-Les enfants handicapés mentaux ou moteurs souffrent d'un manque flagrant en matière de prise en charge. En tant qu'éducateur spécialisé, quel constat en faites-vous ? Il y a un déficit flagrant en termes de centres pour enfants malades, mais aussi en matière de méthodologie de prise en charge. Il y a aussi un problème de mentalités. J'étais éducateur spécialisé en arts lyriques grâce à une louable initiative de la Direction de la Jeunesse et des Sports d'Alger qui, en partenariat avec les CHU dont celui de Parnet (Hussein Dey), a mis en place des unités de loisirs pour enfants hospitalisés. J'ai mené, dès 1997, une première expérience avec des équipes multidisciplinaires dans la prise en charge des enfants hospitalisés et personnes en difficultés à travers des ateliers créatifs et des sorties. Il s'agissait surtout de changer le cadre de vie de ces enfants et de faire de l'hôpital un lieu de vie en organisant des sorties, des distractions et des visites thématiques. Exemple : avec l'utilisation de la musique comme moyen thérapeutique. Mais le premier combat que j'ai dû mener malheureusement c'était contre le personnel hospitalier. On sentait une réticence à tout ce que nous faisions. Heureusement, on a eu la chance d'avoir le soutien du professeur Laraba, le chef de service pédiatrie, qui était convaincu du projet. Il nous avait encouragés, facilité la tâche et nous a permis l'insertion dans l'équipe. -Vous avez parlé de musique comme technique de soin. Justement, qu'est-ce que la musicothérapie ? Il s'agit de l'utilisation des chants, de l'écoute, des bruitages et des sons comme moyens thérapeutiques pour les malades chroniques, en difficulté psychologique et même pour les cas de traumatismes dus à des situations familiales compliquées ou d'échec scolaire. La musique interpelle les facultés physiques et mentales et éveille les sens. Ce n'est pas pour rien que la table de multiplication ou l'alphabet s'apprennent en chantant. Même dans les écoles coraniques, on apprend la récitation avec un air, car c'est ludique. La musicothérapie comprend plusieurs activités. Il y a le chant qui est un texte linguistique. A travers des chansons thématiques, on enrichit le lexique et le vocabulaire de l'enfant handicapé. C'est de la rééducation orthophonique. L'air travaille l'audition, le rythme, la synchronisation et la coordination. C'est très efficace pour une personne qui souffre d'arythmie. Dans le cadre d'une chorale par exemple, l'enfant apprend à interagir avec l'autre. C'est efficace contre les replis sur soi, le refus de l'autre, l'échec et la peur. Il y a aussi l'instrumentation. Jouer d'un instrument comme la flûte par exemple renforce la motricité fine et générale. C'est de la psychomotricité fine de précision, une sorte d'ergothérapie. C'est connu, la musique favorise le travail de mémoire, tous les sens sont interpellés et la concentration est de rigueur. Il y a essentiellement deux types de musicothérapie. La réceptive, où le patient est consommateur d'un produit musical dans le cadre de la relaxation au niveau des services de psychiatrie par exemple. Et l'active, où le patient est acteur et producteur de sons. Il s'agit de travailler la psychomotricité fine, c'est-à-dire mettre en éveil toutes les facultés et les sens du patient. -Comment devient-on musicothérapeute ? Les utilisateurs de cette méthode sont des musicologues et psychologues qui ont des formations dans ce sens. Ce sont généralement des éducateurs spécialisés avec des connaissances approfondies en musique et arts lyriques, plus des connaissances en pathologie. Moi, par exemple, j'ai 17 ans de pratique. Je suis éducateur spécialisé en arts lyriques et psychotechnicien. J'ai bénéficié d'une formation initiée au niveau de l'Ecole des Paramédicaux de l'hôpital Parnet en collaboration avec Handicap International. En plus, je suis professeur de musique issu du Conservatoire d'Alger. -Vous êtes président de l'association Chams qui prône l'art-thérapie et qui met surtout en avant la musicothérapie ; quelle est la méthode que vous utilisez ? J'ai instauré une approche thérapeutique personnelle, car dans le domaine il n'existe pas réellement de modèle thérapeutique mais plutôt des expérimentations. La première étape de ma méthode est ludique. C'est-à-dire la mise en place de la confiance entre les membres de l'association et les enfants. On mise surtout sur le relationnel et l'observation à travers des jeux sans interdits. La deuxième étape est la thérapeutique. A ce stade, on