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«Le peuple a le droit absolu de demander des comptes et d'exiger des hommes honnêtes»
Publié dans El Watan le 01 - 07 - 2013

– Fin mars dernier, vous avez lancé, avec Ahmed Benbitour et Soufiane Djilali, un appel à constitution d'un front contre un quatrième mandat pour le président Bouteflika.
Qu'est-ce qui a motivé une telle initiative ?

Dans cette histoire, j'ai été comme abusé. Je partais à l'étranger lorsque Soufiane Djilali (président de Jil Jadid) m'a apporté une déclaration contre le quatrième mandat de Bouteflika et m'a demandé si je signais. Ce que je fis, naturellement, dès lors que j'étais déjà «contre» le premier de ses mandats. Mais à mon retour, je n'ai trouvé que mon nom au bas de la déclaration, alors qu'elle devait comporter toute une liste de signataires. Djilali Soufiane m'avait répondu que les autres ne voulaient pas que leurs noms soient rendus publics. Ahmed Benbitour et Djilali Soufiane, je les connais très bien et ils ont du mérite. Mais moi je n'adhère à aucun parti politique. Et me concernant, ce n'était pas nouveau : à l'indépendance, j'avais condamné le parti FLN parce qu'à l'époque déjà, il y avait de la tricherie dans l'air, des ambitions politiques démesurées. Dans les années 1980, j'ai adhéré à la Ligue des droits de l'homme de Miloud Brahimi. Et là aussi, j'ai été berné.
Quand on m'avait montré la liste des fondateurs dont faisaient partie Monseigneur Duval, Benhabylès et d'autres personnalités, j'ai adhéré. Mais c'est par la suite que j'ai compris que l'objectif de la création de cette ligue – dans laquelle, au demeurant, je me suis comporté comme un opposant – était d'escamoter la Ligue des droits de l'homme de Me Ali Yahia Abdenour. Maître Ali Yahia est un homme exceptionnel à qui je ne rendrais jamais assez hommage. Avec lui, je ne suis pas seulement prêt à entreprendre des actions communes, mais à l'avoir comme un chef. Durant ma vie de militant, soit depuis 1947, j'ai eu deux chefs : Guerras Abderahmane, «welid houmti» (originaire du même quartier de Constantine), mais pas seulement pour cela. C'était un homme d'une grande classe. Sur le plan du militantisme, humain. Il était mon chef. Il était mon ami. Mon deuxième chef était Boudiaf. Je ne l'ai pas choisi, c'est lui qui m'a choisi… Mais il était d'un comportement… Il m'a considéré comme un ennemi… et moi je ne supportais pas de travailler sous sa houlette comme un subordonné qui écoutait et obéissait au doigt et à l'œil.

– L'Algérie vit une vacance de pouvoir qui ne dit pas son nom depuis l'évacuation du président Bouteflika à l'hôpital du Val-de- Grâce. Que vous inspire cet état de fait ?

Le comportement de Abdelaziz Bouteflika est connu : c'est un grand manœuvrier. Il l'a toujours été. Tout ce qu'il fait, il ne faudrait jamais le prendre au sérieux.

– Vous pensez que c'est du cinéma, tout cela ?

Oui. C'est du cinéma.

– Votre jugement n'est-il pas altéré par le fait que Bouteflika, en 1965, devenu ministre des Affaire étrangères, vous a accusé d'avoir puisé dans la caisse de l'ambassade d'Algérie en Allemagne ?

