Mombasa (Kenya) De notre envoyé spécial Ayant surpris par son degré de violence, la meurtrière attaque menée samedi par un commando des milices islamistes shebab contre les clients du Westgate Mall, un centre commercial huppé de Nairobi, au Kenya, confirme que la Somalie représente un foyer de tension qui menace de déstabiliser toute l'Afrique de l'Est. Le pire risque d'arriver plus vite qu'on ne le croit, si la communauté internationale n'entreprend pas, à très court terme, de mettre de l'ordre dans le chaos somalien et d'aider les pays de la région dans leur lutte contre le terrorisme. En cas d'attentisme ou de laisser-aller, il ne serait pas du tout étonnant de voir les groupes terroristes – qui font actuellement la loi dans la Corne de l'Afrique – tenter d'élargir leur champ d'opérations. Dans quel but ? Jeter bien évidemment des ponts avec leurs «homologues» au Sahel pour prendre toute la bande sahélienne en étau (des connexions seraient déjà établies). N'est-ce d'ailleurs pas là leur rêve ? Pour de nombreux spécialistes du terrorisme islamiste, le risque n'a jamais été autant élevé, eu égard à l'important maillage de l'Afrique saharienne et subsaharienne par des groupes terroristes affiliés à Al Qaîda (Boko Haram au Nigeria, AQMI et Mujao au Sahara et en Afrique de l'Ouest, les shebab en Somalie, etc.). Avec l'attaque de Nairobi de samedi, la nouveauté réside justement dans le fait que les shebab aient décidé, pour la première fois depuis l'attaque en Ouganda en juillet 2010, d'agir en dehors de leurs bases. Bref, la Somalie – au même titre que la Libye et le Mali – est une bombe à retardement qu'il convient au plus vite de désamorcer. Le Kenya en première ligne et… dans la ligne de mire Conscients du «problème», les responsables de la Mission de l'Union africaine en Somalie avaient d'ailleurs prévu, depuis longtemps, d'organiser une conférence sur le sujet pour, primo, faire le point sur son travail, secundo, mettre la communauté internationale face à ses responsabilités et enfin, tertio, souligner ses inquiétudes et son incapacité, avec sa composante et ses moyens actuels, à faire face au «défi sécuritaire» que pose la Corne de l'Afrique. Des inquiétudes malheureusement vite confirmées. Le «message» de l'Amisom doit être adressé, en premier lieu, aux pays africains auxquels la presse régionale reproche d'avoir laissé le Kenya, l'Ouganda, le Burundi, Djibouti et la Sierra Leone affronter seuls le terrorisme. Le Kenya – qui justement abrite cette conférence dont les travaux s'ouvrent aujourd'hui dans la ville balnéaire de Mombasa – est depuis deux années en première ligne dans la lutte contre les shebab, les autres Etats impliqués ayant des moyens limités. Il est, par conséquent, le pays le mieux placé pour savoir de quoi ces terroristes – qui ont pris en otage tout un peuple – sont capables. C'est cette «connaissance intime» des shebab qui explique pourquoi aujourd'hui encore, Nairobi, au moment où la communauté internationale semble s'être résignée quant au sort de la Corne de l'Afrique, se bat avec acharnement pour que la crise somalienne ne sombre pas dans l'oubli. En étant au four et au moulin, le gouvernement kényan savait aussi qu'il était dans la ligne de mire des milices shebab (qui ont revendiqué le massacre de Nairobi) et que celles-ci tenteraient, un jour ou l'autre, une action spectaculaire pour se venger. Le commando du groupe islamiste somalien a, d'ailleurs, justifié son acte par un simple esprit de vengeance : «L'attaque du Westgate Mall est un petit aperçu de ce que les musulmans de Somalie vivent chaque jour entre les mains des envahisseurs kényans», lisait-on samedi sur leur compte Twitter. L'armée kényane, il est vrai, est très active aux côtés de l'Union africaine (UA). En outre, le gouvernement kényan est un allié solide des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne dans la lutte contre le terrorisme en Afrique de l'Est. Mais jusqu'à quand l'armée kényane pourra-t-elle tenir seule ? Pour Murithi Mutiga, rédacteur en chef du Daily Nation, la tragédie de samedi est l'occasion de faire prendre conscience à la communauté internationale que «nous vivons dans un monde interconnecté et qu'avoir un pays failli comme voisin, tel que la Somalie, peut avoir des effets bien au-delà de ses frontières». Pour lui, l'équation est simple : «Si la Somalie tombe entre les mains des terroristes, c'est tout l'est de l'Afrique qui s'effondrera.» Revenant sur le drame de Nairobi, Murithi Mutiga estime lui aussi que «la construction d'un Etat qui fonctionne en Somalie est devenue une urgence absolue». Appels à l'union et à la résistance Le fait saute aux yeux : le dossier somalien est pris au sérieux autant par les acteurs politiques que par ceux de la société civile au Kenya. La raison est que ce n'est pas la première fois que le pays leader d'Afrique de l'Est est victime du terrorisme. Le mois dernier, on célébrait le triste anniversaire des quinze ans (1998) de l'attentat à la voiture piégée contre l'ambassade des Etats-Unis à Nairobi. L'attaque avait fait 213 morts, et plus de 4000 blessés. L'épisode a été vécu comme un terrible traumatisme dans la société kényane. La population est depuis sensibilisée aux dangers du terrorisme. Ce n'est pas tout. Après une période d'accalmie, la peur s'est réinstallée dans le pays et est, par la suite, allée crescendo. Depuis leur formation fin 2006, les milices shebab n'ont pas cessé, en effet, de menacer le Kenya. Des menaces qui se sont amplifiées dès octobre 2011, lorsque les troupes kényanes ont rejoint les forces de l'UA en grand nombre pour les chasser de la capitale Mogadiscio et les repousser vers le sud du pays. Avec tous ces risques, les gens restent forcément vigilants. Et face à l'adversité, la peur et la douleur, les Kényans ne cèdent pas. Bien au contraire, ils ont décidé de transcender leurs clivages et de rester unis face à la menace terroriste. «Il est plus important que jamais de rester unis, peu importe notre religion, notre race ou notre appartenance politique», soutient le journal The Daily Nation, alors que des otages sont toujours détenus dans le centre commercial de Westgate. L'attaque aurait déjà fait 62 morts, selon le gouvernement kényan. D'autres sources parlent de 69 morts. En début de soirée d'hier, les forces de sécurité kényanes cernaient toujours la douzaine de shebab retranchés dans le centre commercial. Un assaut était même en cours contre les terroristes qui ont menacé de tuer leurs otages. Dans un grand élan de solidarité, les Kényans se sont organisés pour faire des dons de sang aux blessés. «Ces derniers mois ont été difficiles. Le Président et son numéro deux comparaissent à La Haye (CPI), l'aéroport de la capitale a pris feu, etc. Mais cet événement ne doit jamais anéantir le véritable esprit kényan», lance The Daily Nation. N'est-ce pas là une belle leçon de courage à l'adresse de tout le continent. Une chose est sûre, après ce qui vient de se produire à Nairobi, la communauté internationale n'a plus le droit de se «débiner». Le faire serait criminel !