choisit le projet artistique pour le patient en fonction de sa pathologie et de sa personnalité pour rééduquer ses difficultés. La troisième étape est dite artistique. Ce n'est pas pour faire des patients des artistes affirmés, mais c'est la phase thérapeutique par excellence où on aborde l'artistique avec sérieux. La concurrence, la compétitivité et l'exigence d'un produit artistique valorisent ces enfants. On a participé avec notre chorale à différents événements culturels nationaux et internationaux. Les prestations de l'équipe ont remporté de francs succès. On accorde beaucoup d'importance à la qualité du spectacle. La chorale de Chams n'attire pas la pitié des spectateurs mais plutôt leur admiration. Ces enfants et adultes en difficulté exécutent avec qualité des œuvres classiques du répertoire national et universel avec beaucoup de sérieux et de rigueur. -Si on vous demandait d'établir un bilan des résultats de votre méthode, que diriez-vous ? Cela donne d'excellents résultats quand le projet thérapeutique adopté est efficace. Je vous donne juste quelques exemples et faites le bilan vous-même. Le meilleur joueur de mandoline dans la classe supérieure, qui compte des universitaires, des amis et des parents est un trisomique, Abderrahmane. Trois trisomiques qui ont suivi la méthode et évolué dans l'association encadrent aujourd'hui les nouveaux arrivants avec nous. Une population de trisomiques ou d'autistes qui joue de trois voire quatre instruments de musique et qui sont des solfégistes avec des notions scientifiques, c'est un résultat époustouflant. Un jour, lors d'un concert joué par l'orchestre de Chams, la maman d'un autiste à laquelle on demandait de désigner son enfant a répondu : «Mon fils c'est le pianiste». Elle s'est étonnée elle-même de ne plus le désigner comme un handicapé. Il n'était plus l'autiste, mais l'artiste. Et c'est cela notre premier objectif. Il s'agit avant tout d'assurer l'intégration et l'autonomie à ses personnes à travers nos espaces d'activités, de rencontres et d'échanges pour surpasser les difficultés. C'est la sociabilité et la socialisation des enfants à travers l'art qui reste un outil rassembleur. -Revenant à Chams ; comment définiriez-vous l'association ? C'est une association à caractère culturel qui a vu le jour en 2008. Elle dispense des méthodes de soin basées sur les arts thérapeutiques. Chams n'accueille pas que des enfants handicapés, c'est en fait une mini-société qui comprend aussi bien des trisomiques, des autistes, des parents et des amis de tous âges. Notre but est de changer le regard de la société sur le handicap. L'association est constituée de 23 membres dont une dizaine d'encadreurs. Nous avons trois classes et trois niveaux de prise en charge en fonction des pathologies et des besoins. Il n'y a pas de durée précise de la prise en charge. On assure également une formation diplômante en aquariophilie sanctionnée par une attestation d'Etat. Cette formation se déroule au niveau du Jardin d'Essai et de la pêcherie d'Alger. Pour le planning des activités et des ateliers, la fréquence moyenne est de 4 fois par semaine dans des plages horaires aménagées au niveau de la maison de jeunes de Kouba. Une dizaine d'activités est proposée tels la musique, le théâtre, l'expression plastique, l'atelier d'expression, le sport, la danse et l'expression corporelle, la piscine, l'aquariophilie, les sorties et excursions pédagogiques. On organise également des actions humanitaires comme les sorties vers les centres hospitaliers ou spécialisés pour les fêtes et journées internationales. L'enfant est généralement orienté par le secteur médical ou le bouche à oreille vers Chams. On a en moyenne 200 enfants toutes pathologies et tous âges confondus. Entre 40 et 50 sont même sur liste d'attente. Il y a une forte demande et on ne peut répondre à tous. -Que souhaitez-vous pour l'avenir de ces nouvelles formes de thérapie ? Mon souhait est que la musicothérapie et l'art thérapie ou tous autres types de projets de ce genre soient étudiés et généralisés. Il est malheureux qu'en 2014 la musicothérapie n'est pas reconnue en Algérie. Doit-on rappeler qu'au IXe siècle déjà Avicène (Ibn Sina) utilisait la musique pour soigner ses patients ? Actuellement, sous d'autres cieux, on l'emploie pour le bien-être des plantes et on a constaté que les vaches laitières donnaient plus de lait sous un air de musique. Mais ici, la famille hospitalière (psychiatres et psychopédiatres) sont encore réticents à ce genre de soins.