Cet écrivain algérien est né en 1913 à Tizi Hibel en Grande Kabylie, dans l'Algérie alors coloniale, comme d'autres écrivains d'autres colonies, françaises ou britanniques qui, par la force de leur formation écrite, ont écrit en français : ainsi c'est le centenaire de la naissance en cette année 2013 d'Aimé Césaire (magnifiquement célébré en Martinique, son île), de Jean-Jacques Rabemananjara de Madagascar, d'Albert Cossery d'Egypte, de Marguerite Taos Amrouche d'Algérie pour citer des écrivains qui ont partagé, selon leur situation et leur pays, de semblables expériences du même côté de la fracture coloniale que Mouloud Feraoun.… On parle de Mouloud Feraoun à propos de Camus : il serait plus juste d'associer son nom à celui d'Emmanuel Roblès, artisan de la publication du Journal écrit pendant la guerre jusqu'à son assassinat par l'OAS, le 15 mars 1962. Rappelons que l'ensemble de l'œuvre de Mouloud Feraoun a été rééditée en livres de poche par l'ENAG éditions, à Alger, en 1992. Grâce à la magie d'internet, on peut consulter à son sujet le numéro spécial que lui a consacré la revue Berbères – Actualités et Culture [http://www.acbparis.org/]. Ou le dossier conséquent du magazine littéraire algérois, L'ivrEscq, dans sa livraison de mars/avril 2012, n°16, dans un dossier très documenté : «Cinquantenaire de l'assassinat de Mouloud Feraoun, Lettres inédites, l'héritage feranounion» [www.livrescq.com], sous la coordination de Hamid Nacer-Khodja. En ce mois de septembre 2013, c'est à la revue Algérie Littérature/Action [http://marsa-algerielitterature.info] qui lui consacre un dossier (n° 173-176). J'y donne un long compte rendu de la biographie très contestable que le journaliste, bien connu des colonnes des journaux algériens, a fait paraître avant l'été : José Lenzini, Mouloud Feraoun – Un écrivain engagé (Biographie – Préface de Louis Gardel), Le Méjan, Actes Sud SOLIN, collection «Archives du colonialisme». Outre quelques contrevérités comme une sorte de prééminence de l'amitié de Camus avec Feraoun sur celle de Roblès, on affirme que c'est la première biographie sur Feraoun, ce qui est faux. Il y en a eu au moins deux, même en mettant de côté toutes les études qui ont consacré à l'écrivain, une restitution des événements essentiels de sa vie : en 1982, celle de Marie-Hélène Chèze, Mouloud Feraoun – La voix et le silence ; en 1990, celle de Jack Gleyze. Il est légitime alors de poser à une nouvelle biographie des questions de base : que nous apprend-elle de Feraoun qu'on ne sait déjà ? Quels sont les choix et donc les silences et qu'induisent-ils ? Ce que le biographe met en œuvre est une dynamique entre l'œuvre, son contexte et des témoignages. Il est bien maître du discours et avance, dans le champ des idées et des sensibilités, un portrait imaginé au fil des informations recueillies et de ses propres convictions. On constate que beaucoup est avancé et peu est démontré : ainsi la proximité entre les idées de Feraoun et de Messali Hadj, son intérêt pour le maire d'Alger très controversé alors, Jacques Chevallier, sur ses rapports réels avec Camus. Beaucoup de reconstitution, d'imagination qui apparente plus cette biographie à un récit fictionnel qu'à une biographie véritable ; José Lenzini excelle dans ce genre, comme il l'a montré avec Les derniers jours d'Albert Camus ou Aurélie Tidjani, princesse Tidjani ou Barberousse. Dans la reconstitution de la vie littéraire à Alger, les sélections sont drastiques. Si des noms sont évoqués autour des Algérianistes et de l'Ecole d'Alger, on constate l'absence totale de Jean Sénac et celle de nombreux autres écrivains algériens. Quant à Fanon, il a droit à une mention stéréotypée, la violence, et la note lui attribue «une dizaine d'ouvrages», de façon assez désinvolte, sans qu'on n'ait jamais la preuve que Feraoun l'ait lu. Les sources historiques