Al'évidence par les chemins de l'art puisque le premier était chanteur et homme de théâtre, et le deuxième compositeur et musicologue. Helena Tyrväinen, de l'Université d'Helsinki, s'est penchée sur cette relation étonnante dans une conférence intitulée «L'énigme d'une interview», donnée mardi à la Bibliothèque Nationale en clôture du premier colloque algéro-finlandais organisé par le CNRPAH et l'Université de Tampere. Se basant sur les Mémoires de Bachtarzi et des articles de Launis, la musicologue a tenté de reconstituer la dernière rencontre des musiciens. Dans ses Mémoires, Bachtarzi relate : «J'ai retrouvé à Nice, en 1933, le musicologue et compositeur finlandais Armas Launis qui avait séjourné à Alger de 1923 à 1926». Depuis ce séjour, Launis avait publié le livre Au pays des Maures où l'on retrouve une photographie de son ami algérien. En 1928, Launis postulait pour un poste de professeur de musique à l'Université d'Helsinki avec une conférence intitulée «Traits de la musique arabo-maure». Seulement, 11 ans après l'indépendance finlandaise, l'heure était au nationalisme, et ce sujet «exotique» n'avait pas convaincu. Launis abandonnera la musicologie pour se consacrer à la composition. Il écrira, entre autres, l'opéra «Jehudith» inspiré de ses impressions de voyage au Maghreb. Bachtarzi lui rendra visite à Nice, où il s'était installé avec sa famille. Launis avait une sincère admiration pour la voix du «Caruso du désert» et l'avait poussé à faire une tournée européenne avec sa troupe El Moutribia. Il le mettra en contact avec un imprésario pour un contrat de six concerts à Helsinki. Lors de cette rencontre, le chanteur algérien est interviewé par un mystérieux journaliste finlandais que lui aurait présenté son hôte. La visite devait prendre une heure, elle en durera deux et les photos témoignent de l'ambiance joviale. De retour à Alger, Bachtarzi reçoit, selon sa propre expression, «une tuile sur la tête». Le Gouvernement général lui reproche d'avoir «critiqué l'œuvre de la France en Algérie devant des journalistes étrangers». Une traduction de son interview, parue dans la revue littéraire finlandaise Suomen Kuvalehti, l'avait précédé à Alger ! Elle est signée… Armas Launis. L'auteur évoque la présence d'un journaliste français anonyme, lequel demande à Bachtarzi «comment une telle voix de ténor avait vu le jour dans une famille arabe ?». A quoi le chanteur répondra : «Je ne suis pas Arabe, je suis d'origine turque !». Launis commentera en affirmant que les plus grands ténors viennent du Caucase et d'Italie. Mais rien dans cet article, que Mme Tyrväinen a eu la gentillesse de nous traduire, ne justifie l'avertissement du Gouvernement général. L'universitaire finlandaise évoque une certaine méfiance de la France vis-à-vis de la Finlande indépendante, proche à l'époque de l'Allemagne. Dans une lettre à Launis, qu'il rebaptise Lounis par erreur ou affection, Bachtarzi écrit : «Il est bien entendu que je n'ai absolument rien compris, mais je m'imagine que ça ne doit être que du bien, et surtout écrit par un Maître tel que vous». On n'en saura pas plus sur cette énigmatique interview qui mériterait une étude révélant des liens insoupçonnés entre les deux pays.