Nebil Karoui, directeur de la chaîne de télévision tunisienne Nessma TV, est venu à Alger accompagné de Tarak Ben Ammar, le célèbre producteur de cinéma tunisien, et de tout le staff de Ness Nessma, le talk show, marque de fabrique de la chaîne, relancée depuis juin 2009. Il a animé hier une conférence de presse pour présenter les nouveaux programmes d'une télé qui aspire à être celle du « Grand Maghreb ». Rencontré à Alger, Nebil Karoui explique les grandes lignes de sa stratégie de conquête d'un marché de 80 millions de Maghrébins. Cinq mois après la relance de Nessma TV, vous annoncez une audience record en Algérie. A quoi est due cette percée ? Nous avons fait une audience de 21% pour les émissions diffusées sur les Verts. L'ENTV faisait 24%. A Oran, nous avons enregistré une audience de 44%, probablement à cause de la présence de Lakhdar Belloumi dans l'émission « Ness Nessma ». Nous avons calculé l'audience les 6, 12, et 23 novembre 2009. Nous avons diffusé trois émissions sur le football. Nessma TV est la chaîne numéro 1 en Kabylie également en raison, peut-être, du langage mixte utilisé, à savoir l'arabe, le français et les dialectes maghrébins. Selon nos études, la chaîne est appréciée par les jeunes et les femmes instruites. Nessma TV est la chaîne satellitaire numéro 1. Nous concurrençons l'ENTV, ce qui est déjà exceptionnel. Nous visons 15% de l'audimat au Maghreb. C'est possible, car nous nous adressons aux cœurs ! On ne peut pas mentir. La vraie naissance de notre chaîne date de juin 2009. Auparavant, ce n'était qu'un tube musical qui n'avait pas d'audience. Oui, mais l'ENTV est une chaîne célèbre par sa médiocrité... Il s'agit de gens qui ont de l'expérience et des moyens, mais qui ont des contraintes aussi. Je les comprends. Peut-être que l'objectif de l'ENTV est un autre que celui d'une chaîne commerciale. Nessma TV revendique ce statut. Une chaîne publique doit véhiculer des messages, éduquer, peut-être que cela ne plaît pas à tout le monde. Elle n'est pas là pour faire du divertissement, elle est là pour un but précis. En Tunisie, vous êtes concurrencé par Hannibal... En Tunisie, Nessma TV a entre 15 et 20% d'audience. Elle est la chaîne satellitaire numéro 1. La concurrence avec Hannibal ou Tunis 7 dépend des programmes et des jours. Parfois, on est télé numéros 1, 2 ou 3. Mais, ce qui est sûr, c'est que l'on est au maximum télé numéro 3. Dans le cœur et dans les programmes marocains, libyens, tunisiens et algériens, on est la chaîne satellitaire numéro 1. Ce qui est clair, c'est qu'on bat la LBC, la MBC, Al Jazeera. Il n'existe aucune chaîne qui reste tout le temps première. Même TF1 en France souffre lorsque de bons matches sont diffusés sur M6. Globalement, Nessma TV est la chaîne numéro 2 ou 3 dans les trois pays maghrébins. Nous sommes bien placés en Libye. Les Libyens lisent les sous-titres et comprennent le dialecte tunisien. Ils se plaignent de leur faible présence à l'antenne. Nous ne sommes pas la chaîne de l'UMA, nous sommes une chaîne commerciale. Un jour où on aura plus de sponsors libyens, on fera plus d'efforts. Des sponsors sont déjà intéressés et bientôt il y aura un opérateur de téléphonie mobile et des industriels du gaz qui vont sponsoriser certains programmes. Au Maroc, nous faisons dans les 10%. Autant parler d'un exploit dans un marché concurrentiel et installé. On bat de loin Medi 1 Sat. La chaîne 2M est la plus moderne du Maghreb et il y a El Oula (RTM). On ne doit pas oublier que nous ne sommes qu'un bébé. Quand je me suis assis avec Berlusconi, il m'avait dit : « Si tu arrives à faire 20% audience au bout de trois ans, tu es un génie. Au bout de cinq, c'est normal. » Nous sommes aujourd'hui en train de les faire au bout de quatre mois... Nessma TV se présente comme une chaîne généraliste, mais