C'est un fait, l'opération Serval et le blocus frontalier côté algérien ont porté un sérieux coup à tous les groupes terroristes de la région. Et pas seulement en décapitant la tête d'AQMI au Sahel, Abou Zeïd, dont la mort a été confirmée le 4 mars par la filiale d'Al Qaîda. A l'exception d'AQMI, qui a perdu un chef mais peu d'hommes, les autres formations comptent des pertes importantes dans leurs rangs. «Plusieurs djihadistes ont été tués mais surtout, la survie au nord du Mali est devenue très compliquée, explique une source sécuritaire algérienne. Les difficultés pour trouver de l'eau – les Français ont empoisonné les puits – et du carburant ne permettaient pas aux groupes de fonctionner avec beaucoup d'hommes.» Le Mujao ne compterait aujourd'hui que 500 combattants dans ses rangs contre 1000 auparavant. Ançar Eddine, entre 800 et 1000, contre 2000 au début des opérations militaires. «Les pertes sont presque équivalentes, reconnaît un cadre des services de sécurité. A la différence que le chef d'Ançar Eddine, Iyad Ag Ghaly, reste intouchable dans son fief du Nord-Mali. Ni les Français, ni les Maliens, ni les Algériens ne veulent s'en prendre à celui qui reste le meilleur négociateur pour libérer les otages. Il ne faut pas enterrer trop vite son mouvement, car le grand leader de la tribu des Ifoghas rassemble encore autour lui de nombreux jeunes.» Paralysie Pour autant, ces groupes pourraient rapidement retrouver leur potentiel d'avant janvier 2011, début des opérations militaires au Nord-Mali. En annonçant publiquement, fin août, leur fusion sous une nouvelle bannière, celle des Mourabitoune (Almoravides), Mokhtar Belmokhtar et le Mujao ont de sérieux atouts pour se donner un nouveau souffle. D'abord, l'appui indirect d'Al Qaîda. «C'est le numéro un d'Al Qaîda, Ayman Al Zawahiri, qui a lui-même demandé cette union, affirme un contact des services algériens. En janvier 2013, il a envoyé ses émissaires, dont un djihadiste libyen, au nord du Mali, auprès d'anciens membres déçus du Mujao et du groupe des “Enturbannés'' de Belmokhtar.» Déçu de constater qu'aucune opération d'envergure n'a été menée contre les troupes françaises ou maliennes de Serval par AQMI, et ce, malgré la faiblesse relative de l'engagement français (comparé à l'engagement américain en Afghanistan, par exemple), Al Zawahiri comptait sur eux pour frapper les forces françaises. La disparition d'Abou Zeïd, considéré par tous comme un chef militaire, n'est pas la seule raison qui explique la paralysie des djihadistes au cours de l'opération Serval. Al Zawahiri le sait : les troupes souffrent avant tout de leur désunion. «A laquelle s'ajoute, à ses yeux, l'incompétence de Belmokhtar», poursuit le cadre des services. Belaouar («Le Borgne», surnom de Belmokhtar, ndlr) ne sera d'ailleurs pas le chef des Mourabitoune. «On ne connaît pas son nom, mais on sait que ce sera un djihadiste de terrain, qui a combattu les Soviétiques et les Américains en Afghanistan, donc un “vétéran”», confie Mohamed Ould Khattatt, rédacteur en chef de l'Agence mauritanienne Nouakchott Information. «Peu de chances que ce soit un Algérien, ajoute-t-on du côté des services, Al Zawahiri enverra plutôt quelqu'un qui connaît la région.» Un Mauritanien, ou probablement un Libyen, susceptible d'attirer d'autres salafistes libyens actuellement sans chapelle. C'est le second atout des Mourabitoune : l'influence de Belmokhtar sur les djihadistes libyens. Son réseau en Libye fait incontestablement de lui, aujourd'hui, l'homme le plus puissant du Sahel. En plus des combattants du Mujao, il compte aussi de nombreux soutiens parmi les terroristes tunisiens et même au sein du Mouvement des fils du Sahara pour la justice islamique. Le groupe, en partie composé d'éléments qui ont quitté le Mujao, compterait entre 50 et 70 hommes. A sa tête depuis la mort de Lamine Bencheneb lors de l'opération de Tiguentourine, Abdesselam Tarmoun est appuyé par Youssef, un des frères de Bencheneb. Il y aurait actuellement des négociations entre les services de sécurité algériens, les notables d'Illizi et des jeunes en contact avec le groupe pour leur faire déposer les armes. Négociations Si leurs revendications ne sont pas idéologiques (ils ne réclament pas l'application de la charia) mais sociales – ils accusent le gouvernement d'avoir marginalisé le Sud et de l'avoir laissé moisir dans le sous-développement – ils ont tout de même revendiqué deux embuscades : une en avril 2013, à Tin Tahedjli, entre Djanet et Illizi, pour tenter de libérer un des leurs prisonnier, et une en juin 2013, dans le massif Azdjer, près de Djanet, contre l'armée. Si les Mourabitoune ont de l'influence, Ançar Eddine, les hommes d'Al Qaîda, garde intactes ses capacités d'organisation. «Les djihadistes eux-mêmes disent que si l'opération de Tiguentourine avait été menée par AQMI et pas par Belmokhtar, elle n'aurait pas échoué, précise une source proche du dossier d'In Amenas. Mais Belaouar se sentait trop marginalisé par le ‘‘clan de Boumerdès'' (Droukdel, Okacha) pour rester au sein d'Al Qaîda, c'est pour cette raison qu'il a fondé son propre groupe.» Le plus grand défi pour toutes ces organisations, à présent, c'est de trouver de quoi survivre, du carburant, de nouvelles caches, du ravitaillement. «Mais aussi de quoi pouvoir recruter, souligne une source sécuritaire. Autrement dit, de convaincre de nouvelles recrues d'adhérer à une nouvelle organisation, crédible, qui a des ambitions».