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Le film phénix
Cinéma. Le film «Tahia ya Didou» restauré !
Publié dans El Watan le 14 - 01 - 2017

A quoi peuvent parfois tenir les choses ! Au début de l'année dernière, Lyes Semiane, l'attachant directeur de la Cinémathèque algérienne, s'était rendu dans l'un des dépôts de son institution, près de la wilaya d'Alger, pour inspecter les lieux et, au passage, trouver éventuellement une affiche qu'il recherchait.
Dans ce capharnaüm – résultat de décennies de délaissement de la conservation des films – il tomba sur plusieurs bobines rouillées sur lesquelles on pouvait lire difficilement : Tahia ya Didou.
«Sur le coup, nous raconte-t-il, je n'arrivais pas à croire ce que je lisais. Je n'osais espérer que ce soit ce film que l'on recherchait depuis si longtemps. Il n'y avait qu'une seule copie en circulation, utilisée des milliers de fois, complètement usée. Je me souviens que pour l'Année de l'Algérie en France, on avait été obligés de la passer avec l'image et le son défectueux parce qu'on nous le réclamait partout ! Personne ne savait que ces bobines existaient.
Mais j'ignorais encore ce que l'on pouvait en tirer et à quel point les bandes à l'intérieur avaient souffert du temps et des mauvaises conditions. Mais je savais que je ferai tout pour tenter de sauver ce chef-d'œuvre.» Pour cette entreprise, le ministère de la Culture a aussitôt réagi, donnant toute latitude et moyens à la Cinémathèque algérienne.
Les bobines rouillées se sont ainsi retrouvées à Rome dans le laboratoire Laser Film de réputation mondiale puisqu'il travaille pour des studios d'Hollywood et, depuis quelques années, pour le cinéma chinois qui lui a confié tous ses travaux de restauration. Les premières analyses ont conclu à la possibilité de mener à bien ce travail. Côté algérien, tous les moyens ont été mobilisés et, pendant six mois, les spécialistes du laboratoire, tels des archéologues du 7e art, ont réussi à ressusciter la momie filmique.
«J'ai suivi les étapes de cette aventure technique et technologique, ajoute Lyes Semiane. C'était impressionnant de voir renaître l'œuvre originale comme à son premier jour. Je ne crois pas que dans toute ma carrière, j'ai pu vivre une telle joie et je suis fier que la Cinémathèque algérienne ait pu réaliser ce projet pour sauver ce film emblématique du cinéma algérien.
C'est un hommage merveilleux au réalisateur Mohamed Zinet et au comédien Momo qui ont mis toute leur âme dans ce film. Ainsi qu'à El Anka, Issiakhem et tous ceux qui ont participé. Zinet était un visionnaire et un précurseur. Il a réalisé Tahia ya Didou au début des années 1970. C'était complètement nouveau, ce genre de film carte postale sur une ville mais qui est en même temps bien plus qu'une carte postale. Ce n'est que deux ans après, je crois, que le grand réalisateur italien, Federico Fellini, a réalisé Fellini Roma, considéré dans le monde comme le modèle du genre. Notre Zinet était en avance, oui». 
A la fin janvier, le laboratoire livrera le film dans plusieurs formats : une copie en 35 mm à préserver ainsi que les versions DCP, DVD et Blue Ray. Les négatifs aussi sont restaurés (bandes images et son) et désormais, il sera possible d'en tirer des copies à volonté. En attendant que l'Algérie finisse par mettre en place un dispositif efficace de conservation de son patrimoine filmique, vieux rêve devenu une chimère, le laboratoire romain abritera les négatifs.
De la même façon que Kateb Yacine fut l'écrivain d'un seul roman, Nedjma, devenu une œuvre phare de la littérature algérienne, son ami Mohamed Zinet n'a réalisé que Tahia ya Didou. C'est assurément un film unique dans la cinématographie nationale et même mondiale, si l'on s'en tient aux conditions rocambolesques de sa naissance.
A l'origine, il s'agissait d'un film de commande. La capitale, à travers l'Assemblée populaire communale d'Alger, voulait tout simplement d'un support de promotion, une sorte de dépliant touristique filmé mettant en valeur, quelques années après l'indépendance, le patrimoine de la ville, ses infrastructures, son développement, etc. Mais c'était sans compter sur le génie de Mohamed Zinet qui a, en quelque sorte, commis un hold-up cinématographique pour créer une œuvre originale qui, d'abord, outrepasse le dessein de ses commanditaires et, ensuite, explose les limites établies entre documentaire et fiction.
