La photo d'un chef d'Etat que l'on publie dans les médias n'est jamais innocente. Elle est un message. Venant d'un Premier ministre, la diffusion sur les réseaux sociaux d'un instantané du Président Abdelaziz Bouteflika, surpris dans la posture qui fut la sienne, celle d'un homme bouche ouverte, regard perdu, est troublante. Pour tout dire, choquante venant d'un politique, hôte, de surcroît de l'Algérie. Voilà donc un chef de gouvernement qui se met au niveau d'un paparazzi. De chasseur d'images. Pour nous dire quoi ? Que l'état de santé du Président est inquiétant ? Ne le savons-nous pas ? Sans bulletin médical, sans diagnostic de la faculté, les allers-retours entre la résidence et les hôpitaux français, malheureusement, sont un double signe de la gravité de son mal et du peu de confiance que les compétences de nos médecins inspirent à son entourage. Ainsi donc, la singularité est ailleurs. C'est la rencontre avec le Premier ministre français. M. Bouteflika et M. Valls, en fait, ne jouent pas dans la même division, pour reprendre un terme sportif. Et l'on se demanderait pourquoi cette audience lui fut accordée quand M. Sellal aurait suffi pour conclure le début d'une ébauche de coopération entre les deux pays qui ne cesse de changer d'intonation, de vocables, de dénominations depuis 1962, sans jamais tenir ses promesses. Mais enfin ! La violence est là. La règle, dans la presse internationale -il fut un temps était de préserver le public de toute représentation troublante, extrême, de toute information qui puisse instiller le doute sur les capacités de gouvernance d'un chef d'Etat. Par élégance. Par soucis de stabilité politique. L'incapacité d'un chef d'Etat était gérée. Le visage bouffi à la cortisone du président français, M. George Pompidou, ne présageait rien de bon. Mais le secret fut bien gardé. Son état de santé fut respecté. Certains responsables de médias étaient dans la confidence en ce qui concerne le mal qui le rongeait. Les non moins spécialistes de la faculté, eux, ne donnaient pas chère de son espérance vie. Mais ce diagnostic relevait du secret médical. L'accord tacite entre les deux était parfait. Donc motus. La France connut un second « secret ». On découvrit, sur le tard - quand la chute de ses cheveux indiquait que M. François Mitterrand souffrait le martyr que la fin de vie du chef de l'Etat français était proche. Même s'il continua de recevoir, discourir, faire mine de gouverner quelques petites heures par jour. Santé frappée, là encore, du sceau de « secret d'Etat ». Les deux hommes furent respectés dans leurs douleurs. Toutes formations politiques confondues. Des décennies plus tôt, de l'autre côté de l'Océan Atlantique, le Président américain Franklin Delanoe Roosevelt, malgré une maladie incapacitante, brigua et remporta quatre mandats de quatre ans ! Il rendit l'âme le 12 avril 1945, à quelques mois de la fin de la Seconde Guerre mondiale, victime à 63 ans, d'un AVC. On le crut, longtemps, handicapé par la poliomyélite, diagnostiquée, plus tard, comme le syndrome de Guillain-Barré. Lui aussi, cacha ses déficiences physiques. Et il fut aidé. Il utilisait des attelles orthopédiques ou une canne pour se déplacer. En privé, le fauteuil roulant. Lors de ses apparitions publiques, pour prononcer ses discours, il devait être soutenu par son fils ou un de ses proches, et s'accrocher, comme il pouvait, au pupitre. Les quatre mandats auraient pu être cinq ou plus si son décès ne fut pas l'occasion de réduire la responsabilité du chef de l'exécutif à, deux fois, quatre ans. Ce que nous fîmes, avant d'être déjugés pour, finalement, y revenir après le dérapage. Si la Constitution devait remettre les compteurs à zéro, le Président pourrait même prétendre à deux nouvelles candidatures, si Dieu lui prête vie, si ceux qui s'enrichissent n'auront pas fini de s'enrichir. Que ne faut-il pas vivre et voir faire pour garder le pouvoir ! Pierre Rentchnick et Pierre Accoce ont signé une édifiante étude intitulée : « Ces malades qui nous gouvernent ». Le dernier nommé, professeur de médecine, écrit « on pourrait démontrer, statistiquement, que les chefs d'Etat ont une durée de vie plus courte que l'ouvrier du coin : souffrant de la même maladie ». Il ajoute « Il faut tenir compte