Les éditions Actes Sud et Barzakh viennent de publier un beau livre intitulé Voyage en Algérie Antique. Une œuvre magnifique qui associe un photographe émérite, Ferrante Ferranti, natif d'Algérie, l'écrivain Dominique Fernandez, membre de l'Académie française, l'historien Michel Christol et l'archéologue algérienne Sabah Ferdi, spécialiste en mythologie antique. Dès l'introduction, Michel Christol évoque les raisons qui ont poussé les Romains à occuper l'Afrique du nord en général et l'Algérie en particulier. Cette histoire entre la terre africaine et Rome est née à la fin des guerres puniques, en l'an 146 avant J.C. Adolphe Dureau de La Malle, auteur en 1858 de L'Algérie, histoire des guerres des Romains, des Byzantins, et des Vandales, en rappelle les circonstances : «L'an de Rome 608, Scipion Emilien a détruit Carthage, occupé tout son territoire, et cependant le sénat romain ne le garde pas tout entier : il détruit toutes les villes qui avaient aidé les Carthaginois dans la guerre, agrandit les possessions d'Utique qui l'avait servi contre eux, fait du surplus la province romaine d'Afrique, et se contente d'occuper les villes maritimes, les comptoirs, les colonies militaires ou commerciales, que Carthage avait établis depuis Syrte jusqu'au-delà d'Oran. Rome, de même que la France jusqu'à ce jour, prend position sur la côte, et ne s'avance pas à l'intérieur». De son côté, Dominique Fernandez propose aux lecteurs un périple passionnant à travers les villes romaines antiques qui commence à Tipasa pour aller à Cherchell, puis emprunte la route de l'Est algérien où tout un chapelet de sites, les uns plus beaux que les autres, combat les affres du temps et de l'oubli. Le choix de Tipasa comme ville inaugurale de ces pérégrinations n'est pas fortuit. Il s'agit pour l'académicien de rendre hommage à Albert Camus et son ouvrage, Noces, qui célèbrent la beauté de la côte algérienne baignée d'un soleil unique éclairant des vestiges d'une valeur inestimable. Dominique Fernandez cite un passage où Camus reproche aux habitants de l'Algérie de négliger ce passé et de ne vivre que dans l'instant présent : «Ce peuple tout entier jeté dans le présent vit sans mythes, sans consolation. Il a mis tous ses biens sur cette terre et reste dès lors sans défense contre la mort. Les dons de la beauté physique lui ont été prodigués. Et avec eux, la singulière avidité qui accompagne toujours cette richesse sans avenir». Les paroles de Camus font écho aux écrits des voyageurs-archéologues, venus en grand nombre en Algérie au XIXe siècle. Ils militaient pour valoriser ce patrimoine et le sauver du péril le guettant. En 1856, Louis Adrien Berbrugger, archéologue et président de la Société historique algérienne, en introduction au premier numéro de la Revue africaine, parlait déjà des préjudices subis par ce patrimoine : «Quant aux études historiques proprement dites, la seule trace des préoccupations dont elles pouvaient être l'objet se trouve dans un arrêté du 16 décembre 1831, par lequel le général Berthezène accorde à un sieur, Sciavi, qui s'intitule antiquaire, l'autorisation de faire des fouilles dans les maisons et jardins du domaine. Aucune réserve, d'ailleurs, n'est stipulée en faveur de l'Etat ; de sorte que cette tentative rentre plutôt dans le domaine du brocantage que dans celui de la science ; car le sieur Sciavi, malgré son titre pompeux d'antiquaire, ne paraît pas avoir d'autre but que d'importer ici une industrie désastreuse qui s'exerce sur une très grande échelle dans la régence de Tunis». Ce détour par l'histoire permet de comprendre que les voleurs de paysage et les pilleurs de la mémoire inscrivent leurs méfaits dans la continuité. Pour revenir à la promenade que propose Dominique Fernandez, le lecteur va de découverte en découverte. Ainsi, il chemine à travers des musées qui restent méconnus du grand public, recelant des pièces très rares. L'auteur nous parle de certaines mosaïques qui témoignent que la conquête romaine s'est faite, elle aussi, dans une grande violence. L'exemple de la mosaïque des captifs est édifiant car elle montre «un chef de tribu maure, enchaîné et assis sur son bouclier, accompagné de son épouse et de leur fils». Cette pièce qui date du IIIe et IVe siècles, se trouve au musée de Tipasa. L'œil de Ferrante Ferranti capte ces merveilles antiques d'une façon poétique, livrant, en apothéose, une série de photos saisissantes accompagnées de textes qui mettent à portée de lecteur Tipasa, Djemila, Tiddis, Timgad, Lambèse et Khamissa. Les amoureux des belles lettres feront des escales émues à Madaure (Mdarouache), l'enchanteresse ville d'Apulée qui a donné, avec L'Ane d'or, le premier roman de l'humanité ainsi qu'à Hippone (Annaba), la ville où Saint-Augustin a rédigé ses Confessions. Ce beau livre, où Sabah Ferdi a apporté sa riche expérience d'archéologue et de conservatrice, réhabilite une histoire antique méconnue et une richesse patrimoniale exceptionnelle à préserver de l'indifférence ou, pire, d'agressions diverses. Durant plus d'un siècle, ces trésors n'ont pas échappé aux manipulations puisqu'en dehors des passions sincères qu'ils ont pu susciter, ils étaient aussi utilisés comme argument idéologique, la France coloniale voulant s'identifier à la Rome impériale et s'en justifier. Légitimement réappropriés par l'Algérie indépendante, ces éléments indiscutables du patrimoine universel méritaient un tel ouvrage. Ferrante Ferrani, Textes de Dominique Fernandez, Michel Christol, Sabah Ferdi : «Voyage en Algérie Antique», Actes Sud (Arles) et Barzakh (Alger), 2013.