Beaucoup de problèmes qui ont des solutions théoriques et pratiques demeurent toujours problématiques chez nous. Ils sont toujours traités en fonction de considérations idéologiques ou intuitives. Si on est d'obédience gauchiste, on oriente les recommandations vers plus d'Etat, plus de dépenses publiques quelles que soient les conséquences, même si les résultats économiques seraient dérisoires. L'idéologie prime sur l'efficacité. Si on est un extrême libéral, on oriente le maximum de ressources pour les activités privées sans faire de distinction entre le bon grain et l'ivraie. Il y a des bons et des mauvais privés. Il nous faut une volonté sans faille et une méthodologie pour les séparer. On sort toujours la fameuse solution miracle : le marché fera le ménage et les mauvais privés disparaîtront. Ceci serait vrai à un certain nombre de conditions qui ne sont pas satisfaites dans notre contexte. L'absence d'outils d'analyses complique la situation. Lorsqu'on gère avec des outils insuffisants, on économise quelques milliers de dollars, mais on risque d'en gaspiller quelques milliards. Notre paysage économique est pauvrement pourvu en outils de tout genre. Dans des situations pareilles, ce sont surtout les rapports de force socio-politiques qui l'emportent sur la rationalité économique. Les outils techniques ne règlent pas pour autant les conflits d'intérêts ni ne permettent pas d'orienter automatiquement les ressources vers les meilleures utilisations possibles. Des clarifications nécessaires Nous constatons avec regret que nous n'avons même pas une doctrine précise sur le rôle des deux secteurs (privé et public). Alors, ce sont des décisions par à-coups qui se substituent aux politiques de rationalité. Depuis le début des réformes, en 1988, nous avons subi une interminable série de politiques économiques contradictoires. Les décisions ressemblent, à s'y méprendre, à un mouvement pendulaire sans fin. Après avoir diabolisé le secteur privé durant plus de 26 ans après post-indépendance, on s'est remis à le considérer, le tolérer, l'encenser et puis le charger de nouveau à partir de 2008. Curieusement, nous sommes aujourd'hui en situation de neutralité théorique, mais de marginalisation pratique. La plupart des responsables jurent par tous les saints qu'ils ne font aucune distinction entre les entreprises publiques et privées. Pourtant ! Lorsqu'une entreprise d'Etat accumule des dettes et que les déficits dépassent le maximum légal on l'assainit avec l'argent des contribuables ; et parfois les taxes prélevées sur des entreprises privées. Le comble, c'est que l'on compte sur des entreprises assainies quatre ou cinq fois pour devenir des championnes, réindustrialiser le pays et exporter. Einstein disait que la folie, c'est de croire que les mêmes paramètres vont générer des résultats différents. Nous sommes à la cinquième ou sixième folie. Le paramètre le plus pertinent au niveau de ces entreprises demeure la culture managériale inculquée à l'ensemble de leurs membres. Un diagnostic neutre et approfondi aurait sûrement révélé des déficiences si graves qu'elles ne permettraient nullement de rêver d'atteindre de pareils objectifs. De quelles doctrines efficaces disposons-nous ? Les pays anglo-saxons croient aux vertus du marché plus que tout autre. La vaste majorité des activités relèvent du secteur privé. Même les activités de service public (eau, nettoyage, transport urbain) sont sous-traités au privé. Ce modèle a quelques avantages, mais n'est nullement pertinent pour notre pays. Nous ne pouvons pas vivre avec les inégalités qui en résultent. Le modèle social-démocrate tolère que des activités stratégiques ou de service public soient détenues par diverses formes d'entreprises publiques. Le secteur privé est dominant, mais le niveau de concertations entre pouvoirs publics et agents économiques (syndicat, patronat) est impressionnant. Mais c'est un meilleur partage des ressources qui constitue l'essence du système. Par ailleurs, les politiques de transparence et de responsabilisation sont exemplaires. Mais sans nul doute, les politiques qui peuvent nous inspirer le plus nous parviennent de Chine. Il serait intéressant d'analyser plus en profondeur ce modèle. Il est étonnant qu'un pays aussi autoritaire, fort éloigné des principes démocratiques, arrive à nommer des managers super compétents pour gérer des entreprises publiques qui savent conquérir des marchés mondiaux. Mais la Chine a une doctrine qu'elle applique. Mis à part une centaine d'entreprises stratégiques, le pays n'assainit pas ses entreprises publiques inefficaces. Il ne gaspille pas ses ressources à raviver des entités impossibles à faire fonctionner efficacement. Il introduit une contrainte de taille dans le mode de fonctionnement des entreprises. Les entreprises inefficaces ne sont pas autorisées à gaspiller les ressources des citoyens. Nous avons beaucoup à apprendre d'un tel système. Comment une nomenklatura au pouvoir arrive à ériger un système public et un secteur privé aussi efficaces. Certes, les autorités privatisent graduellement leurs entreprises. Mais force est de constater qu'elles ont pu faire coexister côte-à-côte des entreprises publiques et privées d'une très grande efficacité. Il ne faut pas non plus idéaliser le pays. Beaucoup de poches de misère et de corruption subsistent. Le non-respect des droits de propriété est légion. La misère est énorme dans certaines contrées. De nombreux défis attendent les décideurs. La Chine et l'Algérie se prévalent du même principe : ne pas faire de distinction entre les entreprises publiques et privées. Mais les chinois arrivent à le faire respecter et le matérialiser sur terrain. Jusqu'à présent, nous n'avons pas pu le faire. Les décideurs chinois arrivent à choisir des dirigeants d'entreprises publiques super compétents qui mettent en place une culture gagnante. Les injonctions politiques qui gaspillent les ressources et qui sont légion chez nous sont minimes chez eux. Le parti communiste conçoit ces principes politiques et économiques, puis arrive à les faire respecter. Ces orientations existent dans nos textes de loi (autonomie des entreprises économiques) mais toujours contredites par les pratiques journalières. Le mode de fonctionnement politique est très différent. Pourtant, nous sommes plus pluralistes qu'eux. Les théoriciens des sciences politiques savent qu'il y a une différence entre le pluralisme et la démocratie. On apprend également qu'il y a une différence entre le pluralisme et l'autoritarisme. Parfois, ce dernier fonctionne mieux que le premier.