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Ménéa : «Donnez moi wilayati !»
Publié dans El Watan le 14 - 06 - 2013


El Ménéa de notre envoyé
Sous un soleil blanc, Berni, la trentaine, pose devant la tente de la «wilaya» de Ménéa : à cause du vent violent, les jeunes ont attaché l'énorme toile autour d'un poteau d'éclairage du square jouxtant l'APC, où s'éparpillent des migrants subsahariens réfugiés sous d'énormes eucalyptus. C'est plus une voile, dont on devine les slogans inscrits dessus en rouge dans les plis, clouée à son mât qu'une tente proprement dite, mais c'est déjà un symbole.
«C'est connu dans tout le pays cette affaire», lance, résigné, le gendarme venu inspecter l'agitation atour de ce monument de fortune causée par la présence d'un photographe de presse. Il y a deux mois, des jeunes, chômeurs diplômés pour la plupart, d'El Ménéa, à 870 km au sud d'Alger, ont monté une tente en guise de siège de wilaya, avec services, directions et même et un faux wali, recevant les doléances des citoyens, accueillant des réunions pour débattre des problèmes de la région et réunissant 15 000 signatures, dont celles d'élus locaux, pour faire d'El Ménéa une wilaya.
Centre
La ville qui se découvre, en arrivant de Ghardaïa sur la RN1 et après la nouvelle et gigantesque prison, au détour de collines rocheuses, garde une vieille mémoire de l'éloignement. Du bannissement. C'était ici la dernière frontière de la Régence d'Alger : les deys et pachas envoyaient croupir là les bagnards et les proscrits. Plus tard, la vieille prison de la ville, que les jeunes voudraient voir transformée en musée, a accueilli l'exil de Messali Hadj ! C'est le dernier carrefour routier et urbain avant de plonger aux confins du grand Sahara, vers In Aménas-Tamanrasset par le sud-est, ou vers Timimoun-Adrar-Bordj Badji Mokhtar direction sud-ouest. «Nous sommes le vrai centre de l'Algérie, mais apparemment tout le monde l'a oublié», regrette Berni.
C'est aussi une zone éponge où se concentrent tous les problèmes du Grand- Sud, émigration clandestine, trafic en tous genres… Un centre de transit à l'échelle de la densité des circuits formels et informels qui traversent El Ménéa. «Six cents kilomètres aller-retour pour un cachet sur un document, pour la plus anodine des procédures, c'est beaucoup !», explique Khaled, 29 ans, ingénieur en électromécanique au chômage depuis 2007, «alors que j'ai même appris l'anglais pour faciliter mon embauche dans des multinationales, en vain».
El Ménéa faisait partie, jusqu'au dernier découpage des années 1980, de la wilaya de Laghouat avant de dépendre de Ghardaïa, à trois heures et demie de route plus au nord. «Le chef-lieu de wilaya est à 270 km exactement, c'est trop loin pour continuer à être administré à partir de Ghardaïa, ajoute Berni. C'est aussi la seule manière de développer cette région qui n'a pas connu de programme d'habitation de plus de 1000 logement depuis 1962.» Seul projet en vue, la nouvelle ville à l'entrée d'El Ménéa, vieux projet de 1982, relancé récemment pour créer un pôle national de maintenance de l'appareillage agricole et une ville de 25 000 habitants dans un premier temps. «Mais c'est un projet national décidé à Alger ; El Ménéa a besoin de projets d'ici, wilayals, urgents», nous explique un journaliste de la région.
Marginalisé
La daïra d'El Ménéa compte 60 000 habitants, la ville elle-même 35 000 et les projets sectoriels se font rares. L'agriculture dans cette région, championne mondiale de l'orange dans les années 1950, est emprisonnée dans des dédales bureaucratiques. «La région s'endort sur une immense nappe phréatique. Nous avons beaucoup de surfaces agricoles, El Ménéa pourrait devenir le grenier de l'Algérie», dit Khaled.
La seule manufacture qui rapporte, c'est celle des jeunes artisans qui fabriquent des armes blanches pour des gangs à 3000 DA le sabre. «Même nos demandes de déléguer des directeurs exécutifs pour El Ménéa ou des annexes de direction des affaires sociales ou de l'éducation par exemple sont restées lettre morte à la wilaya de Ghardaïa, renchérit Abdelkrim, 35 ans, cadre de l'UNJA et enseignant de philosophie au chômage, ils nous ont aussi délocalisés vers Ghardaïa les classes de bac pour les candidats libres qui doivent alors dépenser dans les 5000 à 10 000 DA durant la période d'examen pour se nourrir et se loger. Ils refusent d'aider les investisseurs agricoles de la région…» «En fait, avec tout cet argent qu'on dépense dans les bus à chaque petit problème ou à chaque procédure normale, c'est comme si on payait un impôt de plus», ironise Othmane, jeune entrepreneur dans la construction.
«Nous sommes otages des transporteurs privés qui augmentent les prix des billets à leur guise, sans le contrôle d'aucune autorité. Et en plus, en arrivant à Ghardaïa, on s'entend souvent dire que le préposé au guichet n'est pas là, ou qu'il manque une pièce dans le dossier, qu'il faudra de toute manière revenir…», s'emporte Abdelkrim. Ce dernier embraye sur le volet social : «Le fait d'être rattaché à Ghardaïa minimise les chances d'intégration des travailleurs à bas revenus. Sur 143 postes décidés par la wilaya, on nous prend 7 puis 8 en deux étapes, alors que la demande explose ici.» «Des malades meurent en route quand on les transporte vers le nord ou vers Ghardaïa, et il faut payer douze millions de centimes pour une ambulances spéciale vers Alger. Car ici, il n'y a rien à l'hôpital», appuie Khaled qui a ainsi perdu sa nièce de 6 ans après une morsure de scorpion faute de sérum sur place.
Distances
La route est le seul lien d'El Ménéa avec le reste du pays. Son aéroport, le premier du Sud et l'un des plus grands juste après l'indépendance, est en réfection et ne sert que comme base aérienne militaire. «Amar Ghoul a aussi promis de rénover les axes routiers vers Ouargla et Ghardaïa, on attend depuis 2008», lâche un journaliste local. «Je peux comprendre qu'à Alger, les distances ne sont pas un problème pour le découpage administratif, ce n'est pas un paramètre à prendre en compte, mais ici, du sud de Laghouat jusqu'aux frontières, l'unité c'est en centaines de kilomètres, indique Othmane. Je veux bien être soumis à la norme nationale, mais là, c'est une réalité géographique et humaine que le gouvernement ne peut ignorer.»
«En fait, on sent que l'administration a déserté El Ménéa, c'est trop loin et personne ne veut se casser le dos sur la route pour venir nous voir, ironise encore Othmane, on a laissé les élus et la société civile dans un face-à-face tendu.» «Il y a absence de volonté politique, conclut avec un clin d'œil un des jeunes. Parce que, vous savez, quand l'Etat décide de réaliser une chose, il le fait : regardez la nouvelle prison !»


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