Montant graduellement en intensité, passant des simples insinuations à propos de prétendues erreurs de procédure, vous en êtes arrivé, dans votre déclaration du 3 février 2014, à franchir un autre cap en prétendant que la justice été instrumentalisée dans ce dossier et, ajoutez vous, dans celui de l'extradition, fin 2013, de A. Khalifa.Cette attitude qui ne suscitait, jusqu'ici, aucune réaction ne peut plus laisser indifférent. Car en donnant, en filigrane, un mobile politique à cette prétendue instrumentalisation de la justice, à savoir contrarier une éventuelle aspiration du président de la République à un nouveau mandat, c'est le ministre de la Justice en charge du secteur, au moment des procédures citées, qui est ainsi interpellé. Interpellé parce que les proportions ainsi données au débat autour de la lutte contre la corruption pervertissent tout le discours politique du président de la République depuis son intronisation au pouvoir, en 1999, et dénaturent gravement la noblesse des missions des institutions légales de l'Etat algérien et à la manière de servir de ses loyaux commis. A cet égard, j'aimerais rappeler que j'ai rejoint M. Bouteflika, en octobre 1998, avec conviction car j'ai toujours lutté pour deux idées essentielles : celle du consensus national et celle de l'Etat de droit. J'ai eu, d'ailleurs, l'occasion d'exposer ces idées dix ans auparavant, dans une interview accordée au journal En Nasr, en février 1989, alors que j'étais procureur général à Constantine et où j'avais déclaré que «le consensus national (el wifak el watani) est la plateforme de toute construction de l'Etat de droit» et où j'avais, pour la première fois, défini les sept axes fondamentaux de l'Etat de droit. Ce n'est donc pas un hasard si Abdelaziz Bouteflika, dès son intronisation comme président de la République, m'a fait l'honneur de piloter, au titre de la présidence de la République, les deux plus importants dossiers, à savoir la concorde civile et la réforme de la justice, et de me confier la lourde charge de traduire cela dans sa politique en me confiant la responsabilité du ministère de la Justice à deux reprises, en 2002/2003 et en 2012/2013, afin d'élaborer un programme complet d'actions normatives (législatives et réglementaires) et d'actions opérationnelles pour les années 2002/2012 à travers une véritable programmation judiciaire et d'en proposer l'approfondissement et la consolidation dans le programme en 2012. Je compléterais ces indications pour dire que je vous ai connu, Si Amar Saadani, lors de la campagne électorale de 1999 et vous savez mieux que quiconque ma loyauté dans l'exercice de mes responsabilités. Vous savez, pour avoir eu à l'éprouver, que ni l'amitié, ni les privilèges, ni les honneurs d'une fonction ne constituent pour moi un motif de renoncement à mes convictions. N'est-ce pas, Si Amar, vous qui êtes venu, le jour même de votre installation à la tête du FLN, me «proposer amicalement de préserver mon poste de ministre de la Justice en m'engageant à extirper M. Chakib Khelil de l'affaire Sonatrach 2 «comme on extirpe un cheveu d'une pâte» (selon votre expression). Ma réponse, vous le savez, fut de fermer mon portable jusqu'à après la fête de l'Aïd El Adha, c'est-à-dire bien longtemps après le remaniement ministériel. En rappelant cela à Si Amar Saadani, je n'insinue nullement qu'il était mandaté par quiconque pour me marchander, car je sais pour avoir appris à le connaître que le président Bouteflika ne marchande jamais les prérogatives de ses ministres, en tout cas pas celles que j'ai eu l'honneur d'exercer, lui qui, se référant parfois au général de Gaulle, rappelle que «tout ce qui grouille et grenouille n'a pas de valeur». Ceci d'autant plus que le président de la République avait solennellement et publiquement apporté son soutien à l'action de la justice dans l'affaire Sonatrach 2 en affirmant sa totale confiance en elle. Faut-il rappeler que depuis 1999, dans pratiquement tous ses discours dédiés, le président Bouteflika a appelé à une lutte implacable contre la corruption, interpellant parfois directement les magistrats pour leur dire de réveiller leurs consciences. Alors, à mon tour de vous demander, Si Amar, si vous êtes conscient que toutes vos déclarations sur la justice comportent implicitement une contradiction au discours et à l'action du président de la République dans la lutte contre la corruption. Ainsi, lorsque vous affirmez, dans d'autres occasions médiatiques, qu'Interpol a refusé d'exécuter les mandats de justice décernés dans l'affaire Sonatrach 2 à cause des erreurs de procédure, vous portez (sans le savoir ?) atteinte à la crédibilité du président de la République. En effet, d'abord, il s'agit là d'une contrevérité puisque par courrier du 3 août 2013, le DGSN avait informé officiellement le ministre de la Justice de l'exécution de tous les mandats, sans exception, transmis par la justice ; ensuite et surtout, il s'agit d'une ignorance car tous les juristes du monde savent qu'Interpol, sous réserve de s'assurer de la qualité de l'autorité émettrice du mandat, n'a pas prérogative de censurer les décisions de justice des pays membres sauf si les autorités du pays émetteur des mandats refusent de donner la garantie que l'extradition sera bien, demandée en cas d'arrestation de la personne objet du mandat. Ainsi, en affirmant faussement que le BCN Algérie refusait de transmettre les mandats d'arrêt, vous mettez en cause, implicitement et juridiquement, les autorités politiques du pays et non sa justice. De même, Si Amar, lorsque vous vous interrogez sur le timing de l'extradition d'A. Khalifa par l'Angleterre, vous insinuez, bizarrement, que cela peut gêner le président de la République alors que, je l'affirme ici de façon responsable, en connaissance de cause et sans violer la réserve qui s'impose dans ce cas, l'extradition de A. Khalifa n'aurait pas été obtenue sans l'investissement personnel du président Bouteflika. Si Amar, vous êtes en train de tirer au jugé, au risque de toucher des cibles amies. Alors, de grâce, arrêtez les dégâts. Le président Bouteflika mérite une solidarité d'une autre dimension. D'ailleurs, il est légitime dans ce cas de s'interroger si réellement votre but est de servir Bouteflika ou même l'Algérie. La réponse ne peut être au moins qu'ambiguë si l'on se réfère à vos attaques contre ceux qui sont en charge de la lutte contre la corruption étrangère qui est traitée par les Etats, de plus en plus, comme une véritable menace pour leur sécurité nationale, au même titre que le crime transnational organisé dont elle est devenue un des segments les plus dangereux et contre lequel la lutte ne peut être menée que par des services secrets qui ont, seuls, vocation et aptitude à enquêter à l'étranger. L'intérêt de tout Etat est donc de renforcer les capacités et les compétences de ses services secrets dans la lutte contre la corruption, particulièrement celle étrangère. A cet égard, j'aimerais rappeler que des enquêtes économiques ont toujours été menées par les services secrets depuis l'indépendance de notre pays, sauf que les affaires étaient présentées à la justice par la police judiciaire de la Gendarmerie nationale. Il a fallu attendre 1990 pour qu'un groupe de travail sur la restauration de l'autorité de I'Etat, mis en place au niveau du ministère de la Justice sur instruction du chef de gouvernement, le défunt Kasdi Merbah, propose, parmi ses recommandations, d'attribuer légalement aux officiers et agents nommément désignés par les services la qualité d'officiers et d'agents de police judiciaire, ce qui introduisait alors, pour la première fois, la transparence et permet désormais le contrôle de la justice sur les enquêtes des services ce qui constitua, en son temps, une avancée dans l'édification de l'Etat de droit. La mise en place d'un véritable service de police judiciaire au niveau des services, sous la mandature de A. Bouteflika, fut une consolidation de cette démarche d'édification de l'Etat de droit. Bien sûr, l'histoire n'est jamais linéaire et l'évolution des idées et des faits est toujours marquée par des corrections dans un sens ou dans l'autre. L'histoire, quant à elle, retiendra les causes qui en ont produit l'effet. Celles de Kasdi Merbah furent, après les événements d'Octobre 1988, l'érosion de l'autorité de l'Etat qu'il fallait rétablir. Ceux des compagnons, dont Bouteflika n'aura pas à rougir devant l'histoire, doivent agir pour que la phase cruciale que vit notre pays soit la plus féconde possible en progrès dans la construction de notre jeune Etat. Ils constituent la «bitana essaliha» qui, seule, a la force morale et la compétence requises pour dire à un Président son avis sur tel ou tel choix de gouvernance, comme cela est le cas dans tous les grands pays. Pour éviter tout amalgame suite aux propos qui précédent, j'ai décidé de ne plus accepter aucune fonction officielle auprès du président Bouteflika à l'avenir. Le soutien libre que je lui apporte aujourd'hui n'est donc que la suite logique de mon engagement à ses côtés depuis 1998 et que j'assume pleinement. Si Amar, Bouteflika, n'appartient à personne, à aucun parti ; il appartient au peuple qui l'a élu et lui seul a la