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L'homme, la société et l'islam, selon Rédha Malek
Publié dans El Watan le 12 - 02 - 2014

Intitulé L'empreinte des jours, cette œuvre me rappelle étrangement sur le plan de la forme une œuvre de Taha Hussein, l'écrivain égyptien, El Ayyam (Les jours) où l'auteur égrène ce que la succession des jours a fait de lui. Elle me rappelle également, mais cette fois sur le plan du fond, Les pensées de Pascal, le philosophe, ainsi que Les maximes de La Rochefoucauld, tous deux écrivains français.
Ce rappel me permet d'affirmer que la lecture de l'ouvrage de Rédha Malek nous révèle un homme de haute culture, inspiré par les civilisations musulmane et occidentale. Les événements qui se sont succédé de 2004 à 2012 ont inspiré à notre auteur une réflexion profonde sur l'homme, sur les rapports entre les hommes, sur la société, sur les religions, sur les civilisations, mais aussi sur l'Algérie, sa Révolution et son devenir.
Rédigé après sa retraite de l'activité politique, cet ouvrage est donc le fruit d'une longue expérience, depuis son jeune âge : expérience qui lui a fait porter de lourdes responsabilités, mais qui lui a permis de se confronter aux grands de ce monde.
D'une lecture agréable et reposante, cette réflexion nous fait découvrir, petit à petit, la complexité de ce que fut pour l'opinion publique Rédha Malek et nous permet de mieux le connaître et le situer. Pour lui, trois thèmes principaux ont inspiré cette réflexion : la religion, le pouvoir et l'éthique. Dans l'avant-propos, nous lisons : «En parcourant ces textes, l'on constatera que trois thèmes majeurs s'en dégagent : la religion, le pouvoir, ainsi que le principe éthique, lequel, en s'intriquant dans les deux premiers, révèle du coup son importance cardinale».
Au-delà de ces thèmes, dégagés par l'auteur lui-même, il nous plaît de signaler que cet ouvrage contient des maximes qui, incontestablement, devraient servir de sujets à dissertation dans nos lycées. Nous allons en citer quelques-unes, au hasard, pour souligner leur importance. Page 144 : «L'arrogance tue le mérite» ; p 145 «En toute chose, sois d'abord ton propre juge. Agis en conscience et ne te fie pas trop au jugement des autres».
Ces deux maximes révèlent la modestie de l'auteur et sa simplicité .Une autre maxime nous apprend sa retenue et sa correction : «L'insulte est une vulgarité qui rabaisse celui qui la profère et pas forcément celui à qui elle s'adresse». A la page 210, nous découvrons le démocrate : «Je respecte l'autre pour lui-même. Je ne le connais pas, mais je m'imagine à sa place et l'imagine dans la mienne». A la page suivante : «Ne jamais faire état de ses mérites. S'ils sont réels, les autres, d'une façon ou d'une autre, s'en chargeront.» Et celle-ci : «La meilleure reconnaissance est celle des autres et non celle qu'on a pour soi.»
Ce sont là quelques maximes parmi beaucoup d'autres qui jalonnent l'ouvrage. Elles nous interpellent : elles nous permettent de mieux connaître l'auteur. Incontestablement un homme sage, correct, éduqué, à l'écoute d'autrui, un démocrate.
Un démocrate ? Certains le critiquent sur ce plan. Voyons comment il conçoit la démocratie. A la page 150, on lit : «La démocratie, ce n'est pas le refuge de la rue, mais celui de la citoyenneté, pas de démocratie sans citoyenneté et pas de citoyenneté sans éducation civique. L'esprit civique ne s'oppose pas à la foi religieuse, mais il ne lui est pas subordonné. Il balise par des lois la volonté d'une collectivité donnée de vivre ensemble, c'est-à-dire de constituer une nation.» La démocratie, ce n'est donc pas le populisme, la rue. C'est la citoyenneté, c'est l'éducation civique.
Ce n'est plus le penseur, le philosophe qui s'exprime, mais l'homme d'action, celui qui était engagé dans la responsabilité politique à un moment difficile de l'histoire de notre pays. Rédha Malek croit-il en la volonté populaire ? Apparemment non ! Puisque cette volonté doit être éduquée pour devenir citoyenne. Ce sont des étages que la société algérienne ne connaît pas encore. Pour Rédha Malek, la démocratie, chez nous est en «formation».