de la mentalité très particulière de ces malades qui nous gouvernent et qui refusent d'une part, de considérer leur état de santé comme incompatible avec la direction d'un pays ou d'une armée, et d'autre part, d'admettre que les conséquences de leur maladie peuvent être graves pour leurs concitoyens ». Le mal est là aussi. Celui que nous vivons. A ses yeux, « on peut, parfaitement, imaginer une commission médicale, dont les membres seraient désignés par le Conseil constitutionnel. Elle examinerait le président de la République, chaque année et pourrait constater le début d'une maladie grave. Elle garderait le secret quelques mois et déciderait, à un moment donné, d'alerter le Conseil constitutionnel qui apprécierait et prendrait une décision. Les médecins doivent rester des consultants et non pas des décideurs ». Quand le Conseil constitutionnel mériterait son nom, quand le politique cessera d'estampiller « secret Défense » ou « secret d'Etat » des informations, de la plus haute importance. Pourquoi donc cet acharnement à s'accrocher au pouvoir ? Les contre exemples nous sont pa rvenus du Sénégal, d'Afrique du Sud et de Cuba. On ne peut pas dire que M. Léopold Sédar Senghor n'aurait pas remporté les suffrages pour être reconduit dans ses fonctions après 20 ans, 3 mois et 24 jours de pouvoir, du 7 septembre 1960 au 31 décembre 1980. Ni que le Président Nelson Mandela n'aurait pas pu emporter largement un nouveau mandat à la tête de l'Afrique du Sud quand il se déchargea de ses fonctions le 14 juin 1999 après 5 ans, 1 mois et 5 jours à la tête de l'Etat sud africain. Ou que M. Fidel Castro aurait pu craindre un échec, même si on lui fit comprendre, un 24 février 2008, sans doute avec insistance, qu'il était dans l'incapacité de jouer les prolongations d'un match, entamé le 16 février 1959. Sauf que l'un et les autres, avaient fini par admettre que leur temps s'était écoulé avec grande sagesse pour Mandela - le temps sur lequel il avait bâti leur stature. Et que leurs tickets, une fois encore, allaient être périmés « au delà de cette limite » pour pasticher l'écrivain Romain Gary. Admettre cela est un signe de l'homme d'Etat vis-à-vis de l'Histoire. C'est faire preuve de vision, d'une grande capacité intellectuelle à dépasser ce que lui dicterait son « ego » pour que soit gardé, intact, irréprochable, son passage, dans la vie, à la tête de la Nation, sans attendre la dégradation de l'âge. C'est aussi comprendre qu'à trop user le temps c'est ternir son image, déprécier son legs quand interviendra la panne des moteurs qui ont fait avancer son vaisseau. Et les risques de se retrouver au centre de conséquences fâcheuses. Entrer dans l'histoire n'est pas l'accomplissement d'une vie qui se mesure au nombre d'années d'exercice du pouvoir. Surtout, ne pas laisser la main à d'autres mains. Celles qui, un jour ou l'autre décideront que l'heure du « sopi » - « changement » en langue ouolof - « enough » ou « cambio », est arrivée. Toutes déclinaisons linguistiques auxquelles nous renvoie la photo du paparazzi. Et à une annonce d'intrusion, au grand jour, cette fois, du politique étranger dans la vie nationale. Théorie du complot ? Dans son livre « complocratie 2520 » paru, en 2011, le journaliste Bruno Fay rapporte cet entretien avec le vicomte Etienne Davignon, président du Comité de direction du groupe Bildenberg', un des cénacles, précise la Revue « Reporterre » « les plus sélects par lesquels le régime oligarchique contourne le système démocratique. Banquiers et financiers, de haut vol, se retrouvent, chaque année, pour réfléchir ensemble, invitant des responsables politiques prometteurs, dont ils jugent qu'ils partagent leurs avis et leurs intérêts ». En d'autres termes, réfléchir à comment dépecer le monde. Il ajoutait: « nous invitons deux catégories de personnel politique : ceux qui sont au pouvoir, dont nous aimerions bien connaître leur avis sur les sujets que nous traitons, et ceux qui nous paraissent appartenir à des générations montantes. « C'est, par exemple, le cas de Manuel Valls qui nous a paru intéressant, en tant que socialiste français ouvert ». « Il n'est pas exclu que ça lui soit utile et que ça lui ouvre, aussi, les yeux sur certains points ». Ça lui fut utile, effectivement.