sont, elles aussi, assez sélectives. Et là où l'absence de rigueur documentaire devient problématique, c'est dans la reconstitution des événements qui se passent pendant la guerre. Le chapitre le plus litigieux est celui intitulé «Menrad assassiné». Est-il besoin de préciser que c'est Mouloud Feraoun, dans son entièreté de citoyen, de professionnel de l'éducation, d'écrivain et d'Algérien qui a été assassiné et non son personnage littéraire. L'article de la section de Toulon de la LDHS (François Nadiras), mis en ligne le 5 juillet 2013 : «Une biographie de Mouloud Feraoun qui suscite bien des questions» souligne le silence sur les commentaires de Feraoun quant à la journée des barricades du 24 janvier 1960 à Alger en relevant aussi les erreurs factuelles, un désordre chronologique et des citations de Feraoun inattendues. Enfin, et c'est sans doute, le plus contestable, la manière de débusquer, grâce à l'ouvrage d'Alexander Harrison, des propos d'anciens membres du commando de l'OAS sur leur mission accomplie le 15 mars à Château-Royal et l'erreur faite sur la personne de l'écrivain : comment a-t-il pu y avoir «erreur» puisque les six assassinés ont été appelés par leur nom, un par un, pour sortir de la salle de réunion et être mitraillés à bout portant ? Comment peut-on affirmer que, sans doute, «Mouloud Feraoun n'était pas visé» (p. 350) ? Un autre article, publié sur internet le 30 juin 2013, «Mouloud Feraoun assassiné pour la deuxième fois» d'Anne Guérin-Castell posait comme essentiel, d'entrée de texte, l'incontournable travail de Jean-Philippe Ould Aoudia, L'Assassinat de Château-Royal – Alger : 15 mars 1962 qui est une enquête fouillée établissant les causes, le déroulement et les conséquences de cette exécution collective et non anonyme. Je n'en reprendrai pas toutes les remarques, mais ce qu'elle dit de la «manière tendancieuse de présenter les faits, d'avancer certaines choses». En réalité «frapper l'imagination, c'était justement le but avoué de l'OAS, et le sextuple assassinat du 15 mars 1962 est dans la droite ligne de l'instruction 29 du général Salan, datée du 23 février 1962 et du texte diffusé à la même période préconisant de ‘‘s'attaquer aux personnalités intellectuelles musulmanes […] chaque fois qu'un de ceux-ci sera soupçonné de sympathie à l'égard du FLN, il devra être abattu''». «On ne peut renvoyer dos à dos deux versions comme si la vérité n'avait pas été faite.» La mort de Feraoun a été tout sauf accidentelle. Ce dont veut attester le biographe correspond à une certaine tendance dans tout ce qui s'écrit sur l'Algérie et sa guerre de Libération, de considérer qu'il y a quelques dirigeants à honnir de part et d'autre mais que les «gens», le «peuple» ont suivi malgré eux, les «Arabes» et les «Européens», selon les qualifications ici privilégiées. Ainsi, on peut lire, p. 257, dans son deuxième paragraphe : «Feraoun ne peut rester insensible à la démesure des violences. […] La barbarie se généralise au nom des mêmes principes défendus par chaque camp. A chacun ses méthodes, ses mises en scène.» A propos de Feraoun, José Lenzini a voulu donner sa propre interprétation des événements algériens, la défense d'une certaine Algérie, celle dont l'autonomie rétablissant une justice et des droits, ne se serait pas séparée de la France, selon la solution avancée par Camus. La collection «Archives du colonialisme» se veut un outil qui revient «aux faits, aux archives, pour la nécessaire étude du passé colonial du pays des droits de l'homme». Il y a peu d'archives ici et peu de confrontation avec les acteurs d'une époque et les critiques de l'œuvre feraounienne. Et comme nous l'avons toujours affirmé, c'est vers une lecture réelle et approfondie de l'œuvre même de cet écrivain qu'il faut toujours et encore revenir. Toutefois, d'autres biographies de Feraoun seront à écrire.