Cette semaine est mort Christian Gazi, philosophe et cinéaste libanais, à 69 ans. Le Daily Star dit de lui, «Le grand survivant des années 70». Sans doute qu'aucun d'entre vous n'a vu un de ses films, et encore moins ne l'a rencontré. Ni moi d'ailleurs. Lors de mon voyage dans son pays, je n'ai pas saisi la chance qui m'était donnée. Alors pourquoi parler de lui ici ? À Beyrouth, on me disait : «Tous ses films ont brûlé, tu n'en trouveras que deux en DVD.» Les films qui brûlent ce n'est pas rare. J'ai pensé au film tourné sur Archi Sheep et les Touareg dans le Hoggar après leur rencontre mémorable lors du Festival panafricain à Alger. N'a-t-il pas brûlé dans les laboratoires Pathé à Paris ? N'est-ce pas comme cela que l'on construit les légendes ? Un film qui brûle, c'est encore plus troublant qu'une sculpture sur neige. L'éphémère œuvre de Chritian Gazi m'a accompagnée dans mes balades sur Hamra plus sûrement que si j'avais vu les films. Et puis j'ai appris les détails de cette affaire. Et j'ai pensé à Zinet. Incroyable communauté de destin. Zinet, le saltimbanque, un enfant de la balle comme il aimait dire, le cinéaste amoureux d'Alger va vivre à peu de temps d'intervalle, lui, dans l'Algérie révolutionnaire et socialiste de la fin des années 60, la même aventure que Gazi, le philosophe et cinéaste dans la Beyrouth démocratique et néo-libérale des premières années 60. Christian Gazi reçoit commande pour 12 films sur le ministère du Tourisme au Liban, pour attirer la jet-set européenne et faire la propagande du casino flambant neuf. La ville d'Alger passe commande à Zinet d'un film touristique. Elle ne saura pas quoi en faire et gardera plusieurs années les bobines dans un tiroir fermé à clé, (ce n'est qu'en 1974 qu'elle confiera la diffusion de ce film à la cinémathèque d'Alger). Pour Gazi, ce sera plus dramatique. Il raconte : «Un jour le général de la Sécurité me téléphone et m'invite à le rejoindre sur une grande place de la ville. Il y avait là posées sur le sol les bobines de mes 12 films. Le général les aspergea d'essence et mis le feu.» J'ai immédiatement pensé, pardon Christian, à Zinet. «Et si on avait brûlé Tahia Didou !» Le général avait ajouté : «C'est ce que nous ferons avec vos films.» Personne ne connaît son nom, il a disparu de la scène politique. Christian Gazi est resté vivant, ses films que personne n'a vu continuent de hanter les cinéphiles. La Mairie d'Alger qui a interdit le film de Zinet, qui s'en souvient ? Le film de Zinet continue à faire le tour du monde. Christian Gazi et Zinet restent vivants dans nos cœurs. Ils sont encore un chemin et un exemple de talent et de liberté. Les deux vont toujours ensemble.