A l'indépendance, je ne voulais plus faire de politique. Je venais de sortir de prison pour raison médicale après 5 ans de détention. Des gens du parti m'ont envoyé en Suisse parce qu'en Allemagne, je ne parlais pas la langue. Et j'ai été opéré à Lausanne des intestins. C'était la fin de la guerre, je m'apprêtais à rentrer à Tunis. J'ai commencé à chercher du travail parce qu'on m'avait coupé les vivres. Je n'étais plus permanent du parti… Puis, Khemisti, le ministre des Affaires étrangères (que j'ai connu avec Medgheri à Oran alors qu'ils étaient lycéens)voulait créer l'Amicale des Algériens en France et lorsqu'il a appris que j'étais en Suisse, il m'a envoyé de l'argent et m'a demandé de venir à Paris. C'est là qu'il m'a proposé de diriger l'Amicale. Je l'ai remercié pour l'honneur et la confiance qu'il me faisait et décliné. Je n'étais plus dans le parti. Et c'est là qu'il me proposa de rejoindre le ministère des Affaires étrangères en tant que conseiller chargé d'affaires en prévision de l'ouverture de l'ambassade d'Algérie en Allemagne. C'était le 11 mars 1963, je suis arrivé en Allemagne pour créer justement l'ambassade. Khemisti assassiné, un autre personnage a pris sa place, Bouteflika en l'occurrence, nommé par Ben Bella. 14 mois donc après ma nomination, j'ai été rappelé à Alger. Le 19 juin 1965, le coup d'Etat était passé par là, puis la chasse au «benbellistes». Au ministère, on me fixa un poste et puis après, on arrêta mon traitement pendant plusieurs mois. Après m'être plaint au directeur financier, celui-ci me répondit qu'un contrôle financier de l'ambassade d'Algérie en Allemagne a révélé un débit de 7300 DA dans la comptabilité. J'ai répondu par écrit et les ai mis au défi de prouver que j'avais pris un centime de la caisse de l'ambassade. Après ça, on m'a débloqué mon salaire.

– Vous soupçonnez Bouteflika d'en être l'instigateur, d'avoir monté cette affaire de toutes pièces ?

Oui. Il en voulait aux vieux militants et à tous ceux ayant travaillé avec Ben Bella. J'ai demandé à le voir pour s'expliquer sur cette accusation gratuite. Il me reçut méchamment et me dit que c'est à la justice de trancher. Alors que je m'apprêtais à sortir du bureau du ministre, il me lança : «Vous avez écrit à Ben Bella et vous m'avez ignoré, moi, votre ministre.» J'ai répondu que j'avais écrit au président de la République, «votre ami». Et qu'avant d'écrire à Ben Bella, j'avais écrit d'abord au ministre. «Pouvez-vous le prouver ?» J'ai répondu «oui». Quelque temps après, le juge Mohamedi, le père du ministre, qui instruisit mon dossier, me dit en audience qu'il était obligé cette fois-ci de m'arrêter. Et c'est comme ça que je me suis retrouvé à la prison d'El Harrach à cause de ce bandit de Bouteflika.

– Je vous ramène de nouveau vers l'actualité. Chaque jour que Dieu fait apporte son lot de scandales de corruption. Comment les vivez-vous ?

Trop. C'est trop. Plus que honteux. Sonatrach I, II, III mais jusqu'où ? Tout ce gaspillage, cette gabegie. De la corruption, on en a fait une politique. Les gros salaires des responsables, c'est scandaleux. Mais que produisent-ils donc ? Que produit un député pour toucher
300 000 DA ? C'est honteux. Ne parlons pas du reste, les ministres, les généraux et autres.Ces responsables qui ont dirigé le pays depuis l'indépendance doivent rendre des comptes… Mais comment se fait-il qu'ils n'aient jamais rendu des comptes ? Même si on veut leur demander des comptes, on ne dispose même pas de base pour ce faire : il n'y a pas de comptabilité. Je pense que c'est fait sciemment pour les rendre comptables de rien. C'est fait à dessein. C'est une politique réfléchie.

– L'étalage de ces scandales sur la place publique est assimilé, notamment par la vox populi, à des règlements de comptes au sommet de l'Etat, à des luttes d'influence, de clans…

Non. Je n'y crois pas trop. Au début peut- être… des luttes de clans, peut-être aussi… Mais ce qu'il faut dire, c'est qu'ils sont en train de régler son compte à l'Algérie, à ce pauvre pays. Ils se tiennent, comme dit l'adage, par la barbichette. Mais qui va leur régler leurs comptes à eux ? Ceci étant, les règlements de comptes ont toujours existé. Ils ont même commencé bien avant le 19 juin. L'assassinat de Khemisiti entrait dans ce cadre-là. Le crime crapuleux n'était pas un fait du hasard. Khemisti venait de commencer sa mission. C'était un grand personnage, d'une grande culture, un passé militant. Mais…

– Vous pensez que ces affaires de corruption n'aboutiront pas à des procès en règle ?

