L'illustre artiste-peintre M'hamed Issiakhem a fait l'objet, lundi dernier, d'une conférence dans la nouvelle infrastructure culturelle que compte à Oran, à savoir l'UCCLLA (Unité de Recherche sur la Culture, la Communication, les Langues, la Littérature et les Arts), située à l'ancien siège du CRASC (Es-Sénia). Cette conférence, intitulée «M'hamed Issiakhem, peintre visionnaire, homme écorché (1928-1985)», avait été animée par le non moins illustre Pr Benamar Mediene, venu spécialement de Paris pour l'évènement. L'assistance, composée en partie d'élèves des Beaux-arts, était venue nombreuse à cette occasion. D'abord, il faut savoir que le Pr Benamar Mediene avait connu, en chair et en os, Issiakhem, ainsi que son alter ego de toujours, Kateb Yacine. Il les avait rencontrés, dans les années 50, alors qu'il rejoignait les rangs du FLN à Paris, avant d'être arrêté à Toulouse. «Une très belle arrestation, s'est-il souvenu lundi dernier, comme dans le cinéma». Ses 16 mois de captivité ainsi qu'un premier amour déçu lui avaient valu la sympathie d'Issiakhem et de Kateb qui le prirent sous leurs ailes. «Quand je les ai rencontrés et côtoyés, je me suis dit qu'un pays qui avait de tels enfants ne pouvait être que fabuleux». Pour revenir plus spécifiquement à Issiakhem, le Pr Benamar retracera, pendant la conférence, sa vie et sa carrière, sans omettre de raconter, ici et là, quelques anecdotes croustillantes. Issiakhem était un écorché vif, dont la vie avait basculé, du haut de ses 15 ans, lorsqu'une grenade chipée avec Kateb Yacine lui avait explosé sous le nez, lui faisant perdre son bras ainsi que trois de ses neveux. A partir de là, il s'est mis à voir la vie sous un tout autre angle, en ressentant, de façon intuitive, la détresse humaine. «Sa personnalité en elle-même était un chef-d'œuvre», dira le conférencier, avant de souligner que «le drame qu'il a vécu a révélé en lui l'artiste qu'il n'était pas encore». Il était un de ces rares artistes, où sa vie et son art étaient étroitement liés, pour, au final, se confondre entre eux. Cette vision mélancolique se déteignait dans ses tableaux, avec une présence constante du noir, le noir absolu, «mais aussi du gris, le gris perlé, le gris souris qui reflète l'écorché vif, le malheur». Le conférencier racontera, en marge de la conférence, une anecdote, somme toute amusante, sur cet artiste peintre. Entre l'année 1969 et 1970, un serial-killer semait la terreur à Alger. Issiakhem avait coutume de prendre des libations dans un bistrot tenu par un manchot. Un jour, la police s'y pointe et lui demande de l'aider à trouver ce tueur en série, en y peignant son portrait robot à l'aide de témoignages. Il refuse dans un premier mais, sous l'insistance de la police, il finit par accepter. Au commissariat, il s'évertue à écouter les témoins et à dessiner le portrait-robot, quand le commissaire lui demande d'arrêter tout de suite : il était en train de dessiner le portrait-robot de Houari Boumediène. Au début des années 80, Chadli et Messaïdia viennent le voir alors qu'il était en plein dans des travaux de poterie. Il essuie sa main pour serrer la main du président, et comme il détestait Messaïdia au-delà de tout, avant d'effectuer la virile effusion, il fourre sciemment sa main dans l'argile, dans le seul but de salir Messaïdia. Au final, c'était un bel hommage rendu à cet artiste majeur algérien, dont la vie et l'œuvre font l'admiration de beaucoup.