responsabilité historique de décider de son avenir. Nul ne peut douter de son intelligence et de son patriotisme, et M. Bouteflika saura, lui seul, en son âme et conscience, le moment venu, fixer les paramètres de sa trajectoire future. En me mettant, ici, du côté de M. Bouteflika, contre les effets néfastes de vos sorties, ce n'est pas seulement par devoir citoyen envers le Président de mon pays, mais parce que je suis convaincu qu'une agrégation d'autant de bévues chez un seul homme en un laps de temps si court s'apparente à un forçage de mandat, si mandat il y a. Ceci autoriserait alors de supposer l'existence d'un mobile caché qui dépasse celui du soutien à un autre mandat pour le Président et laisse place à toute interrogation quant aux véritables motivations. En attendant, l'Algérie est dans l'œil du cyclone, entourée qu'elle est par tant d'instabilité extérieure qui la menace par contiguïté et par des tensions internes propres à toute période précédant une élection présidentielle. Cela commande à tous, à tous les niveaux et partout, de faire preuve de sérénité, de préserver notre terre nourricière et de contribuer à instaurer une véritable culture du dialogue. La classe politique, les partis, notamment ceux qui ont eu l'occasion de solliciter les suffrages du peuple, doivent dépasser leurs propres intérêts pour préserver l'essentiel, qui est l'avenir des générations futures. A cet égard, le FLN a une responsabilité particulière pour jouer un rôle de pondérateur dans ce climat et réduire l'emballement qui semble affecter les rapports sociopolitiques. L'histoire est implacable. Si Amar, je m'adresse à vous sans présupposés car je vous fais bénéficier, en cette étape, de la présomption d'innocence ; mais je sais que j'aurais de la peine à me le justifier, surtout lorsque je me réfère à vos attaques contre les grands commis de l'Etat, magistrats et membres des services de sécurité. Je ne prendrais comme exemple que la criminelle agression contre notre pays, à Tiguentourine, que vous évoquez avec désinvolture, méprisant le rôle vaillant de nos soldats et de nos services spéciaux qui ont su repousser l'agression et mettre fin à la prise d'otages avec une compétence et une maîtrise qui ont soulevé l'admiration et la gratitude des plus exigeantes capitales du monde. Dans cette épreuve, j'ai eu le privilège et la joie de vérifier, en temps réel et en direct, dans le cadre d'une coordination centrale et locale, combien les responsables de notre valeureuse ANP avaient le souci de sauvegarder des vies humaines et de respecter, autant que faire se peut, les règles du droit humanitaire international, alors que les conditions physiques et humaines de l'intervention étaient très complexes. Dans cette opération, nos militaires se sont chargés du coup de feu, comme on dit, et ont totalement fait confiance à la justice pour gérer l'aval de l'opération. Cette coordination fut d'ailleurs consacrée par une lettre du chef d'état-major de I'ANP, M. Gaïd-Salah, au ministre de la Justice pour lui confirmer que l'ANP est derrière sa justice et appuie toutes ses décisions. Cette lettre constituera, à n'en pas douter, un document témoin de la consolidation de l'Etat de droit dans notre pays. Alors, Si Amar, cette mise à l'index de nos services spéciaux s'apparente plus à un regret du succès de nos forces armées qu'à un souci de sécurité nationale. Cela me rappelle ce journal d'un pays voisin, au début des années 1990, qui titrait alors, à la une, comme une délectation, «L'Algérie est devenue une impuissance régionale». Alors, Si Amar, est-ce ce rêve déçu que vous aimeriez voir se rééditer ? J'ai eu l'occasion d'exprimer la gratitude du ministre de la Justice à tous les chefs des services de sécurité engagés dans l'opération de Tiguentourine ; je la réitère, aujourd'hui, en tant que citoyen fier de son armée, fier de sa Gendarmerie nationale et de sa police, fier des services secrets de son pays. Quant à vous, Si Amar, je vous conseille amicalement de bien lire l'article 75 du code pénal avant de vous lancer dans de nouvelles diatribes car, en raison de vos fonctions éminemment influentes à la tête du FLN, vos paroles seraient susceptibles de tomber sous sa qualification. Ce qui devrait vous conduire à conclure de vous-même si, oui ou non, vous faites jusque-là un bon usage de votre responsabilité à la tête du FLN lequel, fondé par nos pères pour être le bras politique conduisant la Révolution armée en symbiose avec l'ALN, ne saurait se transformer, sans reniement, après l'indépendance recouvrée, en instrument d'atteinte à notre ANP. Fraternellement.