– Les Frères musulmans en Egypte sont officiellement déclarés «organisation terroriste», la violence gagne de nouveau du terrain. Y a-t-il un parallèle à faire avec l'Algérie des années 1990 ? On dit clairement noter que chaque pays a sa particularité en matière de Constitution, d'institutions, de diversité religieuse au sein de la population. Mais il est vrai que les données actuelles tendent à faire un rapprochement avec les violence qu'a connues l'Algérie dans les années 1990 après l'éviction du FIS. C'est le scénario type de la confrontation de l'Etat et de groupes extrémistes, où l'Etat pousse ses adversaires à être plus violents. Les similitudes se traduisent aussi dans la puissance de l'institution militaire. Le gouvernement de transition actuel en Egypte se comporte comme l'armée algérienne en 1992. Mais il y a aussi des différences importantes entre l'Algérie et l'Egypte. En effet, le FIS était à l'époque une organisation qui manquait d'expérience dans le domaine politique, tandis que la confrérie des Frères musulmans existe depuis plus de 80 ans et c'est une des organisations les plus organisées et l'histoire a démontré que ses membres n'ont jamais eu recours à la violence malgré la marginalisation qu'ils ont subie depuis l'ère de Gamal Abdel Nasser.
– Pensez-vous que l'interdiction de la confrérie, et de toutes les organisations qui lui sont liées, soit un signe du retour de l'oppression militaire et un retour à la case départ ?
Il faut comprendre qu'il y a une large nuance dans la manière avec laquelle l'Etat classifie les Frères musulmans. Les classer en tant que groupe terroriste est une décision purement politique. On observe une adoration de l'institution militaire et une diabolisation de la confrérie via la presse égyptienne, une presse dépourvue de conscience et de responsabilité. Tous ces facteurs rendent le risque de guerre civile dans le pays réel, d'où la division immense entre les Egyptiens. Il ne faut pas oublier qu'en gelant les activités de beaucoup d'associations ayant appartenu à la confrérie et qui étaient actives dans le milieu associatif médical, on touche aux intérêts d'une frange assez pauvre de la population qui bénéficiait de ses dons. Il y a aussi l'aspect juridique un peu troublant dans cette polémique. En principe ce genre de décision est toujours prise après des investigations minutieuses et au final, ça reste un acte antidémocratique. Or, c'est la démocratie qui a poussé les Egyptiens à sortir dans la rue en 2011.
– La rue égyptienne semble en colère quant aux récentes attaques à la bombe et montre un grand soutien à l'armée et au gouvernement de transition…
La colère d'une partie de la population est le fruit d'une campagne médiatique féroce qui perdure depuis plus d'une année et demie, parce qu'on ne peut soustraire une partie non négligeable des Egyptiens qui croient fermement aux doctrines et l' idéologie de la confrérie des Frères musulmans. Les médias égyptiens ont diabolisé les Frères musulmans à plusieurs niveaux, on peut retenir qu'ils ont été traités depuis leur arrivée comme des membres d'une organisation internationale, et ont été déchus de leur citoyenneté dans le discours adopté. Il y a des chefs d'accusation graves à l'encontre du président déchu Mohammed Morsi, tels que l'espionnage et la conspiration en vue d'actions terroristes. A mon avis, on devrait attendre la fin des investigations et des procès pour pouvoir porter un jugement final, surtout pendant cette période sensible de la transition.
– Pourquoi pensez-vous que la solution politique n'a pas été envisagée ou du moins pourquoi a-t-elle échoué ?
Il est clair que la situation actuelle est à l'avantage de certaines factions politiques du pays. Je ne pense pas qu'il puisse y avoir de solution politique, quand il n'y a pas d'équilibre politique et qu'on assiste à une vague d'arrestations des dirigeants de la confrérie et de leurs sympathisants, alors que certains d'entre eux sont très modérés. En quelque sorte, on montre que le danger radical terroriste ne se limite plus à cibler des militaires ou forces de l'ordre, mais aussi le peuple. Et tous ces éléments, à savoir les attentats qui surviennent à quelques jours du référendum sur la Constitution, poussent beaucoup de gens, y compris ceux qui étaient réfractaires, à voter pour cette nouvelle Constitution, car convaincus que ça aidera à apaiser les tensions et les violences. Donc, le climat n'est favorable ni au dialogue ni à des consensus. Bien au contraire, il pousse vers la violence continuelle.
– La décision sonne-t-elle la fin de l'existence des Frères musulmans ou alors se dirige-t-on vers une nouvelle ère de clandestinité dans leur action politique ?
Il est très difficile de soustraire définitivement une institution qui existe depuis près d'un siècle. D'ailleurs, la quasi-totalité des gouvernements égyptiens depuis les années 1950 a échoué à son ablation. Certes, il sera difficile pour la confrérie de se battre dans le climat actuel, mais elle continuera d'exister, car c'est une idéologie ancrée dans une frange non négligeable de la société.