Son expérience de chef de gouvernement lui a permis de mieux connaître les rouages de l'Etat, par conséquent de porter des jugements sur son fonctionnement. A la page 148, on lit : «Mais là où l'Etat-nation est à parachever, la nation de citoyenneté est loin d'être acquise, le principe éthique est plus que jamais requis dans toute démarche de l'Etat. Il joue un rôle fondateur dans l'édification nationale… L'absence de ce principe éthique est grave.» «Au lieu d'ouvrir des perspectives lumineuses à la nation, dit-il, il réveille en elle les germes de la régression et de la dégénérescence.»
Cette pointe de pessimisme nous découvre les rapports de Rédha Malek avec les différents pouvoirs en Algérie et particulièrement avec l'armée. A la page 149, on lit : «Constitution : le problème n'est pas de renforcer les pouvoirs du président de la République ou d'élargir au contraire ceux du chef du gouvernement. Le problème est de dénouer d'abord les rapports armée-pouvoir civil. Tant que ces rapports sont de l'ordre de la subordination de l'un à l'autre, l'Etat continuera de boiter et les institutions politiques resteront de façade. De quel droit l'armée monopolise-t-elle le pouvoir, si ce n'est par la force ? Même en étant héritière de l'ALN et donc d'un instrument prestigieux de la Révolution, elle ne saurait exciper d'une légitimité obsolète. »
Ceci est clair ! On a toujours cru que Rédha Malek est manipulé par l'armée. Or, ce passage nous révèle un homme qui porte un jugement lucide sur les rapports de l'armée avec le pouvoir. C'est ainsi que la lecture de cet ouvrage nous fait découvrir un Rédha Malek différent de celui que la presse écrite nous a longtemps présenté. Ce que l'opinion publique connaissait de Rédha Malek est qu'il était au service des pouvoirs en place et que c'était un éradicateur, adversaire de l'islamisme. Qu'en est-il au juste ? Sur la définition de l'islamisme, voici ce que dit Rédha Malek, p 16 : «Les terroristes, soi-disant musulmans ? Al mutaslimoune serait plus exact qu'islamistes». L'auteur juge donc inapproprié d'utiliser le terme «islamiste», «islamisme».
Connaissant bien la langue arabe, Rédha Malek préfère utiliser le terme de «muta'slimoun», qui signifie a contrario étranger à l'islam ou soi-disant musulman comme le précise l'auteur lui-même. Pour ce dernier, l'islamisme est le contraire de l'islam. «Ce ne sont que des terroristes musulmans, dit-il, mais des terroristes qui prétendent agir au nom de l'islam». «L'islamisme politique, ajoute-t-il, p 21 prend la figure fatale d'une ‘‘force qui va'', une force aveugle dans son impétuosité devant laquelle la froide raison reste muette». Rédha Malek va plus loin : «Reprocher aux Occidentaux de faire l'amalgame entre terroriste et islam, tombe à côté de la plaque, car il ne s'agit pas d'actes terroristes qui sont musulmans, par accident, mais par choix délibéré et identification catégorique. Reste aux autres musulmans — les Etats, etc. — de se démarquer de cet islam sanguinaire…».
L'auteur ajoute par ailleurs que «les intellectuels arabes», tels qu'ils apparaissent dans leurs livres ou à travers leurs articles de presse ne donnent pas l'impression de grande fermeté. On dirait qu'ils ont peur d'être taxés de radicalisme ou de passer pour des «éradicateurs». Le terme est prononcé, Rédha Malek semble assumer le qualificatif d'éradicateur, mais éradicateur contre ces faux musulmans qui s'apparentent à l'islam qu'ils ne représentent pas du tout. Ceci est très clair. Dans ces conditions, cet islam, quel est donc sa véritable configuration pour Rédha Malek ? La réponse est dans la page 62 : «J'ai toujours pensé l'islam, dit-il, bien avant l'UGEMA en distinguant trois niveaux :
1) religiosité et destin de la conscience individuelle ;
2) culture et civilisation ;
3) idéologie globale synthétisant les deux premiers avec la dimension politique…».
En parlant de l'islam, Rédha Malek est toujours obnubilé par l'islam politique. Cette difficulté nous amène à voir ce qu'il pense de trois autres notions se rapportant toujours à l'islam, c'est-à-dire le Coran, la foi et Dieu.
