Très souvent, les puissants de ce monde refusent de s'avouer vaincus face à la maladie, seule chose qui leur résiste encore. Les dissimulations ont généralement valeur de déni. Apparaît alors l'image tristement pathétique de ces hommes s'accrochant au pouvoir, alors qu'ils ne parviennent même pas à tenir debout. Dans ce monde opaque où le secret médical et la raison d'Etat s'entrechoquent, les petits arrangements avec la vérité sont courants. En France, les tremblements du président Pompidou avaient été niés en bloc et les allées et venues du président Mitterrand étaient justifiées par un lumbago. Pompidou fut emporté par la maladie alors qu'il présidait encore aux destinées de la France. Ce n'est qu'en 1982 que sa veuve, Claude Pompidou, a prononcé, pour la première fois, le nom de sa maladie : Waldenström. C'est ce même mal, un très rare cancer du sang, qui avait eu raison du président Boumediène, en URSS. A l'époque, les sbires du pouvoir racontaient qu'il s'était rendu à Moscou pour soigner une grippe. Lorsque le roi Hassan II souffrait de la maladie de Crohn, une inflammation de l'intestin grêle, ses médecins américains utilisaient le terme «bronchite» pour qualifier son mal. Dans une récente intervention médiatique, Denis Demonpion, journaliste et co-auteur avec Laurent Léger du livre Le dernier tabou, révélations sur la santé des présidents, (éditions Pygmalion, avril 2012) expliquait que «dans un Etat démocratique où le président est élu au suffrage universel ou dans un régime où la succession ne se fait pas de façon démocratique, tous ont ce côté 'petit père des peuples' pour reprendre le surnom de Staline». Il précise : «Dans une région aussi instable que le Maghreb ou le Moyen-Orient, où l'Algérie fait figure de relatif havre de sécurité, ce n'est qu'au moment où la succession sera mise en place qu'on annoncera le décès, si décès il y a». Un film documentaire intitulé La Maladie du pouvoir, réalisé par Philippe Kohly, souligne la déraison du «roi-président» qui s'accrochera toujours au trône, quel que soit son état physique ou mental. Le film évoque la capacité des présidents malades à continuer l'exercice de leur fonction. «Quelle est, pour gouverner le pays, la capacité d'un homme qui vit retranché chez lui, qui ne se frotte plus au monde ?», est la question posée aux spectateurs avec, en filigrane, l'idée selon laquelle la santé d'un Président restera un tabou, car elle pose le problème de la bonne marche de l'Etat. Quand la maladie influe sur le discernement des chefs En écrivant le premier tome de Ces Malades qui nous gouvernent, Pierre Accoce et Pierre Rentchnick, avaient été les premiers, en 1981, à soulever la question de la maladie des présidents, en soulignant à quel point les troubles de la santé peuvent influer sur le cours de l'histoire. «Franklin Roosevelt était malade à Yalta, écrivent-ils. Les photos de l'époque en témoignent. Mais qui sait que sa tension artérielle atteignait alors trente à son maximum, oblitérant dramatiquement sa lucidité dans la négociation capitale qu'il engageait avec Staline sur le partage du monde ?» Et de poursuivre : «Personne encore n'avait révélé que le président John Kennedy passait la moitié de ses journées couché, atteint d'une grave maladie des glandes surrénales, à l'époque même où Khrouchtchev installait les fusées soviétiques à Cuba.» Et la liste des dirigeants souffrants pendant leur exercice et encore longue : Salazar, Franco, Mao, Khrouchtchev, Brejnev, Pie XII, Staline, Nixon… Mais c'est surtout en Afrique que les chefs ont cette fâcheuse tendance à se cramponner au pouvoir, où il y a été enregistré le plus de décès au sommet de l'Etat. De nombreux présidents africains ont succombé à leur mal depuis le début des années 2000 : Lansana Conté qui présidait aux destinées de la Guinée-Conakry est décédé le 22 décembre 2008 ; Levy Mwanawassa de Zambie le 19 août 2008 ; le Gabonais Omar Bongo Ondimba le 8 juin 2009 ; Umaru Musa Yar'Adua du Nigeria le 5 mai 2010. Chacun d'entre eux avait subi un traitement à l'étranger et ont fait tout leur possible pour que leur état de santé demeure totalement secret avant leur mort. Dans certains cas, ils emportèrent le secret dans leur tombe. Tous ces régimes ont cette particularité d'insister sur la «bonne santé de leur chefs», démentant avec zèle les rumeurs jusqu'à l'annonce de leur décès. Le président togolais est décédé, en 2005, sans qu'aucune information officielle n'ait jamais été donnée au sujet de la maladie qui l'a emporté. La mort du président gabonais Omar Bongo, décédé en 2009 à Barcelone (Espagne), a été précédée de plusieurs jours d'informations contradictoires. Sa maladie reste à ce jour secrète. Maladie, putsch, révolution… Le fait est que les chefs d'Etat, particulièrement ceux des pays autocratiques, semblent garder l'espoir d'un rétablissement miraculeux et craignent que la diffusion de leur bulletin de santé ne sonne le glas de leur carrière politique, faisant disparaître la flopée de courtisans qui les entoure et encouragerait les velléités putschistes. Il est intéressant de s'interroger, à ce propos, si la maladie des chefs autocratiques peut favoriser la révolution des peuples. Certains analystes alimentent la thèse selon laquelle la maladie de l'ex-président égyptien aurait encouragé l'appui de l'armée aux manifestants. Le président égyptien refusait d'évoquer sa santé défaillante, malgré un malaise devant les caméras en 2003 ou des périodes d'absence. Ce n'est qu'après qu'il ait été déchu du pouvoir que son avocat a confirmé son cancer de l'estomac. La gestion de la maladie des chefs d'Etat n'est guère meilleure dans les pays dits démocratiques. Le docteur Claude Gubler en a payé les frais lorsqu'il a révélé, dans un ouvrage, que François Mitterrand souffrait d'un cancer depuis 1981 et qu'il n'était plus en état de gouverner depuis 1994. L'Ordre français des médecins s'éleva contre cette violation du secret médical et le Dr Gubler a été condamné à quatre mois de prison avec sursis pour violation du secret professionnel. Il fut par la suite radié de l'Ordre et interdit d'exercice. Ce n'est qu'en mai 2004 que la Cour européenne des droits de l'homme condamna la France, estimant que l'interdiction du livre aurait dû être levée après quelques mois au nom de la liberté d'expression, considérant que la capacité d'un président de la République ne relève pas du secret médical, mais concerne la vie de tout un peuple. C'est cette question, mêlant les rapports opposant le pouvoir médical et le pouvoir politique, que posent notamment Pierre Accoce et le docteur Pierre Rentchnick : le médecin doit-il se voir un jour conféré le droit de dire : «Non, Monsieur le Président, vous n'êtes plus en état de gouverner» ?