Dans le ciel de Pretoria, des avions de chasse traînent les nouvelles couleurs du pays et sonnent la chute finale de l'apartheid. La lutte du peuple autochtone contre la longue nuit coloniale et raciste a fini par triompher de la domination brutale et injuste des Européens. Nelson Mandela, père de la nouvelle nation, devient président de la République, entamant la transition démocratique dont le point d'orgue sera incontestablement la création en 1995 et le travail de la Commission vérité et réconciliation (CVR). L'archevêque Desmund Tutu, prix Nobel de la paix en 1984, préside la commission qui va sillonner le pays et implanter des tribunaux en quête d'une justice transitionnelle et réparatrice. Le concept considéré comme une alternative au droit pénal représente, aux yeux des leaders sud-africains, l'unique solution pour sortir de la violence et panser les blessures du pays. Dans un entretien accordé à El Watan en avril 2009, Piet Meiring, membre de la CVR, expliquait qu'«une amnistie totale ne pouvait fonctionnait, cela aurait été comme ignorer totalement et déshonorer des victimes qui souffraient. A l'autre bout de la balance, un procès à la Nuremberg n'aurait pas été envisageable pour les coupables, particulièrement avec la réconciliation à l'ordre du jour». La commission devait recenser toutes les violations des droits de l'homme commises en majeur partie par le gouvernement ségrégationniste, mais aussi par les militants des mouvements de libération, et d'amener les auteurs des exactions devant les victimes ou leurs proches, premier pas vers une réconciliation nationale. Le mécanisme principal consistait à faire témoigner la victime. En échange de sa confession publique, le bourreau pouvait obtenir le pardon. Les séances transmises sur le petit écran ont vu défiler des milliers de responsables et de hauts responsables. Cela a permis aux Sud-Africains d'entamer un travail de deuil qui allait soulager les consciences et reconstruire l'unité nationale. Le processus a été long et laborieux avant de s'achever, au bout de six ans, faisant souvent l'objet de controverses. Ubuntu La charge haute de la commission, poursuit Meiring, a inspiré beaucoup sur le moment : fournir un pont historique entre le passé d'une société profondément divisée, caractérisée par le conflit, la souffrance indicible et l'injustice, et un avenir fondé sur la reconnaissance des droits de l'homme, la démocratie et la coexistence pacifique pour tous, sans tenir compte de la couleur, la classe sociale, la conviction religieuse ou le sexe. La poursuite aussi de l'unité nationale, le bien-être de tous les citoyens, de la paix et la réconciliation de la société, la reconnaissance du besoin de compréhension mais pas de vengeance, le besoin de réparation mais pas de revanche, de Ubuntu mais pas de victimisation. Ubuntu est le concept offert par l'Afrique du Sud au monde, la conviction selon laquelle aucune personne ne peut vivre sans l'autre. Nelson Mandela a montré la voie : après avoir tellement subi du régime de l'apartheid, il est revenu au bout de vingt-sept ans de captivité avec un but en tête : libérer tous les Sud-Africains, Blancs et Noirs pareillement. «C'était pendant ces années longues et solitaires que ma soif de la liberté pour mes propres gens est devenue une soif de la liberté pour tous les gens, Blancs et Noirs. Je savais que l'oppresseur doit être libéré aussi bien que l'opprimé», disait-il. Mais le pardon est une affaire risquée, nuance Tutu. Quand on s'embarque sur les affaires de demande et d'octroi du pardon, on se rend vulnérable. Le processus peut «dérailler» à cause de l'incapacité des victimes à pardonner, ou de l'insensibilité ou l'arrogance des auteurs qui ne veulent pas être pardonnés. L'expérience de la CVR en Afrique du Sud a fourni le modèle des commissions ultérieures, dans d'autres pays. Mais a-t-elle été une réussite totale ? Même si beaucoup estiment qu'il est encore tôt de faire un bilan sérieux de l'expérience, et en dépit de l'absence de remords ou d'explications de certains anciens hauts responsables de part et d'autre, la sincérité des chefs initiateurs et l'élan populaire qui a accompagné l'œuvre des commissions ont donné une nouvelle vie à ce pays qu'on croyait brisé par la haine.