Des chercheurs marocains, français, tunisiens et algériens ont échangé leurs points de vue sur une thématique d'une brûlante actualité : «La communication et la recomposition des liens sociaux à l'heure des TIC», lors d'un colloque organisé par le Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) en partenariat avec le Groupement de recherche International (GDRI, affilié au CNRS-France) et le réseau transnational Communication, médias et liens sociaux en Méditerranée (Commed). L'influence des nouveaux médias sur les révolutions dans divers pays, l'engagement politique des internautes avant, pendant et après lesdites révolutions et les nouvelles formes de cyberactivisme ont été traités par un panel d'experts. Avec l'arrivée du digital, les réseaux sociaux sont au cœur du dispositif de la nouvelle communication. Les pays d'Afrique du Nord ont découvert un spectaculaire changement opéré par l'influence des réseaux sociaux. Une petite souris dans la main, la jeunesse d'aujourd'hui est hyperconnectée et se découvre, malgré elle, praticienne des métiers de la communication. Avec la montée en puissance du mobile et la généralisation des connexions internet à haut débit, les habitudes des lecteurs évoluent et, avec elles, leur relation vis-à-vis des diffuseurs d'informations en tous genres. De plus en plus d'internautes reconnaissent que facebook et Twitter font partie intégrante de leur vie citoyenne. Les créations de blog se multiplient. De plus en plus d'utilisateurs se connectent en permanence aux réseaux sociaux. Intéressant constat relevé par les séminaristes : même si peu de jeunes ont une utilisation professionnelle des réseaux sociaux, la bataille d'influence en ligne a bel et bien commencé. En Afrique du Nord, les premiers pas sur le web social sont accomplis. Facebook n'a pas «créé la révolution tunisienne» S'il y a unanimité sur le fait que le cyberactivisme a fait irruption dans l'espace public en Afrique du Nord, peut-on pour autant parler de «révolutions facebook»en Tunisie, en Libye et en Egypte ? «Non, facebook n'a pas créé la révolution tunisienne. Facebook a encouragé et aidé la révolution», tient à préciser Sihem Najar, chercheure tunisienne, socio-anthropologue des NTIC détachée à l'IRMC, en marge de ce colloque. Sihem Najar s'inscrit en faux contre ce discours qui voudrait surdéterminer le rôle des nouveaux médias dans la révolution dans son pays. Pour elle, la révolution s'est faite dans la rue et non pas face aux écrans connectés au web. La chercheure ne minimalise pas pour autant le rôle des nouveaux médias reconnus comme importants dans la représentation médiatique de la révolution. Pour elle, c'est d'abord et avant tout la rue qui a fait la révolution, les réseaux sociaux ayant simplement permis d'accélérer les choses. Avec facebook et Twitter, la jeunesse tunisienne a pu «zapper» la propagande et les médias officiels d'alors. La Tunisie compte 3,6 millions d'internautes, dont près des deux tiers sont utilisateurs de facebook. Les nouveaux médias ont médiatisé les événements. L'expression, la coordination et la contestation des réseaux sociaux se sont greffées à un contexte sociopolitique tunisien très favorable au déclenchement de la révolution. «Sans ces nouveaux outils de communication numérique, les contestataires auraient certes eu davantage de mal à s'organiser. Mais ni facebook, ni les blogs, ni les journaux électroniques n'ont réussi seuls à la faire la révolution sans l'activisme physique dans la rue», souligne un séminariste. Sihem Najar, qui a notamment travaillé sur les négociations identitaires et les transformations sociales en Tunisie, est coordinatrice du programme de recherche «Communication virtuelle par l'internet et transformation des liens sociaux et des identités en Méditerranée». Elle a publié plusieurs travaux de recherche, notamment une étude sur Les Pratiques sociales de l'internet et les transformations des identités et des liens sociaux au Maghreb. Après Les nouvelles sociabilités du Net en Méditerranée et Le cyberactivisme au Maghreb et dans le Monde arabe, édités aux éditions Karthala, un autre ouvrage de Sihem Najar décline une réflexion sur les transformations générées par internet dans les pays méditerranéens à l'aune d'importants chamboulements politiques. «Outre la volonté d'exercer de l'influence, d'autres motivations expliqueraient l'usage des médias sociaux : la relation, le divertissement et la reconnaissance», explique un chercheur marocain. Il y a incontestablement un engouement des utilisateurs pour les terminaux mobiles et les réseaux sociaux sur smartphone et tablette. «Ce n'est pas du tout la fin de l'information traditionnelle, mais une réinvention des pratiques de traitement et de diffusion d'informations à laquelle nous assistons. Les segments du web pèsent sur le monde de l'information», conclut un chercheur du Crasc.