Nous sommes encore en train de procéder à un énième assainissement des entreprises publiques. Les premiers avaient produit de piètres résultats. Cette dernière tentative a-t-elle des chances de réussir ? Nous verrons que la probabilité de succès est infinitésimale. Nous n'avons pas de statistiques fiables sur les coûts des assainissements, en y incluant les crédits non remboursés moins les coûts des sujétions des pouvoirs publics. Si on prenait la période de 1990-2013 les estimations varieraient de 70 à 160 milliards de dollars, un intervalle trop grand pour mener des analyses de coûts bénéfices appropriées. Mais travaillons avec l'estimation minimale pour ne pas être trop alarmiste. Je voudrais attirer l'attention sur un fait : nous sommes l'un des rares pays au monde où se produisent des assainissements faramineux à fonds perdus et avec des méthodologies inefficaces. La Chine assainit rarement et exceptionnellement ses entreprises publiques. Quand elle le fait -uniquement pour des entreprises stratégiques- toute la réingénierie managériale des redressements d'entreprises est déployée. Nous ne pouvons pas nous prévaloir des pratiques des ex-pays de l'Est pour justifier l'injustifiable. Les pays développés agissent parfois par le biais de deux mécanismes : les garanties des crédits auprès des banques et la prise de participation avec revente d'actions après le redressement. On n'agit jamais à fonds perdus. L'Etat américain a gagné de l'argent suite à son intervention pour sauver General Motors. Des coûts énormes et des retombées insignifiantes A supposer que l'ensemble des crédits non remboursés et les assainissements du secteur public aient coûté uniquement 70 milliards de dollars. Ceci dit, nous aurons besoin de plus de transparence, de statistiques fiables et de simulateurs pour gérer correctement notre économie. Sinon la querelle des chiffres remplacera l'analyse et la recherche d'alternatives. Les données également sur la valeur ajoutée totale du secteur public ne sont pas connues avec précision. Les estimations varient entre 11 à 20 milliards de dollars. L'emploi se situerait autour de 480 000 personnes travaillant dans le secteur public économique. Plusieurs assainissements plus tard, les emplois sont toujours menacés et le taux d'utilisation des capacités trop bas, environ 55%. Il y a deux questions principales qu'il convient de se poser : Aurait-on pu faire mieux avec les ressources utilisées ? Comment traiter ces entreprises pour ne pas perdre les emplois et l'outil de production ? Les solutions existent. Personne ne sait qui les a inventées. La Chine et la Pologne les ont merveilleusement appliquées. Ces deux pays se portent bien. Leur secteur public se rétrécit mais demeure efficace. En premier lieu, les 70 milliards de dollars utilisés, injectés dans de nouvelles entreprises diversifiées et utilisant les outils de l'économie de la connaissance, auraient permis de créer au moins 3 millions d'emplois et une production d'au moins 60 milliards de dollars. Ces estimations sont minimalistes. Nous avons donc détruit 3 millions d'emplois productifs et durables pour sauvegarder 480 000 emplois fragiles et peu productifs. Nous avons aussi gommé une production de 60 milliards de dollars diversifiée pour garder 20 milliards de dollars, par an. On perd donc chaque année 40 milliards de dollars de production et 30 milliards d'importations. Nous pouvons expliquer, en grande partie, par ce phénomène, le chômage des jeunes, les «harragua», l'importation, la dépendance alimentaire et des tas de fléaux sociaux. Il y a d'autres problèmes économiques plus sérieux encore : les sous-qualifications humaines, le sous-management des entreprises et des institutions à but non lucratif, les subventions, le climat des affaires, etc. Mais nous avons là une des pratiques les plus destructives de l'économie nationale. Alors, qu'est-ce qu'il convient de faire ? Nous pouvons commencer à édicter les principes de base qui doivent conditionner les politiques publiques : Principe 1. L'Etat définit les entreprises stratégiques (une trentaine au maximum) à gérer selon les modalités appliquées aux entreprises publiques en économie de marché (nous avons édicté déjà ces principes dans d'autres rubriques) ; Principe 2. Pour le reste, l'Etat ne fait aucune distinction entre le secteur public et le secteur privé. Les entreprises efficaces sont aidées, financées et soutenues. Celles qui accumulent des déficits doivent partir en faillite ; Principe 3. Lors de la mise en faillite d'entreprises, l'Etat met en place un fonds de restructuration pour garantir que d'autres entreprises efficaces (publiques, privées, les membres de l'entreprise eux-mêmes ou une combinaison des trois) récupèrent l'outil de production. Aucun travailleur ne doit rester sans ressources jusqu'à son positionnement dans un poste d'emploi productif, au moins de même rémunération. Au lieu de jouer sur la peur des gens pour dilapider des deniers publics, l'Etat leur assure un revenu puis un emploi ailleurs. Nous devons former plus d'experts et d'entreprises spécialisées dans ce domaine. Ainsi, on débloque psychologiquement cette crainte de perdre l'emploi ou de perte de l'outil de production. Si on avait déployé une telle approche, le fonds de restructuration aurait absorbé jusqu' à 7 ou 8 milliards de dollars. Mais on aurait créé 3 millions d'emplois, réduit de plus de 50% les importations et produit annuellement 40 milliards de dollars en plus, selon des estimations minimalistes. Personne ne perd. Les employés garderont un emploi. L'outil de production sera repris. De nombreux pays en transition appliquent avec bonheur ces principes. Pourquoi pas nous ? Pourquoi désire-t-on toujours être une exception mondiale ? Sauf que cette exception se conjugue toujours avec un échec. Par ailleurs, lorsqu'on assainit une entreprise, on lui applique toujours une technique de réingénierie managériale très pointue qui consiste à changer profondément sa culture. Il s'agit de pratiquement «créer» une nouvelle entreprise à partir de ce qui resterait de la première. C'est une transformation radicale. Les contrats de performance représentent le 1/10 000 de la méthode. Les changements qui sont proposés pour nos entreprises assainies sont dérisoires. Il y a une chance sur dix milliards que la dernière opération réussisse. Autrement dit, cela relèverait du miracle. La faute n'incombe ni aux managers ni aux travailleurs mais à la méthodologie globale du management du secteur public qui perdure depuis des décennies.