Absolument pas. Combien d'affaires ont déjà été escamotées sans que jamais justice ne soit faite ? Des tas. Vous parlez de justice, mais laquelle ? Un pouvoir de bandits et de voyous ne veut avoir qu'une justice pour voyous et bandits. Mais c'est le système qui est comme ça. S'il y avait une justice, vous pensez qu'on aurait eu ça ? Dans ce système, il peut y avoir des gens honnêtes. Forcément. Mais très peu. Car un homme honnête n'accepte jamais de travailler dans un pareil système et de nager dans ses eaux troubles.

– Un révolutionnaire de la première heure comme vous serait-il tenté par une révolution, une autre ? Puisque les gens et les classes au pouvoir s'y accrochent et s'y éternisent. Le président Bouteflika veut briguer un quatrième mandat, le général Toufik en est à son cinquième ou sixième mandat (!!!) à la tête des «services». Que faire, pour paraphraser Lénine ?

Il faut un changement total. Il nous faudrait des hommes qui n'ont pas de taches, des gens propres, pour reprendre en main les choses, pour faire sortir l'Algérie de ce gouffre dans lequel elle est enfoncée. Et ce ne sont pas les personnes qui sont actuellement au pouvoir qui le feront. Q'ils partent tous. Sans exception. Parce que des hommes honnêtes et propres existent bel et bien dans ce pays. Il faut juste leur en donner l'occasion.

– Mais concrètement, comment les choses doivent se faire ? Je pose la question au révolutionnaire. Faut-il une révolution en bonne et due forme ?

Oui. Il faut une révolution. Et il y a plusieurs façons de la faire.

– En 2012, l'Algérie a célébré le cinquantenaire de son indépendance. M. Mechati, vous faisiez partie de cette armée d'anonymes, de porteurs d'eau qui ont fait le 1er Novembre. Vous n'étiez pas de ces «stars» de la Révolution qui ont ravi toutes les lumières, mais qui cependant ont joué un rôle capital. Quel bilan tire le révolutionnaire de la première heure de ces 50 dernières années ?

L'Algérie a fait une guerre de 7 ans, consenti des sacrifices énormes pour quoi ? Pour qu'au bout du compte, on arrive à une situation comme ça. C'est malheureux. Scandaleux. Il y a de quoi se révolter. Le Vietnam a fait une guerre de 20 ans, trois fois plus longue que la nôtre. Actuellement, c'est un pays émergent. De premier plan. Plus de 150 milliards de dollars d'exportations. En Algérie, c'est honteux, on importe tout. Voilà le constat.

– En 1986, vous avez écrit au président Chadli et, dans votre lettre vous annonciez l'explosion à venir, celle d'Octobre 1988. Vous préconisiez l'ouverture démocratique et un système politique fondé sur un tripartisme dans une première étape…

Lorsque j'ai écrit cette lettre, j'étais encore en fonction en Hongrie, comme ambassadeur. Avant de rendre publique la lettre, j'ai demandé audience. J'ai attendu plusieurs mois, refait une autre demande d'audience. Mais aucune suite. A la fin de mes fonctions, je suis entré à la Ligue des droits de l'homme comme vice-président. C'est ès qualité que j'ai enfin été reçu à la Présidence. Chadli avait accepté de recevoir les représentants de la Ligue des droits de l'homme de Miloud Brahimi. A cette audience assistait également Monseigneur Duval. Après le speech de Miloud Brahimi qui présentait la Ligue, j'ai demandé la parole. J'ai dit au président Chadli que la Ligue comptait «camper le rôle de contre-pouvoir». Il a tiqué. J'ai ajouté que ce contrepouvoir n'aura pas pour objectif de prendre le pouvoir politique, mais de défendre le citoyen algérien. Chadli fit mine d'approuver. A la levée de la séance, Larbi Belkheir s'empressa de m'emboîter le pas : «Monsieur Mechati, me demande-t-il, ne parlez pas au Président (de votre demande d'audience), car je vous ai programmé pour la semaine prochaine !» Alors j'ai renoncé à l'interpeller. Effectivement, une semaine après, je fus convoqué à la Présidence. Belkheir me reçoit. Café, thé et salamaleks hypocrites. Il m'annonce qu'il a été chargé par Chadli de m'écouter. J'ai répondu que c'était le président que je voulais voir. Ce à quoi il me répondit par le refrain : «Ma Ala Rassoul Ila El Balagh El Moubin» (à l'émissaire, il n'est dévolu que de transmettre le message). Voilà mon histoire avec ces… J'ai compris que Chadli n'avait que le titre de Président, c'était Larbi Belkhir qui décidait de tout.

