Il y a 25 ans, l'Algérie connut une rébellion sanglante. 800 jeunes massacrés. 25 ans déjà. Une occasion pour certains de mettre en perspective ces événements avec les révolutions arabes. Un journal vulcanien parle de «réplique». Pour les vieux commentateurs dont je suis, vexés d'être battus au poteau révolutionnaire, l'occasion était trop belle de dire : notre révolution nous l'avons faite il y a 25 ans ! S'arrêter sur la question de savoir qui des Arabes est le plus grand révolutionnaire serait passer à côté de l'essentiel. 25 ans après de jeunes Algériens qui ont l'âge qu'avaient les victimes de 88, n'obéissant à aucun mot d'ordre, avec des fleurs et beaucoup d'émotion, se sont rassemblés pour sortir les jeunes rebelles de la marge de l'histoire. Ces jeunes morts dont on ne retenait que la fin iconoclaste pour se concentrer sur les manigances des supposés commanditaires de leur révolte, reviennent sur le devant de la scène lourds de sens. «J'ai déposé quelques fleurs sur le pont de la Colonne Voirol comme message de paix et de tolérance. Je dédie ces fleurs aux jeunes qui sont tombés le 5 octobre.» (Othmane A. sur FB). Nombreux sont ceux qui affirment à travers des désirs et des espoirs d'aujourd'hui leur gémellité avec ceux de 88. Ils donnent un sens à leur sacrifice et imposent une vérité plus grande que la véracité de certains faits qui relèvent de la guerre des clans. De leur présent les jeunes de 2013 revivent et nous font revivre ces moments de vérité. Le passé est toujours réécrit à la lumière de la conscience du temps présent. Splendide effet de la réalité de 1988 portée à son terme par celle de 2013. Les jeunes d'aujourd'hui sont la génération du 5 Octobre 1988 comme nous sommes celle du 5 Juillet, et nos pères celle du 1er Novembre 1954. Chacune d'elle porte une vérité qu'aucune révélation ne peut ternir et ni amoindrir. Et parce que ce sont ceux qui ont accroché les cadenas de l'amour qui se retrouvent les fleurs plein les bras, parce qu'une femme anonyme a fixé le 5 octobre 2013 près des fleurs d'Othmane A. un cadenas en gage d'amour pour son jeune mari mort en 1988, de la révolte de 1988 à la prise de conscience des jeunes de 2013, du pont du Télemly au pont de la Colonne Voirol, la jonction est faite qui fera son chemin. Comme dans le conte persan, la figure dissimulée dans le tapis par l'artiste hérétique apparaît enfin grâce au travail du temps. Nous ne sommes peut-être pas les premiers en révolution, mais les plus inattendus, en guise de place emblématique, nous avons choisi les ponts pour danser la carmagnole.