Hantée par son enfance africaine, guidée par son engagement politique et contre l'apartheid, Doris Lessing, morte dimanche à 94 ans, a bâti une œuvre éclectique, de la saga à la science-fiction en passant par le théâtre, couronnée du prix Nobel de littérature en 2007. Née le 22 octobre 1919 à Kermanshah, en Perse, l'actuel Iran, la romancière britannique est l'auteur d'une riche œuvre d'une cinquantaine de titres qui a fait d'elle l'icône des marxistes, des anticolonialistes, des opposants à l'apartheid et des féministes. Son œuvre, imprégnée par l'Afrique, terre de sa jeunesse, est d'abord tirée de son expérience personnelle : «Je suis toujours étonnée de ce que je découvre en moi», aimait répéter cette fille d'un ancien officier de l'armée britannique, émigré en Perse, puis en Rhodésie, l'actuel Zimbabwe, où il se lancera dans l'exploitation d'une ferme. «Le Carnet d'or» (1962), le livre le plus connu de Doris Lessing, raconte ainsi l'histoire d'une femme-écrivain à succès qui tient son journal sur quatre carnets différents : un noir pour son œuvre littéraire, un rouge pour ses activités politiques, un bleu dans lequel elle tente de trouver la vérité à travers la psychanalyse et un jaune pour sa vie privée. Un cinquième, «Le Carnet d'or», doit faire l'impossible synthèse de sa vie. L'écrivain a su explorer tous les styles, n'hésitant pas à faire des incursions dans la science-fiction avec les cinq tomes de sa série «Canopus dans Argos : Archives», écrite entre 1979 et 1983. Cette même année, elle décide, pour dénoncer le fonctionnement du monde de l'édition, de publier son livre «Le Journal d'une bonne voisine» sous le pseudonyme de Jane Somers. Refusé par son propre éditeur, l'ouvrage sera publié par une autre maison d'édition et fraîchement accueilli par la critique. Sa jeunesse écartelée entre plusieurs continents lui a inspiré sa première saga, rédigée de 1952 à 1969 : les cinq volumes des «Enfants de la violence» mettent en scène le personnage de Martha Quest, étonnamment proche de Lessing. Plus tard, Doris Lessing, qui a quitté l'école dès ses 13 ans, deviendra une fervente critique de la gestion des pays africains, dénonçant en particulier la corruption de certains gouvernements. Deux fois mariée et deux fois divorcée, elle estimait que «le mariage était un état qui ne lui convenait pas». C'est avec son fils né de son deuxième mariage qu'elle débarque à Londres en 1949, laissant en Afrique sa fille et son fils aîné, nés de sa première union. Elle arrive à Londres avec, dans ses bagages, le manuscrit de «Vaincue par la brousse», un roman dont l'action se situe dans une ferme en Rhodésie et dont la publication en 1950 lui assure un succès immédiat. En 2007, elle deviendra la personne la plus âgée à recevoir le Prix Nobel de littérature, une distinction qu'elle qualifiera quelques mois plus tard de «catastrophe» : «Tout ce que je fais, c'est donner des interviews et me faire prendre en photo», se lamente-t-elle alors. En mai 2008, elle confiait dans un entretien avec la BBC Radio 4 avoir cessé d'écrire parce qu'elle n'avait «plus d'énergie». Très fragilisée depuis quelques semaines, elle s'est éteinte dimanche matin, laissant derrière elle sa fille et deux petites-filles.