– A ce propos, n'est-ce pas là une manifestation du syndrome de l'OS, sorte de continuum de l'ancien «nidham» forgé dans la culture sacrée de la clandestinité ? Ne pensez- vous que jusqu'à aujourd'hui, un demi-siècle après l'indépendance, le pouvoir politique se décline par ses deux faces visible et cachée ? Quand les Algériens sauront-ils enfin qui les gouverne réellement ?

Ce n'est pas facile d'expliquer ça en deux minutes. Ce n'est pas seulement une affaire de l'OS. C'est amplement politique. Disons qu'à l'origine déjà, le Mouvement national a démarré de façon boiteuse. Dans les beaux discours de Messali Hadj et les slogans clinquants de l'Etoile nord-africaine du PPA sur l'indépendance de l'Algérie faisaient lourdement défaut les aspects programmatiques, les modalités pratiques. On n'a jamais dit aux Algériens comment et que doit-on faire pour arracher cette indépendance. Ni Messali ni le parti et ses responsables ne l'ont expliqué aux Algériens. Le PPA ne fut jamais un parti normal ni ne fonctionnait de manière démocratique. C'était toujours la loi du chef, «le zaïm a dit» comme pour un chef de zaouïa.
Au lendemain des massacres du 8 Mai 1945, le gros des militants était pour l'action armée. C'est Messali Hadj, conseillé par Azzam Pacha, qui a décidé de la création d'un parti légal, le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), alors qu'il avait critiqué violemment la création de l'UDMA par Ferhat Abbas. Pour contrebalancer ce choix, il fut aussi décidé, en parallèle, de la création de l'OS (1947). Le seul congrès digne de ce nom est celui du PPA-MTLD d'avril 1953 à Alger. C'était incontestablement le congrès fondateur. Tout a été passé en revue : les insuffisances, le programme, les concepts. On avait défini ce qu'est le nationalisme algérien… en quoi il différait du nationalisme hitlérien ou du fascisme de Mussolini, etc.
Et aussi le choix de nouveaux dirigeants sur le critère de niveau de compétence et d'où furent écartés les compagnons de Messali. Cela a fortement déplu à Messali qui, six mois après, a appelé à un nouveau congrès. Il s'est adressé à la base qui ne comprenait rien à ce qui se passait, demandant le pouvoir à vie. C'était l'implosion du parti. Ce que nous vivons aujourd'hui, ça vient aussi et surtout de là.

– Je reviens à ma question initiale : n'est-il pas temps que les Algériens sachent enfin qui les gouverne réellement ?

Le peuple a ce droit absolu de demander des comptes et d'exiger qu'il ait au pouvoir des hommes honnêtes, sans tache, et qui le rendront fiers. Des gens comme ça existent, parmi les jeunes. Mais voilà, pour en arriver là… Hadou (ces) les décideurs, comme je les ai déjà interpellés par le passé, «pour une fois, Messieurs, décidez en bien !» Déjà à l'époque, d'après les échos qui me sont parvenus, ils disaient ce Mechati n'avait pas un parti derrière, «Khelouh Ighani Wahdou» (laissons-le chanter comme bon lui semble)…

– Beaucoup vous reprochent vos critiques «excessives» et «personnalisées». Boudiaf, vous le chargez énormément. Vous le traitez de «dictateur»…

Comme je l'ai dit précédemment, j'ai eu deux chefs durant ma vie de militant. Guerras Abderahmane, mon chef et mon ami, et Mohamed Boudiaf. C'est Boudiaf qui m'a choisi en septembre 1949 pour diriger une zone à Alger, une zone dont personne ne voulait. J'ai eu du mal à supporter certains de ses comportements. Lui dire non, c'était prendre le risque d'être considéré comme un ennemi. Boudiaf critiquait Messali pour faire exactement comme lui. Malgré tout, j'ai continué à le considérer comme mon chef. Même lorsqu'il est revenu en Algérie. Dès qu'il est arrivé, j'ai demandé à le voir. Plusieurs fois. Sans succès. Quand il consent enfin à me recevoir, mon ami Boudiaf, comment il me reçoit ? Il me reçoit, assis, derrière sans bureau (Mechati parle la gorge nouée, des larmes aux yeux), j'ai failli exploser littéralement. Quand il m'a vu dans cet état, il s'est levé est venu vers moi…

– Vous pensez que c'est son tempérament qui l'a tué ?