Pourtant, si le réalisateur est sorti du «cahier des charges», il a paradoxalement enfanté d'un objet artistique unique qui, en plongeant dans l'âme de la ville, lui assurait la plus belle des mises en valeur. Son film prend même une dimension philosophique en prouvant que les meilleures louanges sont celles qui n'hésitent pas à montrer la réalité. Avec toutes les ressources du funambulisme, Zinet a gardé de subtils équilibres entre ce qu'il fallait montrer et ce qu'il voulait exprimer. Qu'on en juge…
Tahia ya Didou commence sur les chapeaux de roues, celles d'un avion de ligne d'Air Algérie qui aborde la piste de l'aéroport d'Alger. Au bord du tarmac, se tient un vieil homme en burnous et turban qui fait office de clapman. L'avion atterrit, soulevant le burnous puis on entend la voix de Zinet hurler qu'il faut refaire la scène. Et l'avion atterrit à nouveau. En fait, c'est la même scène qui repasse ou, peut-être, un autre avion qui atterrit, et au moment où les réacteurs vrombissent le plus, Zinet crie : «Silence, on tourne !» Le tout est amusant et l'on sent Zinet lui-même s'amuser prodigieusement.
L'avion flambant neuf est là pour dire que la capitale est une ville moderne ouverte sur le monde. Le clapman paysan est là pour dire que cette ville moderne est désormais habitée par un peuple qui plonge ses racines dans la terre ancestrale, un peuple qui a combattu pour accéder à cette modernité mais qui se tient symboliquement au bord de la piste.
La suite est à l'avenant. Les passagers de l'avion descendent de la passerelle. Parmi eux, quelques touristes, notamment un couple d'Européens quadragénaires et un vieux Suisse en short, caricatural avec son chapeau tyrolien et son sac à dos. Il s'avère qu'il n'a pas de visa et on le conduit au poste de la police des frontières où des officiers le reçoivent poliment mais, fermement, décidés à le réexpédier dans son pays. L'un des jeunes inspecteurs lui assène alors cette phrase-culte qui a tant fait rire les spectateurs du film lors de sa sortie : «Nixt visa ! Nixt Algérie !» On est bien éloignés du dépliant touristique. Pourtant, dans la scène suivante, une jeune douanière, belle comme sait l'être une Algérienne, lance avec un sourire resplendissant un «Bienvenue en Algérie !» qui, lui, vaut mille dépliants. Tout le film de Zinet est construit sur cette dualité entre un documentaire de promotion et une œuvre de fiction. Ce n'est pas pour rien que le film est doublement intitulé : Alger insolite et Tahia ya Didou ! Le premier renvoie à la commande et le deuxième à la création.
Cette dualité pourtant ne provoque pas de ruptures dans la narration filmique. Les deux se mélangent de manière imperceptible ou discrète et surtout si Zinet fait quelques concessions à la commande, il apparaît clairement qu'elles ne sont pas des compromissions. Elles apparaissent plutôt comme des points de coïncidence entre la volonté des commanditaires (la commune d'Alger, rappelons-le) et ses propres convictions.
Quand il filme par exemple le Palais des expositions des Pins Maritimes, inauguré une année avant le tournage ; quand il met en valeur, presque comme un personnage du film, la fanfare de l'Armée nationale populaire, et notamment sa clique de cornemuses ; quand il place son générique de début sur une cour d'école emplie d'enfants ; quand il balaie des chantiers en construction et joue avec les néons des nouvelles entreprises et banques nationales ; quand il montre les mouvements d'ensemble des Algériades au stade du 20 Août, on le sent adhérer à une dynamique nationale de développement, ne cherchant pas à cacher sa fierté.
Adhésion et distance. Mais au cœur même de cette adhésion, il prend le soin d'une distance critique. Oui, l'école est pleine d'élèves et c'est un bonheur qu'elle accueille les enfants de ceux que la colonisation a privé d'éducation publique. Mais ils sont si nombreux qu'il suggère des interrogations démographiques. Ils sont si encadrés qu'il nous laisse envisager leur manque de joie. Et à un moment – hasard ou volonté ? –, la caméra zoome sur un garçon qui se trouve perdu au milieu de ses camarades qui avancent deux par deux, en ordre serré quasi militaire. Son visage sur lequel s'approche l'objectif exprime le désarroi.
