Journaliste et romancier, Mohamed Balhi s'occupe de l'édition à l'Agence nationale de l'édition et de publicité (ANEP). Il estime qu'il est important d'encourager l'achat des droits de livres et se plaint de la réticence de certains éditeurs français dans ce domaine. Il est nécessaire, selon lui, de favoriser la production locale de livres et d'améliorer la médiatisation autour des ouvrages qui paraissent. Quelles sont les grandes lignes suivies par l'ANEP dans son programme d'édition 2009 ? Dans ce programme, nous avons privilégié le patrimoine, l'histoire de l'Algérie, la mémoire collective, le beau livre et les romans historiques. Je pense qu'il y a un problème de médiatisation.Sont mis en avant des gens qui brassent du vent dans la sphère culturelle. D'autres écrivains, qui font un excellent travail, édités par l'ANEP ou par d'autres, sont ignorés. Je cite le cas du roman historique de Le Serment de Ouled Kaïm de Hocine Meghlaoui qui raconte en filigrane l'histoire de l'Algérie. Eunoé, reine berbère de Gétulie est un autre roman sur l'Algérie antique de Abdelaziz Ferrah. Cet homme mérite une médaille pour tout le travail qu'il a effectué. Ces deux livres auraient dû bénéficier d'une meilleure médiatisation. Nous accordons un intérêt particulier à l'histoire de l'Algérie. Il y a encore beaucoup de choses à faire dans ce domaine. Nous avons également édité un beau livre, sur feu El Hachemi Guerouabi, écrit par Abdelkrim Tazaroute. L'ANEP est intéressée par l'achat des droits mais il semble que beaucoup de difficultés freinent votre ambition... C'est un débat de fond. Il est difficile d'obtenir une cession des droits. Il y a des éditeurs étrangers, surtout français, qui sont réticents. Même si un écrivain est libre de se faire éditer où il veut, il reste aberrant d'acheter les droits ailleurs pour pouvoir rééditer Kateb Yacine ou Mohamed Dib. Les éditeurs français veulent continuer comme avant : exporter les ouvrages vers l'Algérie. Ils veulent qu'on reste toujours consommateurs. La raison en est simple : si on fabrique le livre en Algérie, ça veut dire que quelque part, on leur arrache des parts de marché. C'est comme le cas de l'automobile. C'est un immense marché ! Il faut que tous les éditeurs se battent pour agir ensemble face à ce refus de cession de droits. Nous avons aussi des difficultés d'accéder aux droits sur des ouvrages scientifiques. Nous avions un partenariat avec une maison d'édition égyptienne et avec laquelle nous avons publié une série sur les savants arabes comme El Farabi et El Kindi. Il est intéressant de mettre des ouvrages sur le patrimoine arabo-musulman à la portée d'un large lectorat. Nous avons quand même pu avoir et traduire un ouvrage du politologue français Pascal Boniface. Cela dit, l'achat des droits reste dérisoire par rapport à notre ambition. Pour que des passerelles soient établies entre l'Europe et l'Algérie, il faut qu'il ait de part et d'autre un partenariat gagnant-gagnant. Vous êtes donc favorable à une véritable politique du livre ? Il ne faut pas que l'Algérie devienne un déversoir de la production des autres pays. Ce n'est pas du chauvinisme car il est toujours bon d'aller vers la culture universelle mais il est important que nous produisons nos propres ouvrages. Il y a les élites et les talents qu'il faut. Il y a des imprimeries qui répondent aux normes. L'ANEP, par exemple, vient d'acquérir une imprimerie ultramoderne. Il faudra que, nous aussi, nous puissions produire nos propres livres, améliorer l'édition et créer l'emploi. Cela encouragera l'émergence de nouveaux métiers tels l'infographie, le graphisme,... etc. Il y a des gens qui veulent avoir la mainmise sur le livre. Je ne vise pas les importateurs. Ceux-ci demeurent toujours un élément nécessaire dans le marché du livre, mais il faut arriver à mettre en place une véritable industrie du livre. Est-il possible d'exporter le livre algérien ? C'est possible. Là aussi, c'est un débat. En Algérie, on peut écrire et éditer des livres de qualité. Dans les années 1970, nous devions passer par l'Espagne ou l'Italie pour éditer un beau livre. Aujourd'hui, on produit des beaux livres en Algérie. Ce mouvement doit être accompagné par les institutions, les sponsors ou les mécènes. Notre objectif est d'acheter le maximum de droits. Il ne faut pas qu'il ait des frontières. L'idéal-et cela se fera à long terme- est d'aller vers la source. S'il y a des ouvrages intéressants parus au Mexique ou au Japon, il faut les traduire et les éditer en Algérie après achat des droits. Plus question de passer par une deuxième ou une troisième main. Donc, il faut tout faire pour accéder rapidement aux livres qui paraissent partout dans le monde. L'Etat doit appuyer cette démarche en encourageant la traduction. Il est nécessaire de créer un pool de traducteurs. Quand on traduit en Algérie un Nobel de physique ou de chimie par exemple, les idées qu'il véhicule seront accessibles dans le pays dans des délais raisonnables. On ne va pas attendre dix ans pour y accéder ! Dans le domaine scientifique, il ne faut pas perdre de temps. Des livres, écrits par des Algériens et traduits par des Libanais, ont donné des résultats médiocres, des contresens. Il y a des termes qui sont spécifiques à l'Algérie que seul un traducteur algérien peut connaître. On ne traduit pas « pied-noir » par « un colon de l'Afrique noire » ! Nedjma, le roman de Kateb Yacine, a été massacré par la traduction arabe libanaise. Une véritable catastrophe. Le style katébien a été dénaturé.