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prix Nobel 2007, l'immense romancière a quitté le monde, lui laissant un trésor.
Publié dans El Watan le 23 - 11 - 2013

C'était une romancière qui a puisé toute son inspiration de cette terre d'Afrique australe. La majeure partie de son œuvre littéraire s'y déroule pour la simple raison qu'elle y a passé la première partie da sa vie. C'est en 1950 qu'elle publie son premier roman, The Grass is Singing, (Vaincue par la brousse), qui relate la relation entre l'épouse d'un fermier blanc et de son domestique noir. Ce premier roman avait marqué les esprits, car ce fut à la fois une tragédie basée sur des tensions mêlées d'amour et de haine et une étude sur les conflits raciaux inconciliables dans la Rhodésie coloniale où, comme en Afrique du Sud, l'apartheid était le mode de gouvernance. Ce premier roman initiatique était puissant.
Dans les années soixante, Doris Lessing décide d'écrire une série romanesque intitulée Les enfants de la violence constituée de cinq volumes. Cette création littéraire va marquer toute son œuvre, car c'est une retentissante saga africaine de l'époque coloniale où la politique, la ségrégation, les trahisons, l'amour et les bons sentiments se mêlent. Pour comprendre aujourd'hui le colonialisme dans toutes ses contradictions, relire cette saga peut être très instructif. En fait, cette série est semi-autobiographique. Le personnage principal, Martha, regarde autour d'elle et observe cette société où les Noirs n'avaient pas droit à la parole. La jeune fille est partagée entre le grand désir de liberté et de justice et la passivité de cette Afrique coloniale qui ronge.
Doris Lessing publie par la suite Nouvelles africaines et Africains, ce qui montre son attachement pour ce continent qu'elle n'a jamais quitté par le cœur et la pensée. La question du racisme en Afrique du Sud et en Rhodésie est à la base de sa contestation, mise en texte dans Going Home, publié en 1957. Dans The Good Terrorist, elle signe un ouvrage sur les jeunes révolutionnaires d'extrême-gauche de l'IRA (Ndlr : Armée républicaine irlandaise, qui luttait contre la présence britannique en Irlande du Nord).
Doris Lessing a toujours écrit ce qu'elle pensait, sans se soucier de sa carrière, en véritable écrivaine et intellectuelle. Les questions politiques l'ont toujours intéressée car, pour elle, l'humain est au cœur de ses préoccupations. Doris Lessing n'a jamais accepté la vie petite bourgeoise des Blancs de Rhodésie, l'exploitation des Noirs et l'apartheid. Son désir farouche de liberté a pris naissance durant ces années formatrices.
J'ai eu la chance de rencontrer Doris Lessing lors d'un congrès en littérature anglophone et je peux témoigner de sa verve, de son franc-parler et de son humour. Elle exprime ses convictions et ses positions sans détour. La romancière s'est engagée politiquement en dénonçant la corruption et les passe-droits dans les pays africains nouvellement indépendants. Ses critiques les plus dures étaient bien entendu dirigées contre le Zimbabwe. Ses propos n'ont jamais été tendres envers des dirigeants africains, qui montraient de la complaisance pour Robert Mugabe, le président zimbabwéen, qui a «ruiné un pays si riche» et si proche de son cœur. Elle s'est aussi engagée pour la libération de la femme dans Le Carnet d'or, best-seller qui a reçu le prix Médicis étranger en 1976. Elle devint une icône du féminisme dans les années 1970, la Simone de Beauvoir britannique.
N'hésitant pas à se remettre en question dans les années 1990, elle exprimera cette idée que les hommes devraient commencer à se révolter, car certaines femmes usent et abusent de leurs pouvoirs. Femme de caractère, en 1984 elle envoie un manuscrit à son propre éditeur sous un pseudonyme pour vérifier s'il allait l'accepter ou pas. Le manuscrit a été refusé et elle a rendu public le fait. Elle a continué à écrire des romans de science-fiction, ainsi que des romans sur l'environnement et la sécheresse en Afrique. Dans Ben in the World, publié en 2000 et traduit par Le monde de Ben, elle aborde la question des ravages du désamour des parents et de tout handicap, qui fait que l'on se sent différent. Multiple, diverse, elle s'inspire des concepts soufis d'Idries Shah qu'elle a découvert dans les années 1960 pour écrire Canopus in Argos : Archives. Elle y retrace l'évolution de l'humanité après une guerre atomique. Jusqu'au bout, elle a écrit sur le devenir de l'humanité, qui la préoccupait au plus haut point.
Doris Lessing alterne ses pensées sur le colonialisme, les guerres nucléaires et les catastrophes écologiques avec une profusion d'écritures qui développent des thématiques diverses dans un style riche et vif. Doris Lessing a reçu le prix Nobel de littérature en 2007. Ce fut la onzième femme à recevoir ce prestigieux prix depuis sa création. Sur le plan de l'art, de l'écriture et de la création, l'Académie suédoise avait salué «la conteuse épique de l'expérience féminine qui, avec scepticisme, ardeur et une force visionnaire scrute une civilisation divisée». Doris Lessing était une romancière qui a tant fait rêver en remuant les consciences.


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