Acheter la paix sociale. Un véritable casse-tête pour le pouvoir, une course contre la montre dont l'issue est incertaine. Est-ce le challenge adapté à la circonstance ? Sans doute, non. Parce qu'il est peut-être déjà trop tard. Les jeunes algériens, et les moins jeunes d'ailleurs, n'aiment plus leur pays. Au mieux, ils le quittent coûte que coûte, au pire ils lui témoignent une aversion violente et l'agressent. L'Algérie n'a, en effet, jamais connu dans son histoire contemporaine autant d'émeutes que cette année et jamais il n'y a eu autant d'émigrants clandestins (harraga). Chacun sait pourquoi nous en sommes là. Il est inutile d'y revenir. Une certitude taraude cependant les esprits : cette situation ne peut pas et ne doit pas durer, car elle constitue un véritable risque pour la paix sociale. La révolte gronde dans les quartiers des villes et dans les villages et les hameaux les plus reculés du pays. Mais il n'y a pas que les émeutiers et les harraga qui menacent. Les universitaires — étudiants et enseignants — sont mécontents, le monde de l'éducation est en grève depuis plusieurs jours et les praticiens de la santé publique ne sont pas en reste. L'Algérie ressemble à un seau troué qui fuit de toutes parts. Les pouvoirs publics, qui étaient sourds jusque-là, ont pris maintenant la mesure du danger. Mais en guise de solution aux nombreux problèmes qui hypothèquent la stabilité du pays, ils nous proposent une loi de finances 2010, qui met en place une politique d'assistance du citoyen. Une politique sociale qui dispose de 1000 milliards de dinars. Une somme faramineuse pour acheter la paix sociale, mais une réponse décalée et certainement inappropriée. Le pouvoir nous fait l'effet d'un pompier qui essaie de prévenir un incendie qu'il sait pourtant inévitable et qu'il ne fait que différer. Si le soutien du prix aux produits de première nécessité est une mesure sociale indispensable et qui est entrée dans les mœurs du pays — 260 milliards de dinars sont attribués, pour cette année, à cette cagnotte — il est pour le moins surprenant de constater que la loi de finances à venir consigne dans le chapitre de la politique sociale de l'Etat le réajustement du SNMG, le soutien à la création d'emplois, la majoration de la bourse des étudiants ou encore l'accès aux soins. Une politique sociale doit avoir des attributions « exceptionnelles » qui prennent en charge les couches sociales les plus démunies ou les plus défavorisées et qui sont laissées sur « le bord de la route » par une politique économique performante et juste. A titre d'exemple, l'augmentation du salaire national minimum garanti (SNMG) — à ce jour personne ne peut dire quelle sera, en substance, cette augmentation — bénéficie d'un soutien de 100 milliards de dinars pour couvrir les incidences financières qui ne manqueront de survenir. Rien de plus normal, à condition d'inscrire cette enveloppe financière au chapitre de la politique économique. Sur quelle base a été calculée cette somme ? Va-t-elle suffire pour couvrir les incidences sur le budget de l'Etat, alors que le taux d'augmentation du salaire minimum garanti n'est pas encore connu ? Pour l'année 2010, cette dotation financière a pu être trouvée, en sera-t-il de même pour les années à venir ? Où irait-on chercher le financement ? Toutes ces questions montrent bien que la politique des salaires ne s'improvise pas et qu'elle s'inscrit dans une démarche économique bien pensée et menée à moyen, si ce n'est à long terme. Le réajustement régulier et permanent du SNMG n'est pas un cadeau offert au travailleur. Il est un droit, en tous cas il est l'aboutissement d'une politique économique juste qui fait du salaire du travailleur, à côté du coût de la vie, un des piliers du pouvoir d'achat. Et ce dernier, le pouvoir d'achat, ne doit pas inscrire son objet dans la politique sociale d'un Etat. Pour rappel, le salaire minimum en Algérie est l'équivalent de 199 dollars environ. Le plus bas des pays du Maghreb. La raison probable à cette injustice, et c'est une incohérence, est que ces pays, en dehors de la Libye, n'ont pas de pétrole. Et si ce dernier, le pétrole bien sûr, était la cause de tous nos malheurs ? La politique de l'emploi