Le Caire semble avoir complètement perdu son sang-froid. Ce qui ne devait être qu'une rencontre de football a fini par prendre, au fil des jours, les allures d'une grave crise politique aux conséquences des plus imprévisibles. Une crise que Hosni Moubarak s'emploie, en personne, depuis hier, à alimenter pour tenter de sauver son régime finissant et donner l'illusion que son pays reste le leader incontesté du monde arabe. Ce qui, bien entendu, n'est plus le cas depuis déjà très longtemps. Après l'inqualifiable avalanche d'insultes proférées en live par les médias égyptiens à l'encontre des Algériens au lendemain de la victoire de l'EN à Khartoum, le raïs Moubarak, 81 ans, au pouvoir depuis plus d'un quart de siècle (28 ans pour être exact), vient d'assombrir le climat déjà délétère entre Alger et Le Caire en commettant un nouvel impair. Plutôt que d'œuvrer à calmer les esprits, le chef de l'Etat égyptien a hier franchi le rubicond en tenant des propos peu dignes d'un chef d'Etat, prouvant ainsi par la même occasion que l'agression dont ont été victimes les joueurs algériens à la sortie de l'aéroport international du Caire le 14 novembre est le fruit d'une machination fomentée au plus haut sommet de l'Etat égyptien. Dans un discours prononcé devant les députés du Parlement égyptien, il n'a pas hésité en effet à menacer l'Algérie de représailles en avertissant notamment que « l'Egypte ferait preuve de fermeté envers ceux qui portent atteinte à ses ressortissants », allusion faite aux supposées agressions dont auraient été la cible des Egyptiens établis en Algérie en marge du match pour la qualification au Mondial 2010. Le constat implacable des experts du monde arabe En tenant des propos aussi belliqueux, Hosni Moubarak – dans sa folie des grandeurs légendaires – tente désespérément de faire croire que son pays est le gendarme du monde arabe et qu'il est capable d'imposer ses quatre volontés aux nations de la région. Des nations qui, fait-il encore croire, seraient vouées aux gémonies sans son bouclier protecteur de grande puissance régionale. Dans les faits, tous les spécialistes du monde arabe écrivent noir sur blanc quotidiennement que l'Egypte est aujourd'hui sur une courbe descendante et qu'elle a hypothéqué toute sa crédibilité dans la région au lendemain des accords de Camp David le 17 septembre 1978, par Anouar Sadate et le Premier ministre, israélien Menahem Begin. Pour ceux qui ne s'en rappellent pas, les accords de Camp David consistent en deux accords-cadres qui furent signés à la Maison-Blanche après 13 jours de négociations secrètes à Camp David. Ils furent suivis de la signature, en 1979, du premier traité de paix entre Israël et un pays arabe : le traité de paix israélo-égyptien. Le Caire qui a longtemps vécu sur l'héritage de Gamel Abdel Nasser a exercé, sans toutefois en avoir les moyens, un certain paternalisme sur les pays arabes pour entretenir l'idée, justement, qu'ils sont dans la région un partenaire incontournable pour les Occidentaux. Le mythe égyptien a toutefois été battu en brèche, en premier, par les Palestiniens sous la direction du défunt Yasser Arafat. Les Egyptiens ont perdu leur statut de sous-traitants des Israéliens et des Américains (rôle qui leur rapporte quelques milliards de dollars chaque année) après que les Palestiniens se soient affranchis de la tutelle pesante du Caire et aient réussi à se poser en interlocuteur direct avec Tel-Aviv et Washington. Aujourd'hui, l'Egypte est devenue un partenaire beaucoup plus encombrant qu'autre chose pour les Occidentaux. Surtout depuis que Washington a ouvert un dialogue direct avec Téhéran et que la situation commence à se stabiliser en Irak. Embourbé aujourd'hui dans des problèmes politiques, économiques et sociaux inextricables, Le Caire a également vu, impuissant, ces 15 dernières années son influence culturelle et médiatique diminuer de manière considérable depuis l'ouverture de brèches démocratiques au Maroc et en Algérie dans le cas du Maghreb et depuis l'avènement de grandes chaînes satellitaires au Liban, au Qatar, aux Emirats arabes unis et en Arabie Saoudite. Le constat est le même dans le domaine de l'industrie cinématographique. La Turquie et la Syrie ont imposé un rythme de production que les Egyptiens ont du mal à soutenir. L'Egypte a tellement perdu de son influence et de sa crédibilité que Hosni Moubarak, malgré l'appui de Paris, n'a pas pu faire accéder son ministre de la Culture au poste de directeur général de l'Unesco. La régression inéluctable de l'Egypte Et pour corser l'addition déjà salée, Hosni Moubarak, parallèlement à la régression de son pays, assiste impuissant au retour en force de l'Algérie et de la Libye sur la scène régionale et internationale. Au plan symbolique, il n'est pas interdit de voir dans la défaite de l'équipe égyptienne face à l'EN d'Algérie la fin du leadership égyptien sur le monde arabe. Il est certain que cela soit ce constat précis qui a affolé le clan de Hosni Moubarak. Beaucoup d'observateurs avisés de la scène politique égyptienne soutiennent que celui-ci comptait précisément exploiter cette rencontre de football pour maintenir en respect ses adversaires politiques (à l'image de Amr Moussa et Al Baradai, ils sont très nombreux et très crédibles) et anesthésier la société égyptienne afin de placer son fils au pouvoir sans grabuges. Bien entendu en gagnant le match de mercredi, l'EN a remis en cause les projets du clan Moubarak. Et pour éviter un face-à-face avec une société égyptienne qui veut en découdre avec son régime et afin de sauver son « koursi » (son pouvoir, ndlr), Moubarak n'a pas trouvé mieux pour faire diversion que de concentrer les tirs en direction de l'Algérie. S'il n'y avait pas eu l'Algérie, Moubarak aurait inventé un autre ennemi. C'est toujours le moyen préféré des dictatures pour se maintenir en place : désigner un ennemi extérieur pour détourner l'attention sur la montée d'une contestation interne.