La demande formulée expressément par l'association culturelle et éco-touristique Les Aiguades auprès du président de l'APC, à l'objet de la réhabilitation du cippe, classé de surcroît patrimoine national en 1991, aura au demeurant le mérite d'instiguer ce premier coup de pioche qui, est-il souhaité, entamerait la mise au grand jour de l'une des composantes d'un site archéologique à la fois riche et complexe. Car l'alimentation en eau potable n'est qu'une des données éclairant sur les agencements urbanistiques de la cité antique et la qualité de la vie qui y prévalait alors. Il y a donc lieu de faire suivre les travaux sur le Cippe d'un autre grand chantier celui-là qui est d'établir le tracé, la nature des conduits, les réceptacles et le mode de redistribution dans les foyers. Le cippe hexagonal découvert à Lambèse (Batna) en octobre 1866 est relevé d'une inscription, telle que déchiffrée par A. Charbonneau, qui retrace des épisodes de l'entreprise de l'ingénieur militaire, Nonius Datus, chargé en 137 par le gouverneur de la Maurétanie césarienne de la construction de l'aqueduc et du tunnel devant permettre le transport par gravité, sur un parcours montagneux de près de 25 km, de l'eau de Toudja jusqu'au cœur de Saldae. Le tunnel de Lahbel mesure, à lui seul, 560 mètres. Aussi, symbolisant toute la grandeur de l'ouvrage romain, le Cippe, après sa découverte, avait donc été transféré à Béjaïa pour orner la fontaine inaugurée en 1896 qui est édifiée devant le siège de l'Hôtel de Ville. Des travaux entrepris il y a quelques jours par l'Algérienne des eaux (ADE) sur la conduite aux abords de l'APC ont révélé un puits ancien, gorgé d'eau. D'autres puits ensevelis existent peut-être. Et le réseau est certainement complexe avec la jonction aux anciennes citernes romaines dont la documentation détenue suppose des dimensions imposantes. Ce sont notamment celles de l'APC (abritant depuis l'époque coloniale la bibliothèque municipale), de l'hôpital Frantz Fanon, de Sidi Touati, de l'Amimoun… L'histoire de l'eau à Béjaïa est celle aussi des anciens quartiers remontant à la présence turque et que configure un foisonnement de fontaines du beylik et de puits dans les maisons. L'arrivée des Français a d'abord vu l'exploitation des eaux des entrailles de Gouraya. Les eaux des Aiguades (sources en romain) ont été acheminées le long de la corniche. Deux pompes ont été placées sur le réseau. L'une à la corniche (au lieudit Hadri) et l'autre à Sidi Yahia. Le réceptacle est une citerne construite du côté du square romain, faisant face au CEM Ibn Toumert. Le réseau n'alimentait en fait que les quartiers européens en contrebas des quartiers autochtones. Ceux-ci avaient encore leurs puits et fontaines. Mais la démographie de la ville grandissante fit qu'on a, au début des années cinquante, repris une alimentation à partir de Toudja. Les ingénieurs Imbert et Roux calquèrent tout simplement leurs plans sur le même tracé que celui de Nonius Datus. Autrement, comme le dit l'adage arabe : «Les eaux reprennent leur cours.»