participe de la même logique. Elle émarge aussi dans la rubrique de la politique sociale de l'Etat. Une autre ineptie. En dehors des 60 000 emplois qui vont être créés d'ici fin 2010 dans la fonction publique et qui bénéficieront d'un budget de 42,6 milliards de dinars, la création d'emplois dans les secteurs qui créent les richesses et qui stimulent la croissance ne sont pas encouragés. Pourquoi l'Etat s'obstine-t-il à doter le ministère de la Solidarité nationale de budget pour mettre en place des dispositifs de création d'emplois temporaires qui ont, de toute façon, tous montré leurs limites ? La création d'emplois relève des prérogatives du ministère du Travail. L'accès à l'emploi n'est pas un acte de solidarité et donner du travail au citoyen ne doit pas constituer non plus un geste de charité. En l'occurrence, la loi de finances qui vient d'être soumise au Parlement est dans cet état d'esprit. Pour autant, les jeunes demandeurs d'emploi — 25% parmi eux sont, selon le FMI, au chômage — ne veulent pas d'emplois précaires. Qu'il soit universitaire ou non, le jeune citoyen, qui arrive sur le marché du travail, veut un emploi définitif qui lui permette de s'émanciper de la dépendance à sa famille mais aussi de la dépendance à l'Etat. Il ne veut pas être assisté, comme il ne veut pas être « client ». Il souhaite construire son destin dans l'autonomie et la liberté. Il n'y a rien de plus normal. C'est pourquoi l'accès au travail est, avec l'amélioration du cadre de vie, maintenant clairement revendiqué à l'occasion des émeutes qui éclatent un peu partout dans notre pays, et c'est pourquoi, aussi, nos jeunes concitoyens vont le chercher, en dépit de tous les dangers, dans les proches et même lointaines contrées occidentales. Ils ont conscience que dans ces pays, le travail a, au-delà de ses aspects économiques, une valeur émancipatrice et restauratrice de la dignité à laquelle ils n'ont pas la possibilité d'accéder dans leur pays. Faut-il souligner que pour la seule année 2009, 65% des immigrants clandestins arrivés sur les côtes espagnoles sont algériens. Jusque-là, selon l'agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats membres de l'Union européenne (Frontex), la palme revenait aux immigrants au départ des côtes marocaines. Ils viennent d'être détrônés par les immigrants au départ de notre pays, (El Watan du 1er novembre 2009). Pourquoi, dès lors, s'entête-t-on à créer des emplois d'attente ? 144 000 postes de travail temporaires sont prévus dans le seul cadre de la solidarité nationale, qui bénéficie, pour la circonstance, d'une enveloppe financière de 13 milliards de dinars. 90 300 dinars sont ainsi attribués pour créer un emploi d'attente. Ces chiffres donnent le vertige, mais ils sont indispensables pour que le lecteur comprenne bien les incohérences de cette loi de finances. Et pour rester dans la politique de l'emploi, il faut savoir que le ministère du Travail bénéficie, lui aussi, d'une cagnotte pour encourager la création de postes de travail, ceux-là définitifs, c'est-à-dire de vrais emplois. 432 000 sont à générer dans le cadre du dispositif d'aide à l'insertion professionnelle (DAIP) pour une allocation budgétaire de 24 milliards de dinars. Il est loisible de remarquer que cette enveloppe financière est moins importante, au regard de la proportion des postes de travail à créer que celle attribuée à la solidarité nationale. Ici, dans le cadre du DAIP, 55 560 dinars seulement sont alloués pour encourager la création d'un poste de travail définitif. Un peu plus de la moitié du budget consenti pour la création d'un emploi temporaire. Qu'est-ce que cela veut dire ? Il faut comprendre que l'Etat n'encourage pas la création d'un vrai emploi et il est dans la logique de l'assistance au citoyen. Nous ne pouvons pas, non plus, faire l'économie de la question suivante : à quel dessein l'Etat veut maintenir dans la dépendance le demandeur d'emploi ? Nous ne pouvons pas éluder la première réponse qui nous vient à l'esprit. Un sujet dépendant est un sujet potentiellement à « clientéliser ». Le budget global, dont est doté le département de la solidarité nationale, est à ce titre significatif : 93 milliards de dinars. 