Oui, tout également, la nouvelle Foire d'Alger est belle, mais, avec les néons d'enseigne, Zinet introduit comme un avertissement sur les effets clinquants de la démagogie. Oui encore, les mouvements d'ensemble au stade des lycéennes avec les jeunes soldats sont une chorégraphie de l'indépendance et de la construction nationale mais il les filme à travers une scène cocasse où une femme en haïk n'arrête pas d'appeler sa fille et de la signaler avec fierté aux autres spectateurs exaspérés, une scène qui fait rire à pleurer mais inspire une réflexion sur le choc des cultures traditionnelles avec celles d'un socialisme encadré par le haut.
Par sa construction en scénettes, son enchâssement en tableaux joués ou puisés de la réalité (les deux aussi), Tahia ya Didou ressemble parfois à un patchwork. Mais comme cette pièce composée de morceaux de tissus rassemblés, il n'a rien de décousu. Au contraire, Zinet a réussi le tour de force de faire de la ville la complice enthousiaste de son scénario et il mène le fil de son «récit» de main de maître. Dans la profusion des scènes, des lieux et des personnages qui se succèdent à un rythme parfois endiablé (le montage est une création), il a pris soin de ménager des tunnels de signification et de tisser des fils conducteurs qui donnent à ce kaléidoscope haletant une incroyable harmonie qui nous fait d'ailleurs rappeler celle que les architectures si différentes d'Alger parviennent à créer dans un jeu de dissemblances étonnamment complémentaires.
On suit ainsi de loin en loin, de jeunes dragueurs à bord d'une Dauphine qui importunent aussi bien les femmes en haïk que les filles en robes courtes. On poursuit avec un agent de police bedonnant et sympathique la ribambelle d'enfants qui traversent la ville à la queue-leu-leu, le plus petit à la traîne offrant la scène mythique des escaliers en zigzags qui surplombent la place Emir Abdelkader et que les gens du quartier appellent encore les «escaliers Tahia ya Didou».
On suit aussi dans ses pérégrinations le touriste suisse qui a fini par entrer en Algérie et dont l'interprète n'est autre que le grand écrivain et grand ami de l'Algérie, Georges Arnaud, l'auteur du célèbre Salaire de la peur.
Et surtout, véritable lien entre tous les éléments de cette avalanche d'images, le personnage de Himoud Brahimi, dit Momo, poète populaire de la ville et ancien champion d'apnée, sur un morceau de la jetée d'Alger, déclamant ses vers où la mémoire, la sagesse et l'émotion se combinent avec une incroyable portée et un hommage exceptionnel à Alger, «bahdjati». Mais quel cinéaste au monde a-t-il osé ainsi introduire la déclamation poétique comme élément structurant d'un film ? Mohamed Zinet a introduit dans son œuvre, comme s'il savait que son premier film serait le dernier, d'extraordinaires innovations du langage cinématographique.
Le passage où il détourne les gravures coloniales sur la conquête de l'Algérie pour déconstruire leur discours est un morceau rare qui préfigure, quinze ans auparavant, le magnifique Combien je vous aime, de Azzedine Meddour, 1er prix en 1985 au Festival du film de New York dans la section Perspective. Audacieux et novateur encore quand il crée un univers nocturne de scène de théâtre avec une route surnaturelle où Momo, sorti du port, attend un bus accordéon de la RSTA qui transporte tous les protagonistes du film, une sorte de «nous-sommes-sur-le-même-bateau» lancé au spectateur. Le procédé n'est pas sans rappeler celui de Dogville, de Lars Von Trier, avec Nicole Kidman dans le rôle principal, mais qui n'est sorti qu'en 2003.
Pour toutes les générations de cinéphiles qui n'ont pu voir le film, nous ne dévoilerons pas la scène très forte du restaurant où Mohamed Zinet joue. Un condensé d'émotions et un effet de surprise simple mais puissant.
Que dire encore de ce film qui mérite des pages entières d'interrogations et de réflexions ? Nous en reparlerons amplement lors de sa projection-résurrection à Alger que Lyes Semiane attend avec une excitation d'enfant, rêvant aussi de le programmer dans la section Ciné-Classic du prochain Festival de Cannes.
En attendant, comment ne pas féliciter le ministère de la Culture et la Cinémathèque algérienne présents ici au cœur-même de leur mission ? Et en guise de conclusion, les derniers vers de Momo dans le film : «Le passé confie sa foi/ Le présent propose sa loi/ L'avenir exige son droit». Un beau sujet de philosophie !


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