir construire une ville nouvelle sur une ville qui existe déjà ?» Au départ, il était question d'une ville nouvelle au piémont de la montagne qui viendrait, sous forme de croissant, entourer l'ancien Bouinan, et non une ville qui la remplacerait. Bouinan est l'une des rares communes où il n'y a pas de constructions précaires. Les habitants sont tous propriétaires de leur terre. Certains affirment avoir vu dans le dossier de la ville nouvelle des photographies qui ne représentent pas la région indiquée, mises là pour induire en erreur les décideurs. «Des terres agricoles ont été sacrifiées au profit de ce projet qui ne réjouit que ses concepteurs.» Qu'en pense le ministère de l'Agriculture ? «Cette opération de ‘‘bétonisation'' de la Mitidja a commencé, il y a quelques décennies et continue d'étouffer la région. Que laisseront-ils aux générations futures ? C'est un crime !» s'indigne un sexagénaire issu d'une famille de paysans installés à Bouinan depuis toujours. Des idées insolites Un terrain de golf de vingt hectares remplacera des orangeraies qui faisaient la fierté de la région ! Combien y a-t-il d'Algériens qui jouent au golf ? L'Etat a aidé, à coups de milliards, les agriculteurs de la région pour que la Mitidja retrouve sa vocation d'antan. Aujourd'hui, on leur «propose» (ont-ils vraiment le choix ?) de les indemniser pour pouvoir y construire «leur» ville nouvelle. «La décharge publique de Amroussa, a déclaré M. Benyounès en décembre 2012, sera transformée en parc de loisirs !» Cinq mois après, une deuxième décharge d'ordures est née, juste à côté ! Ammi Mohammed se remémore : «C'était un site paradisiaque ! Je me rappelle, je gardais mes vaches quand Boumédiène, le défunt président, est venu s'arrêter devant moi, lors d'une de ses visites inopinées et me dit en me tapotant dans le dos : on construira, ici, un centre pour asthmatiques ! La montagne d'ordures, aujourd'hui, rend tous nos enfants asthmatiques!» A la sortie ouest de Bouinan, une station service a été cédée à la veuve du chahid Zahra Laïd. Tombant sous le coup du nouveau tracé de cette ville nouvelle de tous les mécontentements, la station serait, après vérification, inexistante au niveau du cadastre, donc non indemnisable ! Le message et l'anecdote Les habitants de Amroussa —et ceux de toute la commune de Bouinan — insistent sur le caractère pacifique de leur revendication. «Nous ne voulons pas de problèmes ! Mais nous ne ferons pas de concessions non plus ! Nous ne voulons ni vendre, ni céder nos biens. Ils appartiennent aux générations à venir. Ce n'est pas à nous d'en décider ! On revendique la levée du gel qui dure depuis dix ans sur les biens immobiliers, et une promesse (engagement de la part de l'Etat) aux citoyens (qui ne veulent pas vendre) que leurs biens ne seront pas touchés.» Un citoyen demanda au directeur du projet de la ville nouvelle de Bouinan : «Qu'est-ce que vous faites le week-end ?» Le responsable lui répondit : «Je vais au bled pour me reposer !» Le citoyen : «Eh bien ! C'est ce bled, que vous voulez nous confisquer avec vos projets arbitraires, que nous défendons !»