20 milliards de plus que les budgets dont en sont dotés ministères de l'emploi et celui des PME/PMI réunis. Deux tiers de ce budget — nous entendons celui du ministère de la Solidarité nationale, c'est-à-dire 57,76 milliards de dinars — sont inscrits dans le chapitre administration centrale et dans la rubrique qui porte un intitulé pour le moins imprécis, « action sociale, assistance, solidarité ». Une somme colossale entre les mains du seul ministre pour écumer les foyers de mécontentement à travers le territoire national et acheter la paix sociale, et pourquoi pas trouver de nouvelles clientèles pour le pouvoir. Chacun se rappelle des promesses que ce ministre a faites ici ou là (Cqfd)... Le tiers restant de ce budget va aux services déconcentrés de ce département. Il intègre la création des emplois d'attente et toutes les actions sociales en direction du citoyen, notamment les pensions des handicapés et toutes les subventions consenties au profit des établissements en charge des personnes nécessitant l'aide sociale. Le dispositif d'aide à l'insertion par le travail (DAIP) est — avec la prise en charge par l'Etat de la part patronale en matière de cotisations sociales qui disposent, elle, de 10 milliards de dinars — une excellente initiative. Toutefois, nous ne savons pas dans quels créneaux ces emplois doivent être suscités et encouragés. Il aurait peut-être fallu allouer les budgets en question aux départements ministériels susceptibles d'être créateurs d'emplois. Nous pensons, notamment, au ministère de l'Aménagement du territoire, de l'Environnement et du Tourisme. Chacun sait qu'en matière d'environnement et de tourisme, tout reste à faire dans notre pays. Ce dernier a été rendu destinataire de l'un des budgets les plus faibles, 5,7 milliards de dinars seulement, alors qu'il s'agit là d'un département éminemment stratégique. Un budget dérisoire au regard des ambitions que ce ministère doit naturellement endosser : aménager le territoire national, sauvegarder l'environnement et l'écologie dans notre pays et promouvoir le tourisme. Autant d'opportunités pour construire l'avenir des générations futures et pour, dans l'immédiat, créer des postes de travail. A titre d'exemple, le tourisme génère en Tunisie, 340 000 emplois, soit 10% de la population active. Il représente 6,5% du PIB de ce pays avec environ 2,4 milliards de dollars de recette pour 2008. Chez nos voisins marocains, l'industrie touristique emploie 600 000 personnes et a rapporté, pour la même année, 8,47 milliards de dollars. Notre pays a autant sinon plus de potentialités que nos deux voisins réunis pour développer cette industrie. Une manne financière et un gisement d'emplois totalement ignorés. Une alternative à l'industrie pétrolière, une occasion pour les jeunes algériens d'avoir un emploi et de jouir des loisirs que peut procurer le tourisme dans leur pays. C'est que la dotation budgétaire de ce ministère est juste suffisante pour fonctionner. Il interdit toute ambition en direction de l'environnement ou du tourisme. Le financement attribué à la seule manifestation « Tlemcen, capitale de la culture islamique » est de 6 millions de dinars. Une somme qui est, au demeurant, à soustraire de la ressource financière allouée au ministère de la Culture qui totalise 21,6 milliards de dinars. Les manifestations onéreuses et inutiles, pour le commun des citoyens, sont une habitude pour ce département ministériel. Après « Alger, capitale de la culture arabe » et le Festival panafricain, voici venu cet autre festival dédié à la ville de Tlemcen. Nous avons la conviction que cette manifestation, comme les précédentes, passera inaperçue et dans l'indifférence totale des citoyens. Les petites et moyennes entreprises, qui interviennent dans le domaine de l'environnement, constituent, dans la communauté européenne, un gisement d'emplois. Un autre aspect du développement négligé par les pouvoirs publics qui ne prévoit aucune mesure incitative en direction des PME/PMI pour les encourager à investir et à créer des emplois dans ce domaine. 