Le colloque international sur la musique et la poésie andalouses: «La nouba, empreintes passées et perspectives d'avenir», a pris fin dans l'après-midi de mercredi dernier. Rappelons que cette rencontre a été organisée conjointement par l'université de Tlemcen et le Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques, qui a vu la participation de neuf pays étrangers. C'est la première fois que des institutions académiques proposent un travail de haut niveau sur cet art musical qu'on a toujours inscrit dans une dimension culturelle limitée à la tradition. En plus de 35 universitaires chercheurs et spécialistes dans le domaine de la musicologie et de la pratique musicale, le comité scientifique a aussi autorisé quelques interventions de personnes appartenant à la société civile qui devaient donner leur point de vue sur certains axes de la discussion. Les exposés tournaient autour de la nouba andalouse. Et dès les premières séances, le concept de « musique andalouse » fut l'objet de débat de la part de chercheurs arabes et occidentaux, notamment du musicologue Mahmoud Guettat de Tunisie, qui lui parle de musique maghrébo-andalouse, alors que d'autres préfèrent l'appellation de musique maghrébine. Le Dr Benbabaali Saadane, de la Sorbonne Paris-3, a fait le lien entre le texte chanté et son interprétation qui peut être plurielle. De son côté, le Pr Nadir Maarouf, de l'université de Picardie, a fait un état des lieux de cette musique ancestrale en la plaçant dans une sphère anthropologique, voire philosophique, en laissant entendre que des pistes de recherche dans cette discipline sont à envisager. Rostane Rachida, de l'université de Tlemcen, est allée dans le même sens, sauf qu'elle a mieux explicité les dimensions philosophique et méthodologique des perspectives d'avenir dans la recherche ethnomusicologique. Pierre Augier, musicologue français de renom, a évoqué la problématique de la transcription de cette musique et les «risques» de perdre tous les autres éléments culturels qui accompagnent la nouba et que la notation en solfège ne peut pas tout transcrire. Tewfik Benghabrit, qui est musicien compositeur, mais aussi et surtout président du comité scientifique ayant eu la charge, avec Mme Maya Saïdani, musicologue et enseignante chercheure au CNRPAH, de préparer ce colloque, a évoqué pour sa part la possibilité de réfléchir sur une didactique sur l'appropriation de la nouba sur la base d'une transmission intergénérationnelle de manière informelle au sein des familles tlemcéniennes. D'un autre côté, M. Jürge Elsner, professeur émérite à la retraite, rattaché au laboratoire de l'université de Humboldt à Berlin (Allemagne), a présenté une nouvelle approche sur l'analyse tonale de la musique andalouse, une musique sur laquelle il a publié beaucoup d'ouvrages. Manuella Cortes, de l'université de Grenade en Espagne, a présenté un exposé très intéressant sur la conservation du patrimoine en Espagne et les efforts consentis par son université à cet effet. L'Américain Reynods Dwight, spécialiste de la musique arabo-andalouse à l'université de Californie de Santa Barbara, a fasciné l'auditoire non seulement par la qualité du contenu de son intervention, mais aussi par la maîtrise de la langue arabe qu'il a utilisée lors de son exposé. Il a évoqué pour sa part l'histoire de la nouba à travers les chansonniers les plus anciens. Les amateurs de la nouba ont eu l'opportunité de débattre de plusieurs autres axes suscités par les interventions de Mme Benmansour Sabiha, ou celle de Salim El-Hassar, qui ont proposé des réflexions quant à la conception de cette musique qui balance entre tradition et modernité. L'autre message intéressant qui s'est dégagé de ce colloque est celui du sémantisme de la notion de « nouba » dont on peut retrouver les mêmes mouvements dans la musique traditionnelle yéménite, qui, selon Jean Lambert, musicologue français, dans la musique « classique » yéménite, le Chant de Sanaa, le musicien soliste chante habituellement en s'accompagnant du luth oriental ou du luth monoxyde tarab/ganbûs, propre à cette région de la péninsule Arabique. Helena Tyrväinen, musicologue chercheure à l'université d'Helsinki (Finlande), a exposé devant son excellence l'ambassadeur de son pays, venu lui aussi assister au colloque, a expliqué à sa manière la nouba vue par un compositeur d'opéra finlandais. Notons la présence dans la salle, durant les trois jours du colloque, de l'écrivain algérien Rachid Boudjedra et du sympathique chanteur kabyle Djamel Lallam. Même si le rythme des séances de travail était infernal (de 9h à 18h), les organisateurs ont prévu, en marge des débats scientifiques, des concerts de musique dans la salle de spectacle du nouveau palais de la culture, qui se déroulaient à partir de 20h. La nouba fut ainsi interprétée par les associations des trois écoles : l'ensemble régional de Constantine qui a interprété majestueusement la nouba Sika, alors que l'association de Mezghenna d'Alger a présenté un florilège de pièces andalouses. L'association El-Kortobia de Tlemcen a présentéune démonstration d'une nouba tlemcénienne, à savoir « Raml El-Achya », sous la houlette de maître Boukli Hacène Salah. Le répertoire haouzi a été interprété, d'une part, par Nadir Maarouf, présentant un récital de la vieille école, et, d'autre part, par la jeune Ghenim Nisrine qui monte et qui a séduit le public. Nous ne pouvons pas terminer cet article sans évoquer deux faits marquants que le public tlemcénien n'est pas près d'oublier: le merveilleux concert classique présenté par l'association «Echems» d'Alger, composée de 43 enfants en difficultés pour la plupart d'entre eux, car atteints d'autisme: le public est resté sans voix devant la virtuosité de la pratique musicale de ces enfants. Enfin, les Master Class, lancés en partenariat avec l'association Gharnata de Tlemcen et les organisateurs, a donné lieu à un joli spectacle: une jeune fille de 16 ans jouant merveilleusement du rebab, une autre qui excellait dans le jeu de la kouitra, alors qu'une troisième a chanté comme un rossignol. M. Hachi Slimane, directeur du CNRPAH et représentant Mme la ministre de la Culture, accompagné de M. Djafour Mustapha, vice-recteur des relations extérieures de l'université de Tlemcen, ont clôturé ensemble ce beau colloque après avoir récompensé les jeunes lauréats du concours, ces fleurs qui représentent l'avenir de cette musique qu'on nomme algérienne, maghrébine ou d'origine andalouse. Qu'importe, elle existe: donc protégeons-la.