A la page 215, voici ce qu'il dit du Coran : «Extrême beauté du Coran tant dans la forme que dans le fond. Un musulman cultivé ne devrait pas s'en passer. Le sentiment comme la raison y invitent. A la limite, même une foi perdue ou chancelante n'en dispense pas.» La lecture du Coran ? une nécessité pour Rédha Malek. Mais pourquoi parle-t-il d'une foi chancelante. «La foi, dit-il, n'est pas certitude, vérité apodictique, elle est un acte de confiance, pourrais-je dire, dans la nuit». Confiance en la nuit n'est pas une certitude absolue, naturellement. Et Dieu ? «La crainte de Dieu, dit-il, n'est pas la crainte de l'enfer, mais un signe du respect infini de la majesté incommensurable de Dieu. C'est ce qui confère à la piété son sens. Sur le plan du culte, la crainte de Dieu s'affirme dans sa contemplation, dans la prière désintéressée adressée à Dieu en tant qu'Etre suprême dont l'existence seule est une bénédiction pour le cœur humain».
C'est beau, profond. C'est le philosophe qui parle. Un philosophe croyant. D'ailleurs, voici ce qu'il dit de l'athéisme, p 230 : «L'athéisme qui s'étale comme dans cette tentative de le populariser tel un produit de large consommation en l'inscrivant sur des bus publics à Londres, ou à Berlin. Cet athéisme, pour moi, a un côté obscène insupportable. Le dévergondage de l'esprit qui se rengorge d'impiété en se revendiquant dans sa pure nudité, ne me semble pas si intelligent. L'athéisme émancipateur ? Il est plutôt à la vie spirituelle ce que la pornographie est à l'art.» C'est édifiant, n'allons pas plus loin ! Rédha Malek n'est pas celui que certains journaux n'ont pas cessé de nous présenter.
Pourquoi donc cet acharnement de la part de cette presse ? La réponse est que Rédha Malek n'est pas tendre à l'égard des charlatans musulmans ou des sociétés musulmanes dans leur configuration actuelle.
Tout d'abord, il fustige les intellectuels musulmans : «Le problème aujourd'hui, dit-il p 11, n'est pas de produire des penseurs pieux, avides de défendre l'islam en mettant en relief ses valeurs humanistes, civilisationnelles, universalistes, etc. mais d'accéder à une pensée qui se pense elle-même, une pensée qui évolue dans sa sphère propre, une pensée autonome qui pense dans le radical et qui travaille dans le fondamental.» «En attendant l'émergence d'une pensée philosophique structurée dans le monde de l'Islam, ajoute-t-il, il est permis d'affirmer que l'ébullition qui y est à l'œuvre actuellement constitue les prémisses d'une belle pensée».
Cette pensée est donc en formation. Rédha Malek est-il optimiste ? Pas du tout, il n'oublie pas ses adversaires. «C'est ainsi qu'au nom de la pensée islamique, se forment les nouveaux ‘‘dou'at'' imbus de formules telles que ‘‘L'islam, c'est la solution''»…. Le réductionnisme de la pensée à une pensée islamique mal pensée, mal assimilée se répandant à coups de slogans explosifs, finit par susciter le fanatisme et à nourrir un prosélytisme qui, à notre époque, s'avère manipulable à volonté et vulnérable à toutes les infiltrations. Pour Rédha Malek, cette déviation est un danger qu'il faut combattre par une «désidéologisation de la religion en combattant les sophismes répandus sur son compte. Seul le développement d'une pensée autonome ferait contrepoids à l'idéologie obscurantiste et remplirait le vide intellectuel qui a fait son lit».
Ce qui amène Rédha Malek à parler du rapport de l'islam avec la modernité. «Ce qui nous ramène, dit-il p 45, au débat non encore
dénoué : islamiser la modernité ou moderniser l'islam..» «Le problème est vraiment à résoudre de toute urgence, ajoute-t-il, reste la manière dont l'islam doit être modernisé par l'introduction de réformes efficaces.»
Ainsi, le diagnostic est posé, les solutions envisagées. Il est souhaitable que Rédha Malek consacre a ce diagnostic et à ces solutions plus de détails et un développement plus ample. Incontestablement, il ne se situe pas en dehors de la sphère islamique. Ses critiques acerbes ne sont que des stimulants encourageants. Rédha Malek est un moderniste, un rationaliste, un philosophe croyant, un musulman comme tous les autres musulmans. Pour lui, «penser, n'est pas rêvasser. Ce n'est pas non plus un jeu stérile, un exercice prétentieux en pure perte. Il permet, au contraire, d'analyser nos volitions, nos comportements, pour mieux comprendre la vie». C'est là le combat qu'il faudra mener : «Comprendre la vie».
Peut-être avons-nous finalement bien compris Rédha Malek. Son ouvrage, qui compte 485 pages, nous a aidés à mieux entrevoir ses rapports avec l'islam. D'autres aspects de sa personnalité restent à découvrir par la lecture de cette œuvre, ô combien enrichissante.


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