1,78 milliard de dinars est la modique somme allouée au ministère de la PME/PMI et de l'artisanat. L'artisanat est également ignoré, alors que l'Algérie dispose d'une appréciable diversité artisanale qui mérite une attention particulière. Pour autant, il y a à faire dans ces deux domaines, mais surtout dans l'environnement et l'écologie qui sont, aujourd'hui, la préoccupation de toute la planète. Pour exemple, en Allemagne, les entreprises, toutes des PME/PMI qui agissent dans le domaine de l'environnement, créent chaque année environ 15 000 nouveaux emplois. Ce chiffre ira en augmentant mais d'ores et déjà au moins 150 000 nouveaux emplois sont attendus dans ce pays pour les dix prochaines années. A l'échelle planétaire, 20 millions d'emplois vont être créés dans ce cadre à l'horizon 2030. La loi de finances 2010 n'a pas dérogé à la règle. Comme les années précédentes, elle a omis la frange de la population la plus fragile, les jeunes citoyens qui ont entre 20 et 35 ans. 12 millions d'individus, des demandeurs d'emploi, mais aussi de logements, des consommateurs potentiels et des catalyseurs de la croissance. Des infrastructures sportives et de loisirs doivent leur être préparées mais si l'accès au logement obtient une subvention de 270 milliards de dinars, il n'en est pas de même pour les loisirs, le sport ou la culture qui ne reçoivent, quant à eux, aucun crédit d'investissement. Plus que cela, la dotation budgétaire de ces deux ministères, en charge du bien-être des jeunes algériens, reste insignifiante au regard des besoins exprimés et à venir. Faut-il rappeler que 70% de la population algérienne a moins de 30 ans ? Des besoins immenses en perspective et au-devant desquels il faut aller rapidement. Voilà pourquoi nous nous obstinons à penser que les pouvoirs publics devraient envisager l'indispensable création d'un secrétariat d'Etat à la jeunesse. Pour preuve, les ministères de la Jeunesse et des Sports, celui de la Culture et enfin celui de la Formation professionnelle, les parents pauvres du gouvernement, totalisent à eux trois un budget global de 70 milliards de dinars environ, 20 milliards de moins que le département de la Solidarité nationale et la moitié de celui des Moudjahidine. Ce dernier est doté d'un budget de 145 milliards de dinars. Un budget gourmand, pour quoi faire ? Le pouvoir a l'argent mais n'a pas les bonnes idées pour donner du bonheur au peuple et surtout pour redonner de l'espoir à nos jeunes concitoyens chez lesquels gronde une révolte qu'il ne sera pas possible de contenir trop longtemps. Cette loi de finances 2010 inscrit son action dans une politique sociale qui n'apporte pas de solutions concrètes et définitives aux difficultés endémiques dans lesquelles se débattent quotidiennement les Algériens. Ces derniers, qui ne désirent pas être les objets de mesures sociales faisant d'eux des assistés, veulent du travail. Un travail qui les émancipe de la dépendance à l'Etat et les restaure dans leur dignité. De toute évidence, ce ne sera pas pour cette année. Les parlementaires débattront de cette loi durant plusieurs jours. Leurs lamentations sur les difficultés de la vie des Algériens seront, à coup sûr, nombreuses. Certaines seront sans doute sincères, d'autres seront feintes, mais comme à l'accoutumée, ils voteront presque tous cette loi. Une impression de « déjà vu, déjà entendu) qui rappelle les lois de finances précédentes et qui prépare celles à venir. Les députés auront, à nouveau, oublié la détresse de leurs jeunes concitoyens comme ils oublient et piétinent chaque année l'article 160 de la Constitution qui exige du chef du gouvernement, aujourd'hui Premier ministre, de présenter devant l'assemblée le bilan de l'année précédente. Nous voudrions conclure notre propos avec cette phrase d'un internaute. A elle seule, elle résume l'état d'esprit dans lequel sont nos jeunes concitoyens : « Si ça continue comme ça, un jour on partira tous d'un coup, les jeunes et les vieux la main dans la main pour former une chaîne humaine jusqu'à l'autre rive .On laissera les ‘‘khorotos'' se gargariser avec leurs mensonges. Tout est faux dans ce bled, y compris les barbes, les moustaches et surtout les pastilles sur les fronts. On punit les harraga qui n'aspirent qu'à s'évader de la salle d'attente de l'enfer quand au même moment on amnistie les terroristes ».