elle est surtout dans le segment divertissement. Il y a peu de place pour l'information. Pourquoi ? Il faut avoir les épaules solides pour faire de l'information. Nessma TV ne peut s'aligner sur des monstres de l'info tels que Al Jazeera ou France24. On fera peut-être de l'information de proximité différente. L'information coûte beaucoup d'argent. Sur le plan commercial, cela n'apporte rien, sauf de l'influence. Mais l'influence, on peut l'avoir aussi avec l'entertainment. Lorsque vous faites un show avec Belloumi qui parle de l'équipe d'Algérie, vous avez une audience qui fait dix fois celle d'Al Jazeera. N'existe-t-il pas des contraintes pour traiter des informations ? Dans notre licence, nous avons droit de diffuser des informations. Nous voulons y aller à notre rythme. Le talk show Ness Nessma sera bientôt quotidien et va donc coller à l'actualité avec une revue de presse, une rubrique sur internet, un zapping, une revue culturelle. L'information est présentée sous un autre angle. Ness Nessma va désormais coller à un événement. L'émission de ce vendredi va aborder le thème de la lutte contre le sida. Le jour où on se lancera dans les news, cela se fera avec des journaux de 7 minutes, avec un jeune présentateur portant un jean's. Il n'y aura pas de JT de 30 minutes. D'autres chaînes le font mieux que nous. Nous avons acheté le format Envoyé spécial ; Nous reprenons des épisodes déjà diffusés en France ou des reportages diffusés au Moyen-Orient. Le taux de pénétration de France2 au Maghreb ne dépasse pas les 3%. Donc les gens n'ont pas vu ces reportages. Nous allons travailler pour produire nos propres reportages. Nous diffuserons, par exemple, une enquête par mois. Après, on va évoluer. On peut aborder des sujets comme les harraga, les télécoms, la drogue... On fera des partenariats à l'image de RTL-Le Monde, on peut faire par exemple des émissions en Algérie en collaboration avec El Watan ou avec El Khabar. Idem pour la Tunisie ou le Maroc. Il faut répondre à plusieurs demandes. Après son lancement, Nessma TV a connu une période de flottement. Quelle en est la raison ? La télé coûte de l'argent. A notre lancement, des actionnaires kowétiens, les mêmes qui possédaient Wataniya à l'époque, étaient avec nous. Ils ont quitté le projet au milieu de la route. On s'est retrouvés sans tour de table. Nous avons mis à profit cette période pour chercher d'autres partenaires. Nous avons réussi à convaincre deux gros groupes mondiaux, dont celui de Tarek Ben Ammar, un grand producteur tunisien de cinéma et également l'Italien Mediaset, leader européen de la télévision commerciale, propriété de Silvio Berlusconi. Ce groupe est numéro1 en Espagne avec Télé Cinco et en Italie. Actuellement, les frères Nebil et Ghazi Karoui sont propriétaires à 50% de Nessma TV, Tarek Ben Ammar détient 25% et Médiaset 25%. Pourquoi n'avez-vous pas cherché un groupe algérien, marocain ou libyen ? Je ne cherchais pas que de l'argent. Quel groupe de télévision algérien, marocain ou libyen je pouvais trouver ? Nous voulons joindre à nous des industriels pour qu'ils nous donnent et l'argent et les moyens de bâtir une télé de qualité. Il ne s'agissait pas de traiter avec des banquiers qui vous donnent de l'argent mais qui ne savent pas ce que vous faites. Nous avons signé des accords avec une holding des Emirats arabes unis et au dernier moment celle-ci s'est retirée. On l'a échappé belle ! Avec cette crise que connaît Dubaï... Nous faisons de la télé, mais c'est toujours agréable d'avoir de l'expérience dans la technique, dans l'achat des programmes... Se mettre avec Mediaset pour acheter des programmes nous coûte moins cher. Auparavant, il n'y avait aucune chaîne qui pouvait avoir cette dimension. Avant que nous commencions à en parler, en 2007, le concept Maghreb n'était