Il y a forcément de ça. Mais je crois que c'est beaucoup plus l'affaire du Sahara occidental. Il avait pris un engagement écrit, appuyant la position du Maroc. Moi-même, je lui ai fait la remarque en Suisse, lui disant qu'il n'aurait pas dû. On s'est croisé et m'a jeté son regard méchant : j'ai pouffé de rire. Il m'invita à prendre un café. Il m'avait répondu qu'on n'avait pas bien compris le contenu de sa déclaration. Or, sa prise de position était des plus claires. Quelqu'un qui n'a pas travaillé sous la houlette de Boudiaf, Allah Yerhmou, ne pourra jamais imaginer de quel tempérament il est vraiment. C'est vrai que de l'extérieur, il est engageant, beau parleur mais…

– Mais pour des générations d'Algériens, il passe pour le «père » de la Révolution…

On avait dit aussi la même chose de Messali. Mais combien sont-ils, ces hommes valeureux et brillants, à s'être sacrifiés pour la cause de leur pays, mais que l'Algérie indépendante a jeté saux oubliettes ? Lahouel. Ah ! Hocine Lahouel, le bagage intellectuel qu'il avait, il était bachelier, le discours construit, une bête politique, orateur hors pair, des qualités humaines, son amour de la collégialité… Voilà un homme ! Un homme comme ça, qui a été secrétaire général du MTLD, n'est pas devenu président de la République, mais Boumediène, Bendjedid l'ont été ! Mais qu'est-ce que c'est que ça, Bon Dieu ? Qu'est-ce qu'il a donc mon pays ! Yaâjaba ya Rebbi. Ceux qui ne connaissent pas l'histoire de Boumediène… Mais ces erreurs, nous les payons cher aujourd'hui.

– A la veille du déclenchement de la lutte armée, le 1er Novembre, certains historiens ont fait état de la dérobade du «groupe de Constantine» dont vous faisiez partie…

Il n'y a jamais eut de «groupe de Constantine». C'est une affabulation. Il n'y a jamais eu de présumée défection. C'est honteux. Mais c'est Boudiaf qui a entretenu cet anathème. Guerras l'a écrit. Des historiens, des journalistes aussi l'ont écrit. Il n'y a jamais eu de défection. On voulait seulement que les choses se fassent normalement. Après la réunion des 21, la mascarade qui s'en est suivie, à Alger, on s'est réunis à Constantine. Guerras a dit qu'il faut essayer de réparer. C'est le mot qu'il a employé. Boudiaf n'a pas voulu assister, il a délégué à sa place Didouche Mourad en lui disant de ne pas faire venir Zighout Youcef parce que celui-ci s'entendait avec Guerras. L'esprit de combine. Guerras était chef de zone, il se réunissait avec Zighout et Bentobal, avec Abane et Guenifi à Sétif et d'autres.

– Abane justement, sa liquidation, vous n'en parlez pas beaucoup…

C'est pire qu'une liquidation, une trahison. C'est Bentobal, Krim et Boussouf qui en sont responsables. Ils l'ont tué par traîtrise. S'ils s'étaient avancés, face-à-face, il les aurait écrasés. C'était un homme exceptionnel. Je ne l'ai jamais connu ni rencontré. J'ai lu de lui des écrits quand il était en prison. J'ai senti de suite la qualité du personnage. J'ai vu une fois une photo de lui avec son assassin, avec Boussouf, se promenant ensemble. C'est une trahison. Comme Abane, beaucoup ont été assassinés. Qu'on ne vienne pas me raconter que Ben Boulaïd est mort parce que la France lui a largué un poste radio piégé. Il faut être bête pour… Je soupçonne fortement Bentobal… C'est Bentobal qui a manipulé… Q'on ne vienne pas aussi nous raconter que Zighout Youcef est tombé dans une embuscade au retour du Congrès de la Soummam. Tous les congressistes sont rentrés chez eux sains et saufs, excepté Zighout…Mais… c'est Bentobal, Kafi et Benaouda…


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