pas sexy. Le Maghreb n'existait que dans nos cœurs. On ne pouvait pas le matérialiser. Nous avons même reculé par rapport aux années 1960-1970. A l'époque, il y avait des festivals de cinéma maghrébins, un mouvement de va-et-vient entre Maghrébins... Depuis, il n'y a rien. Les échanges sont limités : Mami et Khaled viennent en Tunisie de temps en temps ou Saber Rebaï visite l'Algérie. Nous sommes un seul peuple, un seul rêve, une force de 80 millions de personnes, un grand marché si l'on se met ensemble, notre voix peut porter loin et notre slogan est « la charkiya, la gharbiya, maghrébia ! » (ni orientale ni occidentale, maghrébine !) La Star'Ac 2, qui devait être lancée en décembre, a été reportée à mars 2010. Pourquoi ? Nous sommes prêts à lancer l'émission. Nous allons avoir un beau plateau de variétés, à Hammamet, de 1000 m2. Le casting a été fait mais nous avons eu des demandes de participation de la Libye et de la Mauritanie. Nous voulons également ouvrir la participation à des Maghrébins d'ailleurs, au-delà de la France. Nous avons remarqué également que la Coupe d'Afrique de football commence en janvier 2010. Nous voulions nous concentrer sur cet événement car la Star'Ac pouvait absorber toute notre énergie. Nous avons donc décidé de mettre la Star'Ac entre la CAN et le Mondial pour bien assurer les trois événements. Ce n'est pas lié au marché publicitaire. La Tunisie, de toute façon, ne représente que 20% de nos recettes publicitaires... Nous avons des sponsors libyens, tunisiens et marocains pour la Star'Ac. Nous avons un gros sponsor algérien. Nous allons bientôt signer l'accord. Pour les annonceurs, Nessma TV est devenue une réalité. Les choses ont beaucoup changé en cinq mois. Une émission comme Star'Ac coûte des millions de dollars. Une grille des programmes de l'ENTV, par exemple, peut coûter jusqu'à 20 millions de dollars. La Star'Ac dure quatre mois. Quatre mois de programmation sur une chaîne, cela doit exiger un énorme effort financier. Je ne peux pas vous donner le chiffre car je suis tenu par un contrat avec Endemol pour des considérations liées à la concurrence. Selon une étude réalisée en Tunisie, Hannibal, votre concurrent, attire presque 40% du marché publicitaire... Oui, Hannibal a quatre ans d'existence. Si elle n'était pas mieux que nous dans ce domaine, c'est qu'il y aurait un problème. Si au bout de quatre mois, j'arrive à décaler Hannibal, on devra me mettre dans le Guiness Book. Nessma TV n'a pas encore d'histoire. Les annonceurs viennent parce qu'ils nous trouvent sympathiques. Il faut donc qu'on crée nos antécédents dans la réussite et l'audience. Une fois installée, Nessma TV peut vendre des espaces. Les annonceurs attendent votre réussite avant de venir. Le marché publicitaire algérien n'est-il pas une cible pour vous ? La semaine écoulée, j'étais au Maroc, on m'a posé la même question. Le Maroc est le plus gros marché publicitaire. Notre cible est simple : on veut prendre 15% du marché publicitaire maghrébin, 15% dans chaque pays. Ce n'est pas beaucoup. On ne va pas déranger les autres ni prendre leur place. On n'a pas encore les 15% en Algérie. C'est impossible après quatre mois. Nous avons un business plan et on prendra le temps qu'il faut. Cela va venir au bout d'un an (...) Dans un mois, on sera sur Hotbird. On monte avec une programmation différente vers les Maghrébins d'Europe. On ne compte pas devenir une chaîne payante. Il n'y a pas d'avenir pour les chaînes payantes dans nos pays. Vous l'avez d'ailleurs constaté avec les ratages de Canal+ et de TPS. Envisagez-vous l'ouverture de bureaux à Alger ? Nous avons déjà les bureaux du groupe de Karoui & Karoui mais nous attendons toujours notre accréditation. Nous fonctionnons actuellement comme une boîte de production mais pas comme une télévision. Une dizaine de personnes travaillent chez Nessma TV à Alger. Lorsque nous aurons notre accréditation, nous allons recruter des journalistes pour nous lancer dans la production. Nous avons déjà un grand bureau au Maroc, mais pas encore en Libye. Au Maroc, nous avons facilement eu l'accréditation. Le feuilleton House of Saddam a suscité la polémique en Tunisie. Pourquoi ? Cette série n'a pas posé de problème en Algérie. Nous avons été poursuivis en justice, mais les plaignants ont perdu le procès. C'est une histoire de liberté d'expression. Nessma TV est un diffuseur et nous avons acheté une fiction. House of Saddam n'est pas un documentaire. Il y a des gens qui ont fait leurs fonds de commerce de l'Irak autant que certains journaux arabophones. On a même fait la une des journaux : « La série qui dérange ». Cela nous a fait une belle pub. C'était une polémique extraordinaire pour nous. Il y a eu des débats sur d'autres chaînes. En janvier, nous allons réunir les pour et les contre dans un tableau et rediffuser les quatre épisodes en intégralité. Il y aura la nuit House of Saddam ! L'autre feuilleton, Houdoue Nessbi, qui a eu un grand succès dans le monde arabe, sera également rediffusé à partir de la fin décembre en prime time. Ce feuilleton donne les points de vue des Arabes et des Américains sur l'invasion de l'Irak. Les téléspectateurs sont adultes, à eux de choisir. Nous avons un comité qui sélectionne des films ou des séries en fonction des goûts de la région. Lorsqu'on estime qu'un film ne marchera pas, on l'achète pas. On m'a proposé un sitcom algérien. Je vais le regarder, si c'est bon pour la chaîne, je le diffuserai. Allez-vous vers des coproductions avec des chaînes maghrébines ? Et qu'en est-il de la production musicale ? Pourquoi pas ! O.K. pour les coproductions, mais cela ne sert à rien de diffuser les feuilletons en même temps. Je préfère à ce moment la coproduction avec des Européens ou des Moyen-Orientaux pour avoir l'exclusivité de la diffusion sur le Maghreb. A l'origine, le groupe Karoui avait un label musical. On s'est vite aperçu qu'il n'existe pas de marché. Une fois que tout est gravé, le produit est piraté. En Europe, 60% de la musique diffusée dans les clubs ou par les radios est mondiale, le reste est locale. Dans les discothèques et radios maghrébines, 80% de la musique diffusée est internationale, le reste est soit libanais ou égyptien. L'Algérie est un cas à part, vu la production musicale que vous avez et, encore, cela dépend des régions. Parfois, la qualité de la production n'est pas bonne. Mon rêve est que d'ici deux ans, on réinvente la musique maghrébine. On prend des chansons telles que Chihlet Lâayani, on la refait de sorte à ce que les gens puissent danser dessus comme un hit. Cette musique va devenir mondiale grâce à Nessma. Cela va nous donner de l'influence. Si l'on fait 150 à 200 chansons par an, on aura gagné ! J'ai signé avec Safy Boutella et nous allons acheter les droits d'auteur. Nous avons contacté l'ONDA pour les 40 chansons qui seront utilisées dans la Star'Ac. Nous allons signer un accord-cadre pour être tranquille. On fera la même chose au Maroc et en Tunisie. Nous avons en projet le lancement d'une radio. On fera peut-être une NRJ Maghreb, par exemple... Comment allez-vous couvrir la Coupe d'Afrique et le Mondial ? Nous n'avons pas les moyens d'acheter des matchs complets. Nous allons acheter les high lights (meilleurs moments) des matchs. On va organiser des plateaux quotidiens dans lesquels ont refera le match avec des spécialistes. Nous faisons du foot spectacle. Nous ne voulons pas attirer uniquement les hommes, mais toute la famille. Nous allons envoyer des équipes en Angola pour suivre les équipes algérienne et tunisienne. En Coupe du monde, une équipe se chargera de suivre les Verts.